Plaignant
M. Éric Pettersen
Mis en cause
Mme Louise Grégoire-Racicot, journaliste, M. Jean-Philippe Morin, chef des nouvelles, l’hebdomadaire Les 2 Rives/La Voix et le site Internet www.les2riveslavoix.ca
Résumé de la plainte
M. Éric Pettersen dépose une plainte le 30 novembre 2015 contre la journaliste Louise Grégoire-Racicot et l’hebdomadaire Les 2 Rives/La Voix concernant le tweet « Éric Pettersen raconte l’intimidation dont sa fille aurait été victime à #SorelTracy », publié le 25 novembre 2015, et l’article « La Commission scolaire fait une longue mise au point », mis en ligne le 25 novembre 2015 et paru dans la version papier du journal le 27 novembre 2015. Le plaignant déplore une information trompeuse, une atteinte au droit du public à l’information en raison du retrait injustifié d’un article et un manque d’équilibre.
La fille du plaignant s’est suicidée en mars 2014. Selon le plaignant, son suicide est lié à l’intimidation qu’elle aurait subie de la part de personnes en autorité à son école secondaire. Depuis cet événement, il a fait de nombreuses sorties publiques dans les médias locaux et nationaux afin de raconter son histoire. Il partage également ses réflexions par le biais de textes publiés sur son propre blogue.
Analyse
Grief 1 : information trompeuse
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir publié sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) un lien trompeur qui conduisait vers un article sans relation directe avec le texte de présentation, qui se lisait ainsi : « Éric Pettersen raconte l’intimidation dont sa fille aurait été victime à #SorelTracy ». Selon le plaignant, l’article auquel mène le lien ne rapporte pas sa version des faits ou très peu, mais celle de la commission scolaire qui réfute les prétentions du plaignant.
Le représentant des mis en cause, M. Sylvain Poisson, directeur, Affaires opérationnelles et Conformité, considère que « Le lien créé sur les réseaux sociaux ne comportait pas d’information trompeuse […] puisqu’il menait à un contenu pertinent et totalement relié au sujet en cause. » Il ajoute : « L’information eût été trompeuse si le lien avait mené à un tout autre sujet ou encore des éléments qui ne traduisaient pas correctement la pensée ou la position du plaignant ».
Dans ses commentaires, le plaignant fait valoir que les mis en cause auraient dû retirer le lien et en créer un nouveau lorsqu’ils ont diffusé le nouvel article auquel on accède en cliquant sur le lien diffusé sur Twitter. Selon lui, les mis en cause l’ont conservé, après le retrait du premier article, « afin de se servir des nombreux “j’aime”, commentaires et partages ». « [S]e servir d’un lien pour en afficher un autre [article] est de la manipulation de l’information, surtout quand on connaît la façon de fonctionner de Facebook… », soutient-il en référant aux algorithmes du réseau social.
L’article 14.3 du Guide de déontologie journalistique, portant sur la présentation de l’information, rappelle que « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. »
La majorité des membres (5/6) du comité juge que les mis en cause ont commis une faute dans la présentation de l’information puisque le tweet est trompeur. L’article auquel accède le lecteur, en cliquant sur le lien, ne correspond pas au texte du tweet. À la lecture de celui-ci, le lecteur s’attend à un article présentant le témoignage du plaignant, alors qu’il se trouve plutôt devant un article consacré à la version des faits de la commission scolaire.
Le grief d’information trompeuse est retenu à la majorité.
Grief 2 : atteinte au droit du public à l’information en raison du retrait injustifié d’un article
Le plaignant déplore que le premier article mis en ligne sur le site de l’hebdomadaire, intitulé « Éric Pettersen raconte l’intimidation dont sa fille aurait été victime » ait été retiré du site sans raison valable. Il suggère que le média a agi sous les pressions de la commission scolaire.
Le représentant des mis en cause, M. Sylvain Poisson, indique que le premier article a été mis en ligne par erreur et qu’il a été retiré afin de ne pas porter atteinte à la réputation des « membres du personnel de l’école [que le plaignant] accusait d’être responsables du suicide de sa fille. » Il fait valoir qu’on pouvait lire dans cet article : « M. Pettersen est formel : Kim s’est enlevé la vie à cause de l’intimidation qu’elle aurait subie à l’école de la part de deux personnes – une enseignante et un membre de la direction, que M. Pettersen nomme explicitement ». Le représentant des mis en cause estime que, même si les personnes visées n’y étaient pas nommées, l’article encourageait les lecteurs à visiter le blogue du plaignant pour découvrir leur identité. M. Poisson indique avoir reçu et traité le communiqué de la commission scolaire après le retrait de l’article.
Dans ses commentaires, le plaignant fait valoir que le premier texte de l’hebdomadaire était écrit au conditionnel et que le titre de son blogue n’était pas mentionné. Ainsi, il se demande ce que pouvait craindre les mis en cause. Le plaignant regrette que ceux-ci n’indiquent pas clairement dans leur réplique s’ils ont reçu une mise en demeure de la part de la commission scolaire.
L’article f) du préambule du Guide énonce : « Attendu que les journalistes et les médias d’information sont d’abord et avant tout au service du public et que, dans leurs choix ou leur traitement rédactionnels, le droit du public à l’information prime sur toute autre considération ».
Dans la décision 2013-11-063, le Conseil a jugé que les décisions prises par la coordonnatrice d’un média communautaire, ayant accédé à la demande d’un parti politique de ne pas traiter certains sujets, avaient atteint au droit du public à l’information.
De plus, dans la décision 2014-10-025, le Conseil rappelle que la décision de retirer un article doit être motivée par l’intérêt public, sinon on portera atteinte au droit du public à l’information.
Dans le cas présent, la majorité des membres (5/6) estime que le retrait du premier article, celui portant sur M. Pettersen, portait atteinte au droit du public à l’information puisque le deuxième, portant uniquement sur la réaction de la commission scolaire,s’attardait bien peu à la version des faits du plaignant. Aussi, les raisons invoquées par le média pour supprimer le premier article ne sont pas convaincantes puisque les éléments supposément litigieux se retrouvent dans le deuxième article. Les membres majoritaires jugent qu’il aurait été préférable d’enlever la référence au blogue du plaignant, sans pour autant retirer l’article.
Cependant, un membre du comité exprime sa dissidence. Il estime que le mis en cause était en droit de retirer l’article considérant que cette décision était motivée par les conséquences judiciaires que pouvait avoir la référence au blogue du plaignant. En conséquence, la décision du média respecte, selon lui, les limites de la liberté éditoriale dont disposent les médias. Il fait également remarquer que l’histoire du plaignant a été abondamment relayée, ce qui fait que malgré ce retrait, le public a été très bien informé.
Le grief d’atteinte au droit du public à l’information en raison du retrait injustifié d’un article est retenu à la majorité.
Grief 3 : manque d’équilibre
Le plaignant déplore que l’article paru dans l’édition papier de l’hebdomadaire et diffusé sur le site Internet présente uniquement la version de la commission scolaire et ne fait pas état de la sienne.
Le représentant des mis en cause fait valoir que le nouveau texte vers lequel le lien conduit le lecteur, bien qu’il présente davantage la version de la commission scolaire, résume néanmoins la position du plaignant et le sens de sa démarche. Il ajoute que la commission scolaire réagissait pour la première fois aux propos du plaignant ce qui constituait une « nouvelle en soi et méritait une couverture appropriée, sans quoi les autorités scolaires auraient elles-mêmes été en droit d’invoquer le manque d’équilibre que dénonce le plaignant. » Il rappelle également que le plaignant a bénéficié « d’une solide couverture » via les différentes plateformes de l’hebdomadaire.
Dans ses commentaires, le plaignant soutient que la version papier du deuxième article ne fait aucune mention de lui et que seule la version de la commission scolaire y est présentée.
L’article 9, alinéa d) du Guide décrit ainsi le devoir d’équilibre des médias : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ».
Le Conseil juge que les médias ont fait preuve d’équilibre dans leur couverture puisque, malgré le retrait du premier texte, le point de vue du plaignant a été relayé à quelques reprises dans l’hebdomadaire mis en cause.
Le grief de manque d’équilibre est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à la majorité, la plainte de M. Éric Pettersen et blâme la journaliste Louise Grégoire-Racicot et l’hebdomadaire Les 2 Rives/La Voix pour information trompeuse et atteinte du droit du public à l’information en raison du retrait injustifié d’un article. Cependant, le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre.
Les membres du comité estiment qu’il aurait été préférable que les mis en cause, au lieu de retirer l’article, effectuent plutôt une modification du texte en éliminant le point jugé délicat. Le Conseil rappelle que, dans une telle situation, les médias doivent faire preuve de transparence et indiquer clairement au public les corrections et les mises à jour significatives qu’ils apportent aux articles publiés en ligne.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Adélard Guillemette
Représentants des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
- M. Jonathan Trudel
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre