Plaignant
M. Nicolas Landry
Mis en cause
Mme Karine Bastien, journaliste, M. Pierre Champoux, directeur de la rédaction numérique, M. Michel Cormier, directeur général, information, services français et ICI Radio-Canada.ca
Résumé de la plainte
M. Nicolas Landry dépose une plainte le 9 août 2015 contre la journaliste Karine Bastien et ICI Radio-Canada.ca concernant le reportage « Un enquêteur de la SQ accusé de fraude de plus de 5000 $ » diffusé le 5 août 2015. Le plaignant considère que le reportage porte atteinte à sa vie privée.
Le reportage rapporte qu’un enquêteur de la Sûreté du Québec (SQ) est accusé d’avoir fait de fausses déclarations sur son état de santé afin de prolonger son congé maladie.
Le plaignant déplore également la divulgation d’informations confidentielles par des policiers. Ce grief ne relevant pas de la déontologie journalistique, il n’est pas traité dans la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée
Le plaignant estime que deux aspects du reportage portent atteinte à sa vie privée.
1.1 Motif de l’arrêt de travail
Le plaignant déplore que la journaliste ait mentionné dans son reportage que son congé de maladie était dû à des problèmes psychologiques. Il fait valoir que le communiqué émis par la Sûreté du Québec n’en fait pas état et qu’il n’était pas d’intérêt public de mentionner ce fait privé dans un reportage public.
Le représentant des mis en cause, M. Michel Cormier, directeur général information des Services français, souligne que le plaignant a présenté les mêmes griefs à l’ombudsman de Radio-Canada et que celui-ci a conclu que le reportage respectait les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Concernant le dévoilement de la raison du congé maladie, M. Cormier rappelle qu’en 2014, la Direction des normes professionnelles de la Sûreté du Québec a ouvert une enquête sur des irrégularités qui auraient été commises par le plaignant pour prolonger son congé de maladie. Celui-ci, en congé de maladie depuis près de six ans pour des problèmes psychologiques, est soupçonné d’avoir produit de fausses déclarations durant une période de six mois, relate M. Cormier. Or, le plaignant aurait travaillé durant cette période dans des agences de voyages, qui ont été perquisitionnées dans le cadre de l’enquête. M. Cormier rapporte que le plaignant est relevé de ses fonctions avec salaire depuis novembre 2014 et que le 5 août 2015, des accusations de fraude ont été déposées.
M. Cormier fait valoir qu’après réflexion, la journaliste a jugé que la raison du congé de maladie était une information « pertinente, car susceptible de jeter un éclairage sur cette affaire », soutient-il en citant un extrait de la décision de l’ombudsman : « la difficulté des diagnostics en santé mentale pouvant dans une certaine mesure expliquer le litige entre M. Landry et son employeur. »
L’article 18 du Guide de déontologie journalistique stipule que « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
Le Conseil a maintes fois traité de questions similaires. Ainsi, dans la décision D2015-01-079, il avait été appelé à déterminer si le dévoilement de certaines informations privées – en l’occurrence l’adresse personnelle d’une personne impliquée dans des procédures judiciaires avec son employeur – apportait des précisions nécessaires à la compréhension du sujet. Le Conseil avait alors conclu que cette information personnelle « n’était pas pertinente, en ce qu’elle n’ajoute rien à la compréhension du public, et qu’elle porte atteinte au droit […] à la vie privée du plaignant. »
Aux yeux du Conseil, le fait que le plaignant était en arrêt de travail en raison d’un trouble psychologique est une information de peu d’intérêt public, qui n’était pas nécessaire à la compréhension de l’histoire rapportée dans le reportage. Ce degré d’intérêt public ne justifiait donc pas l’atteinte au droit à la vie privée du plaignant. La journaliste n’explique d’ailleurs jamais, durant le reportage, en quoi cette information était pertinente.
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée est retenu sur ce point.
1.2 Tournage
Le plaignant reproche également aux mis en cause d’avoir atteint à son droit à la vie privée en le filmant devant sa maison, et ce, deux semaines avant la délivrance du mandat d’arrestation.
Dans sa réplique, M. Cormier fait valoir que le sujet du reportage était d’intérêt public et il ajoute : « Les séquences dans lesquelles [le plaignant apparaît] ont été tournées, le 5 août, en prévision d’un reportage. »
Considérant le fait que le sujet du reportage était d’intérêt public, que l’enregistrement des images du plaignant a été réalisé à partir d’un lieu public et que ces images ont été diffusées après le dépôt des accusations, le Conseil juge que le mis en cause n’a commis aucune faute déontologique.
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée est rejeté sur ce point.
En conséquence, le grief pour atteinte au droit à la vie privée est retenu sur le point de la divulgation du motif du congé de maladie du plaignant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Nicolas Landry et blâme la journaliste Karine Bastien et ICI Radio-Canada.ca pour le grief d’atteinte au droit à la vie privée.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Paul Chénard
- Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
- Mme Gabrielle Brassard-Lecours
- M. Jonathan Trudel
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif