Plaignant
Bureau du forestier en chef et Mme Lise Guérin, responsable des communications
Mis en cause
MM. Alain Castonguay, journaliste et Guillaume Roy, rédacteur en chef et le magazine Opérations forestières et de scierie
Résumé de la plainte
Mme Lise Guérin dépose une plainte le 27 août 2015 à l’encontre de M. Alain Castonguay, journaliste, et du magazine Opérations forestières et de scieries, relativement à l’article intitulé « Mauvais calculs? » publié le 25 mai 2015 en ligne et dans l’édition de mai du magazine imprimé. La plaignante dénonce un manque d’équilibre, une partialité et une inexactitude dans l’article.
L’article fait état de critiques, formulées par deux experts, à l’égard des calculs de possibilité forestière effectués par le Bureau du forestier en chef (BFEC). Un séminaire organisé par le BFEC et l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, en décembre 2014, constitue le point de départ de l’article.
Analyse
Grief 1 : manque d’équilibre
Mme Lise Guérin déplore que « le journaliste Alain Castonguay n’a pas offert au BFEC la possibilité de fournir une réponse » aux critiques formulées par les deux experts cités dans l’article.
La plaignante précise qu’elle a « offert au journaliste […] la possibilité de s’adresser au directeur du calcul ou au Forestier en chef pour des explications ou des éclaircissements, lors du séminaire auquel M. Castonguay était présent […] Le journaliste a décliné cette offre ». Mme Guérin estime de plus que « le fait d’avoir délibérément décliné l’offre d’échanger avec le Forestier en chef ou son directeur constitue pour nous un élément de partialité. »
M. Castonguay, ainsi que le rédacteur en chef du magazine, M. Guillaume Roy, estiment qu’au contraire, leur approche a été guidée par un souci d’équilibre.
Ainsi, M. Castonguay fait valoir que « le BFEC dispose de larges moyens pour réaliser ses mandats et diffuser les résultats de ses travaux », lesquels « sont largement connus et diffusés dans le milieu forestier ». Le journaliste précise que « les experts du Bureau ont eu l’occasion de répondre aux questions soulevées lors du séminaire et leurs réponses n’ont pas convaincu une partie de l’assistance » et que les présentations des professionnels du milieu ont été mises en ligne sur le site Internet du BFEC.
M. Guillaume Roy ajoute que « M. Castonguay a réalisé une entrevue avec ces experts, afin de bien présenter leurs critiques […], car ils n’avaient eu que quelques minutes pour exposer leur propos lors du [séminaire]. »
M. Alain Castonguay affirme que Mme Guérin ne comprend pas l’objet de son texte, qui ne consiste pas à résumer le séminaire. « L’espace aurait manqué dans n’importe quel magazine pour chercher à résumer toutes ces présentations, la plupart très techniques ».
Enfin, M. Castonguay mentionne que le rédacteur en chef du magazine « ne m’a pas demandé d’obtenir le point de vue d’un représentant du BFEC. »
La plaignante répond, sur ce dernier point, que quelles que soient les demandes de son supérieur, « il [le journaliste] devrait savoir qu’il est responsable de son texte. »
Par ailleurs, Mme Guérin oppose au journaliste et au rédacteur en chef qui arguent que le BFEC a pu donner son point de vue lors du séminaire que cela « ne change rien au fait que le reportage en lui-même était déséquilibré ».
Dans son Guide de déontologie journalistique (Guide), le Conseil stipule que : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant [la qualité suivante] : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (Guide, art. 9 d)
Le Conseil constate que l’article est quasi intégralement basé sur le point de vue critique de deux experts au sujet des calculs de possibilité forestière du BFEC.
Cependant, le Conseil constate que l’article n’est pas une charge entièrement négative contre le BFEC et qu’il intègre des informations qui reflètent la réalité vécue par les intervenants du Bureau, quant au contexte dans lequel ils doivent produire leurs calculs et au mandat, parfois difficile, qu’ils doivent remplir.
À titre d’exemple, les efforts déployés par le BFEC pour intégrer les « nouvelles demandes sociales » dans ses calculs sont mentionnés, ainsi que la rigidité du processus dans lequel s’inscrit l’établissement de la possibilité forestière. De plus, le journaliste cite un des deux experts interviewés selon lequel les intervenants du BFEC « font un beau travail avec la mission qu’on leur a donnée. Le problème, c’est que la mission n’est peut-être pas bonne pour rendre le service qu’on attend du milieu forestier ».
Le Conseil note par ailleurs l’invitation faite à la plaignante par le rédacteur en chef du magazine d’exprimer le point de vue du BFEC dans une publication subséquente. Cette invitation a été déclinée par la plaignante.
Le Conseil rappelle, d’une part, que l’équilibre ne se mesure pas de façon quantitative, mais bien qualitative, et que les éléments de nuance cités précédemment doivent être pris en compte, lorsqu’il s’agit d’évaluer l’équilibre, dans le traitement de l’information.
D’autre part, le Conseil souligne que l’équilibre ne s’établit pas sur la base d’une seule édition. Aux yeux du Conseil, l’invitation faite à la plaignante d’exprimer le point de vue du BFEC dans une autre publication aurait pu, si elle avait été acceptée par la plaignante, contribuer à parfaire l’équilibre des opinions exprimées par le magazine sur le sujet des calculs de possibilité forestière.
Enfin, le Conseil note que la prétention de la plaignante, selon qui la partialité du journaliste serait à l’origine d’un manque d’équilibre dans son article, relève du procès d’intention. Cet élément n’est conséquemment pas pris en compte dans l’analyse.
Pour ces motifs, le grief de manque d’équilibre est rejeté.
Grief 2 : partialité
Mme Guérin juge que le titre, « Mauvais calculs ? », reflète la partialité des mis en cause. « On a ici un jeu de mots qui vise à suggérer aux lecteurs que le travail du Forestier en chef est mauvais », exprime la plaignante.
M. Castonguay précise que « le choix du titre relève de l’éditeur ».
M. Guillaume Roy estime que « le titre choisi par notre magazine reflète la position des experts qui ont critiqué le calcul de possibilité forestière établi par le Forestier en chef. […] Nous n’avons jamais suggéré que le travail du Forestier en chef est mauvais, et ce texte ne reflétait pas l’opinion de notre magazine ou de notre journaliste. »
Dans son Guide, le Conseil stipule que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant [la qualité suivante] : « c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue en particulier. » (Guide, art. 9 c)
Le Conseil estime que le point d’interrogation du titre reflète bien les questionnements abordés par les deux experts dans l’article. Il apporte également une nuance qui exclut dès lors la possibilité qu’il soit assimilable à un jugement de valeur.
Le grief de partialité est donc rejeté.
Grief 3 : inexactitude
Mme Guérin relève que « les commentaires de François Laliberté sont rapportés dans l’article comme étant ceux du président de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec [OIFQ]. […] Or au moment de son entrevue, et donc au moment où il a tenu ces propos, monsieur Laliberté n’était pas président de l’Ordre. »
La plaignante ajoute qu’« on ne peut pas affirmer, comme il est écrit dans l’article et sous la légende de la photo en page principale, que “François Laliberté, le nouveau président de l’OIFQ, s’inquiète des répercussions de la spatialisation des calculs”. On parle ici de son avis personnel et non pas celle du président de l’Ordre, lequel s’exprime au nom de toute la communauté professionnelle qu’il représente. »
M. Castonguay explique que « la mention du titre de M. Laliberté a été ajoutée à mon texte à deux endroits sans que je sois consulté ». Le journaliste se dit en désaccord avec cet ajout et mentionne s’être excusé auprès de M. Laliberté.
Bien qu’il juge que la mention du titre n’est pas inexacte, puisque « François Laliberté était bien président de son ordre professionnel au moment de mettre sous presse », M. Castonguay précise que M. Laliberté était effectivement vice-président de l’OIFQ, au moment de son entretien avec lui.
M. Roy note que M. Laliberté était le président de l’OIFQ lors de la publication de l’article. « Cette information nous semblait importante pour démontrer aux lecteurs que ce sont des experts d’importance qui critiquaient le calcul de la possibilité forestière. »
M. Roy fait valoir que les informations publiées dans l’article sont véridiques. « Dans le texte, il est écrit “M. Laliberté a été nommé président de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIFQ) en mai dernier (2015).” Quelques lignes plus tôt, on disait clairement que le séminaire avait eu lieu en décembre (2014), alors que M. Laliberté était le vice-président de l’OIFQ. »
Dans son Guide, le Conseil souligne que : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant [la qualité suivante] : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (Guide, art. 9 a)
Le Conseil estime que M. Laliberté, en sa qualité de vice-président de l’OIFQ au moment de tenir les propos cités dans l’article, jouissait déjà d’une responsabilité et d’une notoriété au sein de son ordre professionnel et qu’il a accordé une entrevue au journaliste en n’ignorant pas l’impact de ses prises de position.
D’autre part, le Conseil estime que le statut de M. Laliberté était d’intérêt public et qu’il était pertinent de le souligner. Faire référence à son statut de président en vigueur au moment de la publication de l’article, plutôt qu’à son ancien statut de vice-président ne saurait, aux yeux du Conseil, être considéré comme une faute d’inexactitude.
Le Conseil est d’avis que cette référence a été faite d’une telle manière que toute confusion pour le lecteur était éliminée, en raison des précisions apportées quant au moment de la nomination de M. Laliberté. Dans le bas de vignette, la mention « nouveau président de l’OIFQ » indique, grâce au qualificatif « nouveau », que la nomination est récente. La précision apportée dans le texte au sujet du moment de la nomination de M. Laliberté, soit au mois de mai 2015, clarifie encore davantage l’information au bénéfice du lecteur.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte du Bureau du forestier en chef et de Mme Lise Guérin à l’endroit du journaliste Alain Castonguay et du magazine Opérations forestières et de scieries, pour les griefs de manque d’équilibre, partialité et inexactitude.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Paul Chénard
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentant des journalistes :
- M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Gilbert Paquette
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité