Plaignant
Mme Suzie Ma
Mis en cause
M. Jean-François Cloutier, journaliste, M. Dany Doucet, rédacteur en chef, le quotidien Le Journal de Montréal et le site journaldemontreal.com
Résumé de la plainte
Mme Suzie Ma dépose une plainte le 5 octobre 2015 contre le journaliste Jean-François Cloutier, de même que le Journal de Montréal et son site internet journaldemontreal.com. Elle reproche au quotidien et à son site internet la publication de plusieurs informations inexactes et d’une illustration qu’elle juge trompeuse dans une série d’articles publiés le 31 mai 2015.
L’article révèle des informations obtenues par le Journal de Montréal au sujet d’une enquête que mènerait l’Autorité des marchés financiers (AMF). Dans le cadre de cette enquête relative à de la manipulation boursière, l’AMF s’intéresserait à une restauratrice de Montréal, Mme Suzie Ma, plaignante dans le présent dossier.
Les mis en cause ont refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : inexactitudes
1.1 « L’AMF s’intéresse » à Mme Ma
Mme Ma reproche au journaliste d’avoir écrit que « l’AMF s’intéresse » à elle. Cette affirmation se retrouve dans le titre de l’article principal, dans le chapeau de cet article et dans l’article secondaire « Elle faisait la promotion d’Amorfix ». « Les termes utilisés [dans l’article] font croire faussement au public que l’Autorité des marchés financiers (L’AMF) s’intéresse à Madame Suzie Ma », fait valoir la plainte déposée par Mme Ma. « En aucun temps l’AMF [ne] s’est intéressée à Madame Suzie Ma de la façon dont vous [le Journal de Montréal] laissez croire au public en affirmant que “cette restauratrice qui intéresse l’AMF a été impliquée dans la promotion de la société Amorfix” ». Elle note enfin qu’elle « n’a jamais été accusée par l’AMF ».
Jointe à la plainte de Mme Ma figurait la réponse de Me Bursanescu, représentant des mis en cause, répondant à une mise en demeure envoyée par la plaignante. Dans cette réponse, ce dernier aborde directement ou indirectement plusieurs des points que soulève Mme Ma dans sa plainte. En l’absence d’une réponse formelle de la part des mis en cause, le Conseil juge pertinent de tenir compte de certains éléments soulevés par cette lettre.
Ainsi, pour défendre l’affirmation selon laquelle Mme Ma intéressait effectivement l’AMF, Me Bursanescu fait valoir qu’elle a fait une déposition auprès de l’AMF. La plaignante ne nie pas ce fait dans sa plainte.
En matière d’exactitude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse stipule, à l’article 9, paragraphe a), mentionne que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
Le Conseil de presse a contacté l’AMF pour obtenir des précisions. Le responsable des communications, M. Sylvain Théberge, l’a notamment informé que l’ordonnance sous scellé dont il est question dans le texte principal est toujours en vigueur. De plus, comme le dossier est toujours sous enquête, l’AMF ne peut répondre à aucune question du Conseil. M. Théberge a cependant reconnu avoir parlé avec M. Jean-François Cloutier dans la foulée de la réalisation de ses articles.
À la suite de ses recherches, le Conseil a constaté que l’AMF avait déposé en septembre 2014 des poursuites pénales à l’encontre de la compagnie Downshire Capital Inc. et ses dirigeants, pour manipulation de marché et informations fausses et trompeuses diffusées sur le site d’une filiale du groupe, PennyStockChaser. Le nom de Mme Ma figure au bas de communiqués de PennyStockChaser, à titre de « contact ».
Le dictionnaire Larousse donne la définition suivante du verbe « intéresser » : « Concerner quelqu’un, quelque chose. Éveiller et retenir l’attention de quelqu’un. » De l’avis du Conseil, le journaliste pouvait écrire que l’AMF s’intéressait à une personne sans que des accusations soient portées contre elle.
Dans les circonstances, le Conseil juge que la plaignante n’a pas fait la démonstration que l’information selon laquelle l’AMF « s’intéressait » à elle était inexacte.
Cet aspect du grief est donc rejeté.
1.2 Lien entre Mme Ma, Amorfix, PennyStockChaser et Downshire Capital
Selon la plaignante, « tout ce qui touche Madame Suzie Ma dans les articles en lien avec la compagnie Amorfix est une pure fabrication du journaliste. » Il est vrai, admet-elle cependant, que son nom apparaît au bas d’un communiqué de PennyStockChaser, à titre de « contact », mais elle fait valoir que son rôle se limitait à être « la personne ressource à contacter concernant le communiqué ». Mme Ma déplore que M. Cloutier laisse croire qu’elle était l’auteur du communiqué et « qu’elle est, par le fait même, au courant et/ou aurait participé d’une quelconque manière à de potentiels activités et/ou gestes illégaux posés par une ou des membres du conseil d’administration d’Amorfix. »
Ainsi, Mme Ma nie avoir été impliquée dans la promotion d’Amorfix, affirme ne pas avoir créé le site PennyStockChaser et enfin déclare qu’elle « n’a jamais été l’une des actionnaires ou administratrices de PennyStockChaser, d’Amorfix ou de Downshire Capital ».
Dans sa réplique à la mise en demeure de Mme Ma, Me Bursanescu écrit que Mme Ma « reconnaît dans une déposition à l’AMF avoir été impliquée dans la promotion des actions [d’Amorfix] alors qu’elle était à l’emploi de la firme Downshire Capital inc., qui opérait le site internet PennyStockChaser. Elle était l’une des trois employés de cette compagnie et elle recevait une commission de 10 % sur les ventes de la compagnie. Son rôle allait donc bien au-delà de celui d’une relationniste ».
Pour le Conseil, il importe d’abord de préciser que certains des reproches formulés ici par la plaignante portent sur des affirmations que le journaliste n’a tout simplement jamais faites, directement ou indirectement. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la plaignante, jamais M. Cloutier n’a-t-il affirmé ou laissé entendre qu’elle avait créé le site Internet PennyStockChaser, ou encore qu’elle était actionnaire ou administratrice d’Amorfix, de Downshire Capital ou de PennyStockChaser.
Quant à l’affirmation voulant qu’elle ait effectivement fait la promotion d’Amorfix, le Conseil juge qu’elle est conforme à la réalité, considérant qu’elle est effectivement désignée comme personne contact d’un communiqué de presse qui faisait, à sa face même, la promotion de cette compagnie.
Cet aspect du grief est donc rejeté.
1.3 Démarche de Mme Ma en cour en 2011
La plaignante affirme, dans un troisième temps, que « les prétentions à l’effet [qu’elle] s’est adressée à la cour en 2011 pour empêcher l’AMF de l’interroger sont complètement erronées. »
Le Conseil se trouve ici devant deux versions contradictoires, mais ne peut trancher, puisqu’il a été impossible d’accéder au dossier ou même à une partie du dossier auxquels les mis en cause ont apparemment eu accès. Or, comme le fardeau de la preuve repose sur la partie plaignante, et que celle-ci n’a pas fait une démonstration convaincante de l’inexactitude des propos qu’elle dénonce, le Conseil n’a d’autre choix que de rejeter cet aspect de son grief.
1.4 Blanchiment d’argent et fraude de 290 M$
La plaignante déplore que soit mentionnée, dans le texte, la situation de son cousin, M. Eric Van Nguyen, faisant l’objet d’accusations aux États-Unis pour fraude. Elle soutient que l’intention du journaliste était de créer faussement l’impression pour le lecteur qu’elle « pouvait également faire partie d’une affaire de blanchiment d’argent et d’avoir participé directement et/ou indirectement à la fraude de 290 millions de dollars ». Or, Mme Ma dit n’avoir « strictement rien à voir avec la situation particulière » de M. Van Nguyen.
Dans ses articles, M. Cloutier établit à deux reprises des liens entre la plaignante et son cousin. Il écrit d’abord que « Suzie Ma est la cousine d’Eric Van Nguyen. Ce Montréalais de 31 ans fait l’objet d’accusations criminelles aux États-Unis pour une fraude boursière massive de 290 millions $ US ». Puis, il rappelle que « Eric Van Nguyen a lui aussi travaillé chez Downshire. »
Le Conseil ne partage pas l’avis de la plaignante sur ce point : le fait de mentionner son lien de parenté avec M. Eric Nguyen ne suggérait pas qu’elle aurait forcément été complice des activités criminelles qui lui sont reprochées. Aux yeux du Conseil, il s’agissait plutôt d’informations pertinentes à la compréhension du dossier dans son ensemble.
Cet aspect du grief est donc rejeté.
1.5 Investissement résultant d’opérations frauduleuses dans Saiko Bistrot
Selon la plaignante, le journaliste sous-entend qu’elle « aurait investi l’argent gagné suite à des opérations frauduleuses dans le restaurant “Saiko” ».
Me Bursanescu note que « nulle part il n’est mentionné que de l’argent provenant d’opérations frauduleuses aurait été investi dans le restaurant “Saiko” ou encore que votre cliente [Mme Ma] aurait été mêlée à une histoire de blanchiment d’argent. »
Le Conseil constate, comme Me Bursanescu, que le journaliste ne fait nulle part l’affirmation que lui prête la plaignante.
Cet aspect du grief est donc rejeté.
1.6 Propriété du Saiko Bistrot
Selon la plaignante, « le journaliste laisse également croire [qu’elle] est la seule et unique propriétaire du restaurant “Saiko”, ce qui ne correspond pas à la réalité. »
Me Bursanescu écrit : « vous ne pouvez nier que votre cliente [Mme Ma] occupe aujourd’hui une place prépondérante dans les opérations du “Saiko”, étant vice-présidente et trésorière. Elle se présente au public comme la propriétaire (“owner”), notamment sur ses cartes d’affaires. »
Une fois de plus, le Conseil constate que la plaignante impute au journaliste une affirmation qu’il n’a tout simplement jamais faite. M. Cloutier ne fait pas allusion à la propriété du restaurant. Il écrit plutôt : « une restauratrice […] qui vient d’ouvrir un luxueux restaurant à deux pas de son siège social », puis « Elle est la trésorière du restaurant Saiko Bistrot ». Dans un cas comme dans l’autre, le lecteur ne saurait en conclure qu’elle est la seule et unique propriétaire du restaurant “Saiko”.
Cet aspect du grief d’inexactitude est rejeté.
Le grief pour inexactitudes est conséquemment rejeté dans son ensemble.
Grief 2 : illustration trompeuse
Mme Ma déplore que la publication de sa photo, sous celle de M. Van Nguyen, ainsi que le bas de vignette « Suzie Ma, trésorière », donne à penser qu’elle est « trésorière de l’accusé », alors qu’elle n’est que la trésorière du restaurant Saiko Bistrot.
En ce qui a trait à l’utilisation d’illustrations, le Guide du Conseil précise, à l’article 14.3 (Illustrations, titres et légendes) : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. »
Aux yeux du Conseil, il ne fait aucun doute que contrairement aux prétentions de la plaignante, l’illustration n’est pas trompeuse. En effet, dans la mesure où il a été établi qu’ils avaient effectivement des liens de famille et d’affaires, puisqu’ils ont travaillé au sein de la même firme, que l’article traite effectivement de ces deux personnes et finalement que leur titre indiqué dans la légende est exact, le Conseil juge que les illustrations et leur légende reflétaient adéquatement les informations auxquelles elles se rattachaient.
Le grief pour illustration trompeuse est ainsi rejeté.
Refus de collaborer
Le Journal de Montréal et le site journaldemontreal.com ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil déplore le fait que le quotidien Le Journal de Montréal et le site journaldemontreal.com aient refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Suzie Ma contre le journaliste Jean-François Cloutier, le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com pour les griefs d’inexactitudes et d’illustration trompeuse.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Adélard Guillemette
Représentant des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C24A Manque de collaboration