Plaignant
M. Alexandre Popovic
Mis en cause
MM. Yves Boisvert, chroniqueur et Alexandre Pratt, directeur de l’information, le quotidien La Presse et le site lapresse.ca
Résumé de la plainte
M. Alexandre Popovic dépose une plainte le 8 juillet 2015 contre le chroniqueur Yves Boivert et le site lapresse.ca, concernant une chronique publiée le 7 mai 2015, sous le titre « La police qui filme ». Le plaignant y dénonce de l’information inexacte.
Le grief concernant le nombre de décès au Canada n’a pas été traité considérant que le plaignant a ajouté ce point dans ses commentaires.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Le plaignant souligne deux inexactitudes dans le passage suivant : « Comment expliquer qu’aux États-Unis, entre 2003 et 2011, la police ait été responsable de 7427 “homicides justifiables”? Au Royaume-Uni l’an dernier, une seule personne est morte aux mains de la police. En 2013, aucune. Zéro. »
1.1. Nombre de décès aux États-Unis
Selon le plaignant, il serait erroné de laisser entendre, comme le fait le chroniqueur, « qu’aux États-Unis, entre 2003 et 2011, la police [a] été responsable de 7427 “homicides justifiables” ». À son avis, aucun organisme public ne collige systématiquement et de façon fiable des données sur les décès de citoyens aux mains de la police. Celles qui sont présentées dans le Supplementary Homicide Report du FBI sont fournies volontairement par des centaines de corps policiers américains chaque année. Les corps policiers sont donc libres de communiquer ou non ces données, ce qui affecte forcément leur fiabilité.
Le plaignant constate que le chiffre de 7427 homicides correspond au nombre total d’homicides pour les années allant de 2003 à 2009, en plus de l’année 2011 et non pas la période de 2003 à 2011. Autrement dit, aucune donnée n’a été colligée en 2010, ce dont ne tient pas compte le chroniqueur. Selon le plaignant, le chroniqueur aurait ainsi dû extrapoler le nombre total d’homicides à partir de la moyenne annuelle, de sorte que le chiffre « exact » serait plutôt de 8355 homicides, pour la période couvrant les années de 2003 à 2011.
Me Patrick Bourbeau, représentant les mis en cause, souligne que « le rapport utilisé par M. Boisvert pour sa chronique, tient compte du fait que le nombre rapporté de « arrest related deaths » est souvent sous-documenté et que les auteurs du rapport utilisent divers outils statistiques pour en arriver à un chiffre qui reflète le plus fidèlement possible la réalité compte tenu des contraintes existantes. »
Dans son guide Droits et responsabilités de la presse, le Conseil mentionne : « Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. » (p. 28)
Dans le présent cas, la phrase reprochée prend la forme d’une question : « Comment expliquer qu’aux États-Unis, entre 2003 et 2011, la police ait été responsable de 7427 “homicides justifiables”? » Le Conseil constate que dans le rapport Arrest-Related Deaths Program Assessment utilisé par le chroniqueur, il est rapporté que « the universe of law enforcement homicides in the United States across all years examined (2003-09 and 2011) is 7,427, or an average of 928 law enforcement homicides per year. » Ce nombre (7427 homicides) est le résultat d’une estimation faite par les auteurs de l’étude (la firme RTI), dont le mandat était justement d’évaluer la qualité et la précision des méthodes de recensement des cas d’homicides liés aux interventions policières. Le Conseil observe l’absence de données pour l’année 2010, ce qui affecte légèrement l’information présentée par le chroniqueur.
Le Conseil constate par ailleurs que le chroniqueur a utilisé des sources fiables pour illustrer son sujet. Dans le présent cas, le Conseil considère qu’il s’agit ici moins d’une inexactitude que d’une imprécision et que celle-ci ne portait pas à conséquence pour la bonne compréhension du sujet traité.
Le grief d’information inexacte est rejeté sur ce point.
1.2 Nombre de décès au Royaume-Uni
Selon le plaignant, il est faux d’affirmer que : « Au Royaume-Uni l’an dernier, une seule personne est morte aux mains de la police. En 2013, aucune. Zéro. »
De l’avis de M. Popovic, « cette affirmation est contredite par les données publiées dans le rapport annuel de l’organisme Independant Police Commission intitulé “Deaths during or following police contact” pour 2013-2014 » et par la page web [Inquest, qui sert de source aux mis en cause] et qui « concerne uniquement les décès causés par des balles tirées par des policiers (fatal police shooting) ». S’il est exact de dire qu’une seule personne est décédée sous les balles de la police du Royaume-Uni en 2014, et que l’année précédente il n’y en avait aucune, selon le plaignant, il est inexact d’écrire que ces statistiques concernent les personnes mortes « aux mains de la police ».
Ainsi, ajoute le plaignant, « tel qu’il appert dans les donnés de l’organisme Independant Police Commission, le nombre de décès de citoyens aux mains de la police du Royaume-Uni, toutes causes de décès confondues, se compte plutôt à une centaine pour l’année 2013-2014. »
Me Patrick Bourbeau, représentant les mis en cause, souligne que les statistiques concernant le Royaume-Uni sont tirées du site Internet de Inquest, un organisme sans but lucratif voué à l’aide des victimes des proches des personnes décédées alors qu’elles étaient détenues par les autorités policières.
Me Bourbeau précise, de plus, que « les règles de déontologie n’imposent pas à un journaliste de faire une recherche exhaustive de l’ensemble des sources d’information statistiques relatives à un sujet donné lorsque les chiffres en question ne visent, comme dans le cas présent, qu’à donner un ordre de grandeur du phénomène dont il est question, et ce, à des fins de comparaison. Il s’agissait simplement, pour M. Boisvert, de s’assurer de la fiabilité des sources et, à ce titre, la méthodologie utilisée par le Bureau of Justice semblait solide. De plus, M. Boisvert n’avait et n’a à ce jour aucune raison de douter des chiffres avancés par un organisme tel qu’Inquest. À tout événement, le fait que ces statistiques puissent possiblement ne pas être exactes à l’unité ou même à la dizaine près pour des raisons hors du contrôle de M. Boisvert ne change rien au propos véhiculé dans la Chronique ou à sa bonne compréhension par les lecteurs. »
Sur ce point, le Conseil juge que la publication des données rapportées par le chroniqueur respecte les normes déontologiques et ne constitue pas une faute, bien que leur présentation manque de nuance. Cependant, malgré cette faiblesse, le Conseil considère que cette imprécision est sans conséquence pour la compréhension du sujet traité et le sens général de l’article.
Le grief d’information inexacte est rejeté sur ce point.
En conséquence, le grief d’information inexacte est rejeté.
COMMENTAIRE ÉTHIQUE
Le Conseil tient toutefois à émettre un commentaire d’ordre éthique, en invitant les journalistes à la prudence et à plus de rigueur lorsqu’ils présentent des statistiques comparées pour illustrer leurs reportages. En effet, dans le cas présent, le chroniqueur aurait dû comparer des données semblables, aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Alexandre Popovic contre le chroniqueur Yves Boisvert, La Presse et lapresse.ca, pour le grief d’information inexacte. Cependant, le comité émet un commentaire éthique en invitant les journalistes à un effort soutenu lorsqu’ils utilisent des statistiques comparées.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Adélard Guillemette
Représentant des journalistes :
- M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
- Mme Maryse Gagnon
- M. Jed Kahane
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte