Plaignant
M. Denis Cormier et M. Charles Poirier
Mis en cause
Mme Hélène Fauteux, journaliste, M. Charles-Eugène Cyr, directeur général et la station CFIM 92,7 FM
Résumé de la plainte
MM. Denis Cormier et Charles Poirier déposent une plainte le 8 juillet 2015 contre la journaliste Hélène Fauteux et la station CFIM 92,7 FM concernant un reportage diffusé le 8 mai 2015, repris par la suite sur le site Internet du média sous le titre « Pas d’Internet au quai de Pointe-Basse ». Les plaignants dénoncent de l’information inexacte, un manque de rigueur de raisonnement et un refus de correction.
La nouvelle diffusée sur les ondes de CFIM rapporte que des pêcheurs auraient empêché un technicien de rétablir la connexion Internet sans fil au quai de la Pointe-Basse. Ce service est nécessaire pour les pêcheurs qui remplissent de façon électronique leur journal de bord. La journaliste note que Pointe-Basse est le port d’attache des meneurs de la contestation contre les journaux de bord.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Selon les plaignants, deux informations inexactes sont contenues dans la phrase : « Cependant, la semaine dernière, les pêcheurs de ce port de Havre-aux-Maisons ont empêché le technicien chargé de sa mise en marche de faire son travail. »
1.1 Nombre de pêcheurs
Les plaignants soutiennent que l’utilisation du pluriel laisse faussement croire que plusieurs pêcheurs sont intervenus auprès du technicien venu remettre en marche la connexion Internet. Selon eux, un seul pêcheur est intervenu auprès du technicien.
La journaliste admet avoir commis une inexactitude sur ce point et affirme qu’elle s’était basée sur de l’information « transmise et confirmée par différentes sources ».
Dans son guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil stipule : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (p. 26)
Les recherches du Conseil ont permis de confirmer qu’un seul pêcheur est intervenu auprès du technicien informatique et que les autres pêcheurs du port n’étaient pas présents au moment des faits.
Vu les témoignages recueillis par le Conseil, ceux fournis par la journaliste et l’admission de cette dernière, le Conseil juge que la journaliste a commis une erreur en laissant entendre que plusieurs pêcheurs étaient intervenus.
Le grief d’information inexacte est retenu sur ce point.
1.2 Nature de l’intervention
Les plaignants jugent qu’il est inexact d’affirmer que l’intervention du pêcheur a eu pour conséquence d’« empêcher » le technicien de travailler. Au contraire, il aurait aidé ce dernier en lui fournissant les coordonnées de la personne à joindre pour avoir accès à certaines installations afin de réaliser les travaux.
La journaliste conteste cette affirmation et présente des lettres signées par le président de l’Association des pêcheurs propriétaires des Îles-de-la-Madeleine et par le directeur général de la firme informatique confirmant que le technicien n’a pas pu effectuer son travail en raison de l’intervention d’un pêcheur, qui lui aurait demandé de partir.
Les témoignages recueillis par le Conseil auprès des deux personnes directement impliquées dans l’incident permettent d’établir clairement que sans l’intervention du pêcheur, le technicien aurait pu compléter son travail. Ainsi, la majorité (6/7) des membres du comité des plaintes juge que l’information transmise est exacte.
Le grief d’information inexacte est rejeté sur ce point.
Le grief d’information inexacte est retenu quant au nombre de pêcheurs intervenus auprès du technicien informatique.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Les plaignants estiment que le raisonnement de la journaliste manque de rigueur lorsqu’elle associe l’intervention du pêcheur auprès du technicien et le mouvement de contestation au livre de bord. Cette faute aurait été commise dans la phrase suivante, qui vient immédiatement après celle où l’incident du quai est relaté : « Une quarantaine de homardiers, dont les meneurs de la contestation contre les journaux de bord, Charles Poirier et Denis Cormier, ont la Pointe-Basse comme port d’attache. »
Le directeur général de la station affirme : « Le fait de mentionner, dans cette nouvelle, les noms des leaders et le port d’attache ne les discrédite en rien puisqu’ils n’ont jamais nié être les porte-parole de cette contestation. En fait foi une nouvelle diffusée sur nos ondes le 28 avril 2015. Ces deux mêmes pêcheurs avaient eux-mêmes expliqué qu’il pourrait avoir d’autres actions de poser [sic] dans ce dossier ».
La journaliste pour sa part fait valoir qu’elle n’a « mentionné le nom des plaignants dans la nouvelle que pour illustrer pourquoi le port de la Pointe-Basse apparaissait comme le seul bastion de résistance au branchement de l’Internet sans fil, et non pas pour, malicieusement, laisser entendre que c’était eux-mêmes qui étaient intervenus pour bloquer le travail du technicien. »
Dans leurs commentaires, les plaignants font valoir que les propos tenus dans le reportage du 28 avril 2015 ne signifient pas qu’ils souhaitaient passer à d’autres actions. Les plaignants affirment que la journaliste les associe injustement à l’événement qui s’est déroulé au quai de la Pointe-Basse.
Le DERP mentionne : « La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. » (p. 21)
Aux yeux du Conseil, la journaliste a commis une faute en juxtaposant les deux événements, puisqu’en procédant ainsi, elle établissait un lien de causalité entre l’événement survenu au port de la Pointe-Basse et le mouvement de protestation au livre de bord, alors même qu’elle n’a visiblement aucune preuve solide le démontrant. Une telle association était certainement plausible, ce qui la rendait du même coup crédible aux yeux du public. Or, en journalisme, la plausibilité d’un fait ou d’un lien entre des événements ne suffit pas à justifier sa publication, a fortiori lorsqu’il s’agit d’imputer – même implicitement – la responsabilité d’un événement à certaines personnes. Manquer à cette obligation équivaut à un manque de rigueur et de prudence.
Le grief pour manque de rigueur de raisonnement est retenu à la majorité (5/7).
Grief 3 : refus de correction
Les plaignants déplorent que le directeur général de la station n’ait pas donné suite à leur demande de rétractation et de correction.
Le directeur général de la station rapporte qu’il a fait valoir aux plaignants que « la nouvelle n’accusait qui que ce soit d’aucun bris et que la rétractation n’était alors pas justifiée. »
Le DERP rappelle aux médias qu’il est de leur responsabilité « de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion. » (p. 46)
Considérant que les deux griefs précédents ont été retenus, le Conseil juge que les mis en cause devaient corriger les erreurs commises par les moyens qu’ils jugeaient les plus appropriés.
Le grief de refus de correction est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à l’unanimité, la plainte de MM. Denis Cormier et Charles Poirier et blâme la journaliste Hélène Fauteux et la station CFIM 92,7 pour les griefs d’information inexacte et de refus de correction. De plus, il retient et blâme, à la majorité, pour le grief de manque de rigueur de raisonnement.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Paul Chénard
- Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
- Mme Gabrielle Brassard-Lecours
- M. Jonathan Trudel
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif