Plaignant
Centre consultatif des relations juives et israéliennes
M. David Ouellette, directeur associé, affaires publiques
Mis en cause
Sada al-Mashrek/Écho du Levant
Résumé de la plainte
M. David Ouellette, directeur associé, affaires publiques du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, dépose plainte le 16 décembre 2015 contre M. Hussein Hoballah, rédacteur en chef, et l’hebdomadaire Sada al-Mashrek/Écho du Levant pour un article intitulé « Achraqat la Palestinienne, ou quand la Palestine s’illumine », publié le 22 novembre 2015. Il dénonce ce qu’il estime être une incitation à la violence.
L’éditorial visé par la plainte, publié autant en arabe qu’en français, retrace les actions posées par une jeune Palestinienne, Achraqat Taha Qatanani, et établit un parallèle entre celles-ci et le destin de la Palestine dans ses relations avec Israël.
La présente plainte a fait l’objet d’une première décision, annulée par la commission d’appel du Conseil de presse, au motif que les mis en cause n’avaient pas été informés de l’existence de la plainte et ce, en raison d’une erreur administrative. Les mis en cause ont ainsi pu répondre à la plainte qui a été étudiée par un comité composé de membres n’ayant pas participé à la première décision.
Analyse
Grief 1 : incitation à la violence
De façon générale, M. David Ouellette reproche aux mis en cause de célébrer une « vague d’agressions au couteau et à la voiture bélier contre des civils juifs israéliens » et d’encourager ainsi la violence envers les Juifs.
Le plaignant formule son principal grief à l’encontre du passage suivant de la version française de l’éditorial : « Certainement, la jeune Palestinienne de 16 ans, Achraqat (ou Ashrakat) Taha Qatanani, est une icône de cette génération, qui est fière des réalisations de la résistance libanaise, qui refuse de se laisser emporter derrière les idées sectaires répugnantes et qui reste liée psychologiquement et intellectuellement à une direction capable de l’orienter vers la gloire et la victoire, même si elle dispose de moyens aussi modestes que les pierres. »
Dans cet extrait, M. Ouellette reproche aux mis en cause de célébrer la jeune femme, en la décrivant comme l’« icône de cette génération ». Il déplore que cette jeune femme soit encensée de la sorte, alors que « le 22 novembre dernier, [elle] a été abattue alors qu’elle tentait de poignarder un civil israélien à un arrêt d’autobus ».
La version arabe du même texte, ajoute-t-il, « il n’est pas seulement question de pierres, mais de “coups de couteau, de voitures béliers et autres moyens modestes” ».
Enfin, M. Ouellette souligne que « le texte arabe se termine sur ces mots : “Nous saluons son âme” », en référence à l’âme de la jeune Achraqat Taha Qatanani.
Me William Korbatly, répondant au nom des mis en cause, fait d’abord valoir que « l’article contesté s’inscrit dans l’un des plus anciens et longs conflits armés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conflit israélo-palestinien ».
Il juge ainsi que le plaignant « confond les actes criminels dits “terroristes” et ceux commis en contexte de résistance contre une force occupante. »
Il rappelle également qu’au final, dans le présent cas, c’est la jeune femme en question qui a été abattue, par un civil et un soldat israéliens : « la manière par laquelle la jeune fille a été abattue est considérée comme un crime en droit israélien, tel que le précisait la Juge Maya Heller dans l’article intitulé « IDF soldier who killed wounded stabber convicted of manslaughter » concernant l’acte criminel commis par le soldat israélien Elor Azaria ».
Il rappelle également que l’article 19 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, que cite le plaignant, comporte trois éléments : 1) l’identification de personnes ou d’un groupe de personnes; 2) l’utilisation de représentations basées sur des motifs discriminatoires et 3) l’encouragement de la violence.
Il juge cependant que dans l’éditorial en question, l’auteur ne fait pas référence aux Juifs, comme le prétend le plaignant, mais plutôt à l’armée israélienne : « Il ne faut pas confondre la communauté juive avec l’armée israélienne, surtout parce que cette dernière a dans ses rangs des personnes de toutes les religions. »
Me Korbatly en arrive ainsi à la conclusion que « le texte ne contient aucune représentation ou terme basé sur un motif discriminatoire ».
Quant à l’utilisation du terme « icône » pour décrire la jeune fille, il juge que « ce que l’auteur voulait dire est que la fille Ashrakat n’était qu’un reflet, une illustration de cette jeunesse qui a perdu espoir, ce qui l’a amené à commettre cet acte. Et non pas comme un modèle qu’il faut suivre. Toute une différence. »
Finalement, Me Korbatly termine sa réplique en rappelant une décision rendue par le CPQ en 2009, rejetant une plainte contre M. Wajsman du Suburban. Le Conseil s’était rendu aux arguments du mis en cause, lequel avait fait valoir que « que ces articles rapportent des comportements haineux, sans toutefois véhiculer de message haineux ».
Dans ses commentaires, le plaignant fait valoir que les arguments du mis en cause relatifs à l’histoire du conflit israélo-palestinien ne sont pas pertinents, puisque le Conseil n’a pas à « trancher sur celui-ci ». La seule question qui importe, selon lui, est de déterminer si l’éditorial en question constitue une glorification de la violence.
En matière d’incitation à la violence, le Guide de déontologie du Conseil de presse précise, à l’art. 19 ━ Discrimination (1) : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Afin de dissiper tout conflit d’intérêts du plaignant quant à la traduction qu’il propose des passages du texte en arabe, le secrétariat du Conseil de presse a fait traduire le texte. C’est sur la base de cette traduction que le Conseil a analysé la plainte qui lui était soumise.
Selon cette traduction, le premier passage visé par le plaignant, dans le texte arabe, se lit comme suit : « Et “Achraqat Taha Qatanani”, cette jeune Palestinienne de 16 ans n’est autre qu’une icône de cette génération qui vante la Résistance au Liban et refuse de se soumettre aux idées répugnantes de mobilisation sectaire; la génération qui a atteint un niveau de conscience des enjeux cruciaux, et reste liée psychologiquement et intellectuellement à une direction capable d’aider des jeunes comme eux à réaliser la dignité et la gloire, même avec des moyens aussi modestes que des jets de pierre, un coup de couteau, un écrasement ou toute autre action humble dans la forme, mais qui cache en elle la détermination, l’attachement et le dévouement des jeunes à rejeter l’occupation et à se lancer vers la mort alors qu’ils sont dans la fleur de la jeunesse, pleins d’énergie, de fraîcheur et d’amour pour la vie. »
Après analyse, le Conseil rejette l’interprétation du plaignant selon laquelle l’utilisation du terme « icône » serait une manière de glorifier la jeune Palestinienne. En effet, le Multidictionnaire de Marie-Eva de Villers donne la définition suivante, qui tend à accréditer l’interprétation du mis en cause : « 2. Personne, objet qui personnifie une époque, un courant, une mode, un lieu, etc. » Les autres dictionnaires consultés donnent quant à eux une définition plus technique du terme. Le Petit Robert donne cette définition : « Signe dont le signifiant et le signifié sont dans une relation “naturelle”. cf. Symbole. » Le Larousse donne celle-ci : « Signe qui est dans un rapport de ressemblance avec la réalité extérieure. »
Le Conseil ne peut non plus souscrire aux arguments présentés par le plaignant à l’effet qu’en évoquant les moyens violents utilisés par certains Palestiniens, l’auteur du texte cherchait à encourager à la violence.
Le Conseil a régulièrement été saisi de plaintes portant sur l’incitation à la haine et à la violence. Récemment, il a dû se pencher sur une plainte (D2014-05-117) visant le chroniqueur Benoît Dutrizac, qui avait affirmé qu’on devait « souhaiter » que les 400 personnes décédées dans une catastrophe en Afghanistan soient toutes des talibans, le Conseil rejetait le grief pour incitation à la haine en raisonnant comme suit :
« En souhaitant qu’une personne appartenant à un groupe plutôt qu’à un autre soit celle qui périsse des suites d’une catastrophe naturelle, M. Dutrizac affirme indirectement que la vie des talibans vaut moins que celle d’un simple Afghan. Encore une fois, même s’il ne l’affirme pas en ondes, on peut supposer que cette hiérarchisation de la valeur du droit à la vie découle d’un jugement moral, visiblement très sévère, qu’il pose sur les talibans, sur les pratiques largement documentées entourant leur régime politique et plus généralement sur les valeurs défendues par ce groupe. Cette hiérarchisation est-elle forcément de nature à encourager la haine?
[…]
Au vu de ce qui précède, le Conseil juge que M. Dutrizac n’a commis aucune faute en tenant les propos précités. En effet, le Conseil constate dans un premier temps que le mis en cause n’a d’aucune manière incité, par son commentaire, à une quelconque forme de violence envers les talibans. De plus, le Conseil estime que le simple fait de hiérarchiser le droit à la vie de différentes personnes ne constitue pas, en soi, une forme d’incitation à l’exécration ou au dénigrement. Dans le cas présent, cette hiérarchisation se fonde sur un jugement d’ordre moral, qu’un chroniqueur doit être libre d’exprimer, dans la mesure où les effets préjudiciables de l’expression de cette opinion sont minimes. »
Dans le cas qui nous occupe, un bref survol historique de cette guerre qui dure maintenant depuis près de 70 ans, au minimum, suffit pour se rappeler qu’elle n’aura épargné personne, dans un camp comme dans l’autre.
Or, au même titre qu’il n’appartient évidemment pas au Conseil de presse d’arbitrer un tel conflit, en condamnant ou en applaudissant l’une ou l’autre des parties et les méthodes qu’elles utilisent pour se faire la guerre, il n’appartient pas au Conseil de sanctionner, dans ce contexte, l’hommage qui est rendu à la mémoire de la jeune Achraqat. Cependant, c’est le rôle du Conseil de déterminer si le texte constituait une incitation à la violence. À cet égard, le Conseil estime que ce n’est pas le cas : nulle part, dans l’article, l’auteur n’encourage quiconque à poser les mêmes gestes.
Enfin, bien que le Conseil reconnaisse sans difficulté que le plaignant ait certainement pu être choqué par les propos dénoncés, il doit du même souffle rappeler que la liberté d’expression n’aurait aucun sens si elle ne servait pas à protéger des discours qui, justement, peuvent choquer certaines personnes, pour peu qu’ils respectent les limites reconnues. Dans le cas présent, le Conseil estime que ces limites n’ont pas été franchies.
Le grief pour incitation à la violence est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte déposée par David Ouellette et le Centre consultatif des relations juives et israéliennes contre M. Hussein Hoballah, rédacteur en chef, et l’hebdomadaire Sada al-Mashrek/Écho du Levant pour le grief d’incitation à la violence.
Audrey Murray
Présidente par intérim du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- Mme Audrey Murray
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Maxime Bertrand
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Éric Latour
- Mme Nicole Tardif