Plaignant
M. Laurence Tilmant-Rousseau
Mis en cause
Carl Therrien, collaborateur, l’émission « La Sphère » et ICI Radio-Canada Première
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
M. Laurence Tilmant-Rousseau dépose une plainte le 4 septembre 2015 contre le collaborateur M. Carl Therrien et ICI Radio-Canada Première concernant l’émission « La Sphère » diffusée le 7 mars 2015. Le plaignant dénonce une omission de vérifier la fiabilité d’une source et de l’information incomplète.
Dans une chronique livrée à l’émission « La Sphère » de Radio-Canada, le collaborateur Carl Therrien a exploré le mouvement GamerGate avec une perspective féministe, à quelques jours du 8 mars, Journée de la femme.
La controverse du GamerGate touche des questions de sexisme et de harcèlement dans le milieu du jeu vidéo. Le mouvement #gamergate visait des femmes de l’industrie du jeu vidéo, dont Zoe Quinn, à qui cette plainte fait référence à plusieurs reprises.
Au moment du dépôt de la plainte de M. Tilmant-Rousseau, le site Internet du Conseil de presse affichait toujours l’ancien Règlement 2 qui établissait le délai de prescription à six mois. La plainte a donc été acceptée. Le nouveau règlement prévoit qu’une plainte doit être soumise dans un délai de trois mois de la dernière diffusion.
Le Conseil a estimé que certaines des « inexactitudes » avancées par le plaignant concernaient plutôt une divergence d’opinions avec le chroniqueur. Aux yeux du Conseil, M. Therrien pratique un journalisme d’opinion, un genre permettant une grande latitude dans l’expression de points de vue et d’opinions à ceux qui le pratiquent. Les divergences d’opinions entre le plaignant et le chroniqueur n’ont donc pas été traitées. Cependant, les griefs d’omission de vérification de la fiabilité d’une source et d’information incomplète ont été traités par le Conseil.
Analyse
Grief 1 : omission de vérification de la fiabilité d’une source
M. Tilmant-Rousseau conteste la crédibilité de la source sur laquelle s’appuie Carl Therrien. Selon lui, l’article du magazine Newsweek auquel se réfère le chroniqueur a fait l’objet de critiques quant à la fiabilité des informations rapportées. Le chroniqueur disait : « On sait maintenant que GamerGate a été utilisé massivement pour intimider les femmes. Parce qu’une étude de Newsweek, parue le 25 octobre 2014… »
Le plaignant soutient que l’outil utilisé par Newsweek pour mesurer l’intimidation a été critiqué. Il ajoute, par ailleurs, que Newsweek a publié une mise à jour pour modifier son texte afin de refléter le sens réel des données publiées.
M. Robert Nadeau, premier directeur, Radio nationale et Grand Montréal de ICI Radio-Canada Première, réplique que les sources soumises par le plaignant pour contester les affirmations rapportées dans Newsweek ne permettent pas d’invalider le fond de l’article, et que, par conséquent, M. Therrien pouvait se fier à cette publication.
En matière de fiabilité des informations transmises par les sources, le Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec, à l’article 11 mentionne : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. »
Le Conseil considère que M. Therrien était libre de présenter les sources qu’il jugeait les plus pertinentes sur le sujet complexe et controversé du Gamergate. Comme mentionné dans le préambule du Guide de déontologie, les journalistes doivent « d’abord et avant tout prendre les moyens raisonnables pour respecter les normes [déontologiques] ». Le Conseil juge que M. Therrien pouvait légitimement se fier à une source aussi crédible que le magazine Newsweek, et qu’il a rapporté fidèlement d’où provenait son information.
Le grief d’omission de vérification de la fiabilité d’une source est rejeté.
Grief 2 : informations incomplètes
Le plaignant considère que M. Therrien a livré une information incomplète en omettant de mentionner certains points qu’il jugeait essentiels : (1) Qu’au-delà de la relation entre Nathan Grayson et Zoe Quinn, de nombreux conflits d’intérêts réels ou apparents ont été découverts par les partisans du GamerGate. (2) 2.2 Le mouvement en ligne #NotYourShield, qui atteste de la diversité (hommes, femmes, minorités visibles, etc.) des sympathisants du mouvement #GamerGate. (3) La campagne « Operation Disrespectful Nod », menée par les partisans du GamerGate auprès d’annonceurs de médias vidéoludiques, afin de dénoncer les problèmes d’éthique de ces médias. (4) Les démarches légales entreprises par Zoe Quinn contre Eron Gjoni. (5) L’existence du forum de discussion privé GameJournoPros, dont les échanges, mis au jour publiquement, montrent la connivence entre des médias et journalistes vidéoludiques et (6) la vente de la compagnie Eidos à Square Enix en 2009, événement essentiel, selon lui, pour bien évaluer l’impact de l’affaire Gerstmann.
M. Nadeau estime qu’il appartient à l’animateur de déterminer l’angle accordé à une entrevue. L’émission dont il est question dans cette plainte a été diffusée à la veille de la Journée de la femme et l’animateur M. Dugal avait choisi de retenir la dimension controversée du Gamergate et qu’il a donc abordé deux interprétations du sujet, l’éthique journalistique et la misogynie, dans une entrevue qui ne durait que 12 minutes 49 secondes.
Le mis en cause ajoute qu’en ce qui a trait aux éléments qui n’ont pas été abordés en raison du temps alloué à ce segment de l’émission, il souligne : « C’est peut-être cette brièveté qui vous a heurté, car nous n’avons communiqué qu’une toute petite partie de ce que vous saviez. En tant que fin connaisseur du sujet, vous en aviez déjà une opinion claire et vous auriez sans doute préféré la voir refléter. Mais la sphère est une émission qui s’adresse au grand public et nous croyons que, dans sa presque totalité, celui-ci entendait parler du sujet pour la première fois. Nous devions brosser un portrait à grands traits, sans dénaturer le sujet. Nous croyons avoir réussi. »
M. Nadeau termine en soulignant que les personnes qui participent à des émissions, comme c’est le cas pour M. Therrien, sont invitées pour partager leurs points de vue et leurs opinions. Cela leur permet de jouir d’une certaine latitude afin de s’exprimer librement sur un sujet donné.
Dans un commentaire en réponse à la réplique de M. Nadeau, le plaignant maintient que l’omission d’avoir traité des points qu’il a relevés prive le public de l’information à laquelle il a droit, d’autant que selon lui, aucun autre média au Québec n’a soulevé ces éléments.
Le Conseil constate qu’avec le peu de temps imparti pour traiter en ondes d’un sujet aussi complexe, M. Therrien est arrivé à bien faire comprendre les enjeux principaux du Gamergate. L’émission visée par la plainte s’adresse à un large public qui ne connaissait pas nécessairement le sujet, et non à un groupe d’initiés. De ce fait, le Conseil est d’avis que l’ajout des points énoncés par le plaignant était non essentiel à une meilleure compréhension du sujet et aurait, au contraire, risqué de créer de la confusion chez les auditeurs.
Le grief d’informations incomplètes est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Laurence Tilmant-Rousseau contre le collaborateur Carl Therrien, l’émission « La Sphère » et ICI Radio-Canada Première pour les griefs d’omission de vérification de la fiabilité d’une source et d’informations incomplètes.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Ericka Alnéus
M. Jacques Gauthier
Mme Audrey Murray
Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
M. Martin Francoeur
Mme Audrey Gauthier
Représentants des entreprises de presse :
M. Gilber Paquette
Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
21 June 2018
Appelant
M. Laurence Tilmant-Rousseau
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant ne fait pas appel de la décision sur le fond, mais demande à ce que soit ajoutée publiquement à la décision de première instance une lettre du blogueur Eron Gjoni, auteur de Zoe Post, dans laquelle il revient sur sa relation avec Zoe Quinn, une développeuse américaine de jeux vidéo, dont il était question lors de l’émission mise en cause, qui traitait du phénomène du GamerGate, visant les femmes dans l’industrie du jeu vidéo.
APPEL JUGÉ NON RECEVABLE
Règlement applicable :
« La commission peut confirmer en tout ou en partie ou infirmer la décision du comité des plaintes. Le cas échéant, elle rend la décision appropriée. Toutefois, elle ne peut substituer sa propre appréciation des faits à celle du comité des plaintes sauf en cas d’erreur significative. » (Règlement No 2 sur l’étude des plaintes du public, article 30.01) ».
La question qui se pose est de déterminer si le motif d’appel invoqué par l’appelant, à savoir ajouter la réplique d’Eron Gjoni à la décision de première instance, est recevable.
La commission d’appel constate que le point soulevé par l’appelant ne relève pas d’un grief étudié en première instance et juge donc la demande d’appel non recevable, en regard de son Règlement No 2.
CONCLUSION
Les membres de la commission d’appel ne peuvent donner suite à l’appel de M. Laurence Tilmant-Rousseau, puisqu’il est jugé irrecevable.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Hélène Deslauriers, présidente de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Mme Hélène Deslauriers
Représentante des journalistes :
Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
M. Renel Bouchard