Plaignant
Mme Michèle Fiset
Mis en cause
Jean-Philippe Robillard, journaliste
Le site ICI Radio-Canada.ca
Résumé de la plainte
Mme Michèle Fiset dépose une plainte le 13 octobre 2015 contre le journaliste Jean-Philippe Robillard et le site Internet ICI Radio-Canada.ca concernant les articles « Québec craint pour la sécurité des personnes menacées d’éviction à Kahnawake » et « Jeunes Mohawks : quand la langue est un frein à l’emploi », publiés respectivement les 14 mai 2015 et 21 juillet 2015. La plaignante déplore des informations incomplètes et un manque d’équilibre.
Dans sa plainte, Mme Fiset reproche également une absence de modération des commentaires des internautes et de la partialité. Ces griefs n’ont pas été étudiés parce que dans le premier cas, la plaignante ne pointe pas de cas précis et dans le second, il s’agit d’un motif attribué au journaliste invoqué par la plaignante pour justifier le grief d’informations incomplètes. Le Conseil rappelle qu’il n’examine pas les intentions ni les motifs des journalistes, mais le résultat de leur travail et les méthodes utilisées.
L’article « Québec craint pour la sécurité des personnes menacées d’éviction à Kahnawake » rapporte les témoignages de couples mixtes menacés d’expulsion en raison d’un règlement adopté en 1981. Le deuxième article intitulé « Jeunes Mohawks : quand la langue est un frein à l’emploi » rapporte les préoccupations de la Commission de développement économique de Kahnawake concernant le manque de maîtrise du français des jeunes mohawks et son impact sur leur employabilité.
Analyse
Grief 1 : informations incomplètes
La plaignante considère que trois informations sont incomplètes dans les articles mis en cause.
1.1 Loi sur les Indiens
Afin de produire un reportage complet, la plaignante estime que le journaliste aurait dû expliquer dans l’article « Québec craint pour la sécurité des personnes menacées d’éviction à Kahnawake » que le règlement de 1981, interdisant aux couples mixtes de vivre sur la réserve, a été adopté en réaction à la Loi sur les Indiens. Selon elle, cette loi est raciste et, sans ce rappel historique, le règlement de 1981 semble l’être également.
La représentante des mis en cause, Mme Micheline Dahlander, chef relations citoyennes et diversité du Service de l’information, souligne que l’angle de traitement de l’article est la situation vécue par les couples menacés d’expulsion. Elle ajoute qu’un lien Internet dans l’article mène à une vérification des faits donnant plus de détails sur le règlement de 1981.
En matière de complétude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec rappelle à l’article 9 alinéa e) : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Après lecture, le Conseil juge que l’article mis en cause est complet et que le rappel souhaité par la plaignante concernant le contexte dans lequel le règlement de 1981 a été adopté n’était pas essentiel à la compréhension des faits rapportés dans l’article. Par ailleurs, les personnes souhaitant en savoir davantage sur le contexte juridique et légal dans lequel ce règlement s’inscrit peuvent consulter un texte dont le lien est disponible dans l’article mis en cause.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.2 Visite des Peacekeepers
La plaignante déplore que l’article « Québec craint pour la sécurité des personnes menacées d’éviction à Kahnawake » ne rapporte pas que « le principal plaignant » du reportage avait reçu la visite des Peacekeepers la veille du reportage.
La représentante des mis en cause affirme que l’homme évoqué par la plaignante n’est pas celui qui a été interrogé par le journaliste dans le cadre de l’article.
Dans ses commentaires, la plaignante précise que l’homme ayant reçu la visite des Peacekeepers est M. Myior, conjoint blanc de Mme Deer.
Les vérifications du Conseil n’ont pas permis d’identifier cet homme dans l’article. De plus, aux yeux du Conseil, cette information n’était pas essentielle à la compréhension de l’article puisque celle-ci n’a pas d’impact sur le témoignage des deux couples présentés dans le reportage.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.3 Chômage
La plaignante estime que dans l’article « Jeunes Mohawks : quand la langue est un frein à l’emploi », le journaliste n’offre qu’une lecture partielle du problème du chômage en le liant « uniquement » au manque de connaissance du français. Elle affirme que le problème est social et va au-delà de la maîtrise du français.
La représentante des mis en cause fait valoir que dans cet article, le journaliste a choisi de se pencher sur les constats de la Commission de développement économique de Kahnawake qui considère que la maîtrise du français est au coeur du problème de chômage chez les jeunes de la réserve. Elle note que le journaliste s’attarde sur la maîtrise du français par les jeunes autochtones pour expliquer le taux de chômage, mais évoque également le décrochage scolaire, dont les causes et les effets représentent une partie considérable de l’article.
Dans ses commentaires, la plaignante note que le journaliste aurait dû interroger les responsables scolaires au sujet du décrochage scolaire et des services d’immersion française. Il aurait également dû explorer les discriminations dont sont victimes les autochtones en matière d’emploi. En dépeignant les jeunes mohawks comme des décrocheurs attirés par l’argent facilement gagné et qui refusent de parler français, le journaliste a choisi un point de vue unique, selon elle.
Le Conseil observe qu’en plus de rapporter les préoccupations de la Commission de développement économique de Kahnawake quant à l’employabilité des jeunes mohawks qui ne maîtrisent pas le français, ce qui constituait l’angle du reportage, le journaliste a pris le soin de préciser que d’autres facteurs pouvaient influencer le taux de chômage de cette communauté, notamment le décrochage scolaire. Le Conseil souligne que l’article mis en cause ne visait pas à fournir des explications exhaustives sur le problème du chômage des autochtones, mais plutôt à mettre en lumière les constats de la Commission de développement économique de Kahnawake sur la question de la langue.
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations incomplètes est rejeté.
Grief 2 : manque d’équilibre
La plaignante estime que l’article « Québec craint pour la sécurité des personnes menacées d’éviction à Kahnawake » manque d’équilibre parce que « le point de vue du conseil de bande est résumé en une phrase », alors que le reste de l’article présente la position des opposants à la mise en application du règlement.
Dans sa réplique, Mme Micheline Dahlander, représentante des mis en cause, réfère à la révision réalisée par l’ombudsman de Radio-Canada à la demande de la plaignante. Celui-ci conclut que le journaliste n’a pas enfreint le principe d’équilibre parce que plusieurs entrevues et reportages ont été présentés par ICI Radio-Canada. Il énumère notamment une entrevue avec Mme Michèle Audette, ex-présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada qui critique le règlement de 1981, ainsi qu’un article portant sur l’origine et le contexte juridique et légal du règlement de 1981. Faisant valoir que le le principe d’équilibre n’impose pas de présenter les différents points de vue sur la même plateforme, l’ombudsman observe que le 17 mai (soit trois jours après la mise en ligne de l’article mis en cause), l’émission radiophonique « Désautels le dimanche » a présenté un reportage présentant le point de vue de deux anciens grands chefs de Kahnawake sur la situation vécue dans la réserve et le lien entre la Loi sur les Indiens et le règlement de 1981. De plus, au cours de cette émission, M. Jean Leclair, professeur de droit et constitutionnaliste à l’Université de Montréal et expert des questions autochtones, rappelle le contexte historique de la Loi sur les Indiens pour déterminer l’appartenance aux communautés autochtones.
La plaignante s’oppose à l’argumentaire de l’ombudsman et souligne que même si des articles et reportages présentent d’autres points de vue, les citoyens n’ont pas le temps de parcourir l’ensemble des plateformes et des médias pour obtenir une vision d’ensemble d’une question.
Dans son Guide, à l’article 9, alinéa d), le Conseil définit ainsi le principe d’équilibre : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. »
La jurisprudence du Conseil fait clairement ressortir que l’équilibre ne se mesure pas au nombre de lignes accordées à un point de vue et que cette obligation déontologique peut être remplie sur une certaine période de temps. Dans la décision 2011-03-066, mettant en cause un article rapportant uniquement la position d’un partisan de l’industrie de l’amiante, le Conseil rappelait que l’équilibre « ne doit pas s’évaluer “seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public”. (DERP, p. 22) » Les mis en cause ayant fait valoir que la position du lobby anti-amiante avait été présentée dans un article quelques jours plus tôt, le Conseil avait rejeté ce grief.
À la lecture de l’article mis en cause, le Conseil juge que le journaliste a produit un article équilibré puisque ce dernier rapporte avoir tenté d’obtenir les commentaires des Peacekeepers et des membres du conseil de bande qui ont refusé de commenter. Le journaliste pallie d’ailleurs ce refus en rapportant les propos de l’ancien grand chef, Steven Bonspille qui partage et défend le point de vue du Conseil de bande. Finalement, on retrouve dans le texte un hyperlien menant à l’article « Le conseil mohawk de Kahnawake a-t-il le droit d’expulser des non-Autochtones? », publié le même jour que celui mis en cause, qui tente d’établir la validité du moratoire sur les mariages mixtes.
Le grief de manque d’équilibre est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Michèle Fiset contre le journaliste Jean-Philippe Robillard et le site Internet ICI Radio-Canada.ca concernant les griefs d’informations incomplètes et de manque d’équilibre.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Éricka Alnéus
M. Jacques Gauthier
Mme Audrey Murray
Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
M. Martin Francoeur
Mme Audrey Gauthier
Représentants des entreprises de presse :
M. Gilber Paquette
Mme Nicole Tardif