Plaignant
M. Jérôme Carrier
Mis en cause
M. Nicolas Lachance, journaliste, M. Sébastien Ménard, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Québec M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le site Internet journaldemontreal.com
Résumé de la plainte
M. Jérôme Carrier porte plainte contre le journaliste Nicolas Lachance, le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet journaldemontreal.com concernant les articles « Trompé par un faux avocat » et « L’ex-avocat affirme qu’il en a informé son client » parus respectivement les 5 et 20 septembre 2015. Le plaignant déplore un manque d’équilibre, des informations inexactes, ainsi qu’un rectificatif incomplet et un refus de publier un rectificatif.
Le plaignant prétend que l’article porte atteinte à sa réputation. Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation n’est pas considérée comme du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.
Le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet journaldemontreal.com ont refusé de répondre à la présente plainte.
L’article intitulé « Trompé par un faux avocat » rapporte les démarches entreprises par M. Jeannot Côté auprès de la Commission des lésions professionnelles afin d’obtenir une nouvelle audition lorsqu’il a découvert que son représentant, M. Jérôme Carrier, n’était plus avocat. L’article « L’ex-avocat affirme qu’il en a informé son client » présente, en partie, la version des faits de M. Carrier.
Analyse
Grief 1 : manque d’équilibre
Le plaignant soutient que l’article « Trompé par un faux avocat » manque d’équilibre puisque sa version des faits n’y est pas présentée. Il fait ainsi valoir que le journaliste n’a tenté de le joindre qu’en fin de journée, un vendredi, la veille de la publication de l’article. En voyage au moment de l’appel, le plaignant soutient qu’il n’a pris connaissance du message téléphonique que deux jours après la publication de l’article. M. Carrier indique qu’à deux reprises, il a tenté sans succès de joindre le journaliste, qui n’aurait pas retourné ses messages. Le jeudi 17 septembre 2015, M. Carrier a fait parvenir une mise en demeure au journaliste, puis le dimanche 20 septembre, le Journal de Québec faisait paraître un article intitulé « L’ex-avocat affirme qu’il en a informé son client ». M. Carrier affirme qu’à aucun moment il n’a parlé au journaliste.
Dans son Guide de déontologie journalistique, le Conseil rappelle « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence » (Guide, article 9 d)
Dans la décision 2013-10-048, le Conseil a jugé qu’en raison de « l’importance des allégations diffusées » dans le reportage, soit des allégations d’agressions sexuelles sur une mineure durant son séjour dans un camp de vacances, les mis en cause devaient présenter les deux versions des faits dans le même bulletin de nouvelles. Le Conseil rappelait « que, dans une histoire controversée, une présentation équilibrée des versions des parties impliquées permet au public d’être mieux informé et, à la partie “accusée ”, d’éliminer ou d’atténuer les conséquences négatives des informations publiées en fournissant sa vision de l’histoire. » Dans le cas de ce reportage, le Conseil notait que la responsabilité du camp, dont le nom était mentionné, ainsi que celle des animateurs étaient mises en cause. « Face à des événements aussi sensibles et dramatiques, le journaliste avait le devoir de présenter un reportage offrant le point de vue du père et celui de la base de plein air », a conclu le Conseil.
Aux yeux du Conseil, il est difficile de justifier, dans les circonstances, l’empressement que semble avoir eu le journaliste à publier ce texte, avant d’avoir pu parler au principal intéressé. En effet, considérant l’importance des accusations et le fait que la réputation du plaignant était en jeu, il était important d’obtenir le point de vue du plaignant, et le journaliste ne pouvait prétendre avoir satisfait à cette obligation en ne laissant que quelques heures au plaignant pour obtenir une réponse.
Le grief de manque d’équilibre est retenu.
Grief 2 : informations inexactes
Le plaignant estime que l’article « Trompé par un faux avocat » comprend six informations inexactes.
2.1 Titre de l’article
Le plaignant fait valoir que le titre de l’article « Trompé par un faux avocat » est une « formulation fallacieuse et mensongère » parce qu’elle laisse croire qu’il aurait délibérément induit en erreur son ancien client, M. Jeannot Côté. Il rappelle à ce titre que la décision du 21 août 2015 de la Commission des lésions professionnelles affirme : « le travailleur n’a pas été victime de représentations mensongères de son représentant ».
Le Guide de déontologie journalistique stipule que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (Guide, article 9 alinéa a)
Le Conseil juge que le titre laisse erronément croire au public que le plaignant a volontairement cherché à « tromper » son client. C’est ce qui ressort de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 21 août 2015, dans laquelle la juge indique clairement que c’est le contexte qui était « trompeur » et que « le travailleur n’a pas été victime de représentations mensongères de son représentant » . De plus, la preuve documentaire fournie au Conseil par le plaignant démontre de façon convaincante qu’il a bel et bien avisé ses clients qu’il n’était plus membre du Barreau.
Le grief d’informations inexactes est retenu sur ce point.
2.2 Divulgation de son statut professionnel
Le plaignant soutient qu’il est inexact d’affirmer que M. Côté « s’est aperçu que Carrier n’était plus membre du Barreau et qu’il avait démissionné avant l’audience, sans en informer son client. » Il fait valoir que son ancien client savait depuis décembre 2010 qu’il ne portait plus le titre d’avocat. Le plaignant met en preuve une lettre datée du 15 décembre 2010, envoyée à ses clients afin de leur faire savoir qu’il « démissionnera du tableau de l’Ordre du Barreau en date du 17 janvier 2011. » Il précise qu’il sera dès lors considéré comme un « avocat à la retraite ». Il poursuit : « Ainsi, nous vous acheminons votre dossier et vous verrez à requérir vous-même les services d’un nouveau procureur. À l’avenir, le soussigné se consacrera exclusivement aux dossiers ayant trait aux relations de travail, aux accidents de travail ainsi qu’aux maladies professionnelles. » Le plaignant rapporte qu’après la réception de cette lettre, M. Côté lui a demandé s’il continuerait de « [s’]occuper de son dossier », ce qu’il lui a confirmé. Le plaignant souligne qu’en 2011, il a suggéré à son client d’engager un avocat puisqu’il était admissible à l’aide juridique et qu’ainsi, il pourrait obtenir une expertise médicale sans avoir à débourser 1200 $. Il rapporte que M. Côté a préféré qu’il poursuive la défense de son dossier.
Le plaignant fait valoir qu’au fil des années, M. Côté a dû signer des documents mentionnant son titre de conseiller en relations industrielles agréé. Il met en preuve une enveloppe où M. Côté le désigne par ce titre.
Le Conseil juge que les preuves documentaires déposées par le plaignant prouvant qu’il a informé son client de sa décision de prendre sa retraite du Barreau sont convaincantes.
Le grief d’informations inexactes est retenu sur ce point.
2.3 Contact après la décision
Le plaignant estime que l’affirmation indiquant que M. Côté a « tenté en vain de rejoindre son représentant » est inexacte. Il soutient que M. Côté avait ses coordonnées et qu’il ne lui a jamais laissé de messages téléphoniques.
À la lecture de la décision de la Commission des lésions professionnelles, le Conseil constate qu’elle rapporte que les démarches de M. Côté pour joindre le plaignant « demeurent vaines, le représentant ne retournant pas ses appels. »
Le Conseil se trouve ainsi devant deux versions contradictoires, celle présentée dans la décision et l’article et celle défendue par le plaignant. Or, comme le fardeau de la preuve incombe au plaignant, et que ce dernier n’a pas été en mesure de démontrer les faits qu’il avançait, le Conseil de retiendra pas cet élément du grief..
Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
2.4 Témoin expert
Le plaignant juge inexacte la phrase suivante : « Toutefois, le résident de Trois-Pistoles perd sa cause en 2011. Devant le juge, M. Carrier n’a pas fait témoigner le médecin, qui était le témoin expert. » Il soutient qu’il n’y a jamais eu de témoin expert dans le dossier. Il affirme que c’est lors d’une audition devant la Commission des lésions professionnelles tenue le 16 juillet 2014, et non celle d’avril 2011, qu’il a été question des rapports médicaux du médecin de famille de son client. Il ajoute que le médecin en question n’était pas un témoin expert et qu’il a refusé de témoigner pour des raisons de santé.
Les recherches du Conseil ont permis de confirmer l’affirmation du plaignant selon laquelle il n’y a jamais eu de témoin expert devant témoigner devant la Commission des lésions professionnelles en 2011. Il était donc inexact de prétendre le contraire comme le fait l’article mis en cause.
Le grief d’informations inexactes est retenu sur ce point.
2.5 Propos de Me Marc Bellemarre
Le plaignant juge inexacte l’affirmation suivante : « Selon Me Marc Bellemarre, cette décision pourrait faire jurisprudence, s’offusquant que les travailleurs ne puissent pas plaider avoir été mal représentés, alors que des criminels y ont droit. » Le plaignant juge que ces propos, qui sous-entendent qu’il a mal représenté son client, sont inexacts. Il fait valoir que dans la décision du 21 août 2015, la juge administrative affirme : « En l’occurrence, et eu égard aux principes précités, le tribunal ne peut retenir comme motif justifiant la révocation de la décision du premier juge administratif le fait que le représentant du travailleur n’ait pas assigné le médecin du travailleur à l’audience. »
Le Conseil juge qu’il n’y a pas d’inexactitude puisque les propos dénoncés par le plaignant sont ceux de Marc Bellemarre et que le journaliste était donc libre de les rapporter sans nécessairement à avoir à en vérifier la véracité.
Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
2.6 Retour d’appel
Selon le plaignant, il est inexact d’écrire qu’il « n’a pas répondu aux appels du Journal ». Il soutient que le journaliste n’a jamais tenté de le joindre « de quelques manières si ce n’est le message laissé sur [sa] boîte vocale. » Il précise qu’il était en vacances à ce moment et qu’il n’a pris connaissance du message qu’à son retour, soit après la publication de l’article. Le plaignant estime que le journaliste a contrevenu aux règles de déontologie journalistique et de justice naturelle.
Bien qu’il soit exact que le plaignant n’a pas répondu à l’appel du journaliste, le Conseil juge que ce dernier ne lui a pas laissé un temps de réponse suffisamment long pour justifier cette mention.
Le grief d’informations inexactes est retenu sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations inexactes est retenu en ce qui concerne le titre de l’article, la divulgation du statut professionnel, le témoin expert et le retour d’appel.
Grief 3 : rectificatif incomplet et refus de publier un rectificatif
Le plaignant considère que Le Journal de Québec n’a reproduit que partiellement sa version des faits dans l’article « L’ex-avocat affirme qu’il en a informé son client ». Pour que le rectificatif soit complet, il aurait fallu faire état des « grandes lignes » de sa plainte, estime-t-il. Quant au site Internet, journaldemontreal.com, aucune suite n’aurait été donnée à la demande de rectification, dénonce le plaignant.
En matière de correction des erreurs, le Guide exige que « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (Guide, article 27.1)
Le Conseil constate que la version papier du quotidien Le Journal de Québec a publié le 20 septembre 2015 un article intitulé « L’ex-avocat affirme qu’il en a informé son client », en page 4. Aux yeux du Conseil, cet article ne constitue pas un rectificatif complet puisque le quotidien présente la version des faits du plaignant uniquement en ce qui concerne son statut professionnel. Les autres inexactitudes n’ont pas été rectifiées.
En ce qui concerne le site Internet journaldemontreal.com, le Conseil observe que l’article initial y a été publié. Le média avait donc l’obligation d’y publier le rectificatif puisque les corrections doivent se retrouver sur toutes les plateformes ayant diffusé l’article devant faire l’objet de rectifications.
Le grief de rectificatif incomplet et refus de publier un rectificatif est retenu.
Refus de collaborer
Le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet journaldemontreal.com ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil déplore le fait que le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet journaldemontreal.com aient refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Jérôme Carrier et blâme sévèrement le journaliste Nicolas Lachance, le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet journaldemontreal.com, pour les griefs de manque d’équilibre, d’informations inexactes et de rectificatif incomplet et refus de publier un rectificatif. L’importance des fautes, que le rectificatif ne corrige pas, motive la décision du Conseil de blâmer sévèrement les mis en cause.
Le Conseil déplore le fait que le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet journaldemontreal.com aient refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Paul Chénard
- Mme Audrey Murray
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentante des journalistes :
- Mme Katherine Belley-Murray
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Gilber Paquette
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C19A Absence/refus de rectification
- C19B Rectification insatisfaisante
- C24A Manque de collaboration