Plaignant
Christopher Asselin (D2015-12-073)
Marc Vallée (D2015-12-074)
Mis en cause
M. Gaétan Pouliot, journaliste
Le site ICI.Radio-Canada.ca
Résumé de la plainte
MM. Christophe Asselin et Marc Vallée déposent une plainte les 7 et 16 décembre 2015 contre M. Gaétan Pouliot, journaliste et le site ICI Radio-Canada.ca pour une bande dessinée intitulée « Les changements climatiques, c’est vraiment vrai? ». Ils dénoncent une confusion dans l’identification du genre journalistique, de l’information inexacte, de l’information incomplète, de la partialité et de l’expression de mépris et de préjugés.
Un des plaignants, M. Marc Vallée, estime également que la bande dessinée constitue une atteinte à sa réputation scientifique. Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire.
M. Marc Vallée a aussi déposé une deuxième plainte au sujet des climatosceptiques, cette fois contre l’émission « Désautels le dimanche », diffusée le 24 mai 2015. Près de sept mois se sont écoulés entre la diffusion de l’émission et la plainte. Le délai de prescription pour déposer une plainte étant de trois mois, cette deuxième plainte a été jugée non recevable.
Le reportage mis en cause est présenté sous forme de bande dessinée sur les changements climatiques.
Analyse
Grief 1 : confusion dans l’identification du genre journalistique
Un des plaignants, M. Asselin, déplore qu’il n’y ait pas de mention du genre journalistique. Il note que rien n’indique que la BD s’inscrit dans une démarche de ce qu’il considère comme du journalisme d’opinion et que l’auteur de la BD, M. Gaétan Pouliot ne mentionne aucunement que ses écrits sont des textes d’opinion.
M. Christian Thivierge, rédacteur en chef, information multiplateforme à Radio-Canada répond qu’« il est clair pour nous que lors de la recherche, de la conception et de la publication de la bande dessinée notre intention était de proposer au public un contenu lié au journalisme factuel. »
En matière de confusion des genres, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec énonce à l’article 10 (1) et (2) : « Genres journalistiques – (1) Il existe fondamentalement deux genres journalistiques ayant chacun leurs exigences propres : le journalisme factuel et le journalisme d’opinion. (2) Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable afin que le public ne soit pas induit en erreur. »
Après analyse de la bande dessinée, le Conseil juge qu’il s’agit de journalisme factuel puisqu’elle rapporte des faits et des événements et les situe dans leur contexte. D’abord, le contexte du sujet est expliqué au lecteur : « La lutte contre les changements climatiques soulève les passions. L’information scientifique fait parfois face à de la désinformation. Comment départager le vrai du faux? » Puis, les données scientifiques informent le public.
Le Conseil constate que si le dessin tient souvent du journalisme d’opinion, comme dans le cas de la caricature, par exemple, dans le présent cas, il s’agit de journalisme factuel. Ce style moins répandu, le journalisme factuel dessiné, est parfois appelé « bédéreportage ». Le Conseil n’a pas vu de faute d’identification du genre journalistique puisque le reportage était publié dans la section « nouvelles » du site de Radio-Canada. Cependant, le Conseil note que pour le public, il aurait été utile d’identifier davantage le genre du reportage, afin de l’aider à naviguer dans la diversité des nouvelles formes de présentation de l’actualité sur les plateformes numériques.
Le grief de confusion dans l’identification du genre journalistique est rejeté.
Grief 2 : information inexacte
M. Asselin considère que la BD prétend faussement que « les scientifiques qui questionnent la théorie [du réchauffement climatique] sont financés par des compagnies pétrolières ». Ce faisant, de son avis, l’auteur généralise gratuitement, sans preuve.
M. Thivierge souligne que la BD rapporte : « Les opposants au consensus scientifique sont des spécialistes du doute. Parfois, ils tentent d’alimenter la controverse pour défendre des intérêts commerciaux. *** ». Le mis en cause souligne que l’utilisation du mot « parfois » est loin de convenir à « une généralisation » et que les *** renvoient à une note en bas de page qui explique qu’un géant pétrolier a financé des études qui remettent en question le rôle de l’Homme pour expliquer les changements climatiques. (Le caractère gras est du mis en cause)
En matière d’exactitude, le Guide énonce à l’article 9 a) : « Qualités de l’information – Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
Après examen, le Conseil estime, à l’instar du mis en cause, que le journaliste, dans son utilisation du mot « parfois » et des astérisques « *** » qui renvoient à la source de son information, exprime bien que seulement « certaines études » sont financées par des compagnies pétrolières, ce qui apporte les nuances nécessaires et ainsi évite la généralisation. Par ailleurs, le Conseil juge que le journaliste a cité une source crédible pour appuyer son propos, soit le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIEC), organe créé en 1988, par le Programme des Nations Unies pour l’environnement et par l’Organisation météorologique mondiale. En conséquence, le Conseil considère que le journaliste n’a commis aucune inexactitude.
Le grief d’information inexacte est rejeté.
Grief 3 : information incomplète
M. Asselin soulève que le journaliste a omis de présenter le fait que tous les climatosceptiques ne possèdent pas le même point de vue, et que certains sont d’accord pour dire qu’il y a un réchauffement climatique, mais qu’ils contestent l’aspect anthropique de celui-ci, ainsi que sa persistance à long terme.
M. Thivierge avance qu’ils ont choisi de présenter les arguments des climatosceptiques qu’ils considéraient comme les plus récurrents. Il ajoute que le titre même de la bande dessinée demande si les changements climatiques sont véridiques. Le premier phylactère indique « … Le réchauffement de la planète causé par des humains est une menace ». On y précise d’entrée de jeu le type d’arguments dont il sera question dans le document, soutient-il.
En matière de complétude, le Guide mentionne à l’article 9 e) : « Qualités de l’information – Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Le Conseil souligne que l’angle de traitement abordé dans cette bande dessinée consiste à fournir au public des faits pour répliquer aux climatosceptiques et qu’il ne s’agit pas d’un article de fond présentant les arguments pour et contre le réchauffement climatique. Par ailleurs, contrairement à ce qu’avance le plaignant, le Conseil a noté que la bande dessinée rapporte un autre aspect que l’argument anthropique, lorsque le personnage climatosceptique met en cause le soleil. Cela dit, considérant l’angle de traitement, le Conseil juge qu’il n’était pas essentiel de connaître les perspectives divergentes des climatosceptiques pour comprendre le sujet du reportage et que les arguments des climatosceptiques jugés comme les plus récurrents par le journaliste à la suite de ses recherches suffisaient pour éclairer le public dans le cadre du reportage.
Le grief d’information incomplète est rejeté.
Grief 4 : partialité
M. Asselin considère que la BD expose les opinions de l’auteur, en ce sens qu’il laisse entendre que les climatosceptiques sont un groupe homogène qui nie l’existence de ce réchauffement et dont les seuls arguments sont ceux énoncés. M. Vallée, quant à lui, qualifie la BD de « propagande ».
Le représentant des mis en cause maintient que le texte présenté est du journalisme factuel.
M. Thivierge rejette les prétentions du plaignant voulant que le contenu soit de la « propagande ». Il souligne qu’il avait répondu à M. Vallée en décembre dernier : « il s’avère que la communauté scientifique est quasi unanime quant à la responsabilité de l’activité humaine comme cause principale des changements climatiques. Selon le plus récent rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le degré de certitude selon lequel l’activité humaine est la principale cause du réchauffement observé est maintenant fixé à 95 %. »
En matière de partialité, le Guide mentionne à l’article 9 c) : « Qualités de l’information – Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. »
Le Conseil, à la majorité des membres (5/8), estime qu’en considération du consensus dans la communauté scientifique internationale selon lequel l’activité humaine contribue au changement climatique, les éléments rapportés dans la bande dessinée ne font pas état d’un parti pris ni de propagande.
Trois membres du comité ont toutefois exprimé leur dissidence, sur la base de la représentation graphique du climatosceptique. Ils considèrent que certains dessins lui donnent des airs d’abruti ou d’ivrogne et qu’ils révèlent un parti pris du journaliste. Cependant, contrairement aux allégations des plaignants, ils n’y voient pas de propagande et ne considèrent pas que les climatosceptiques sont dépeints comme un groupe homogène.
Le grief de partialité est rejeté à la majorité (5/8 membres).
Grief 5 : expression de mépris et de préjugés
Les plaignants considèrent (1) que les climatosceptiques ont été caricaturés dans cette bande dessinée, que le journaliste « alimente un climat de mépris » envers les climatosceptiques et que cette appellation est en elle-même péjorative, (2) que le personnage du climatosceptique est présenté dans la BD comme un « imbécile à l’esprit simpliste » et finalement (3) que le journaliste fait preuve indirectement de mépris envers […] les auditeurs de la radio de Québec, telle que CHOI-FM, qui est reconnue par l’usage de l’expression “Liberté!” [utilisée par le personnage de la BD], ce qui contribue à alimenter certains préjugés et le mépris de certains envers ceux-ci.
M. Thivierge mentionne qu’il n’avait aucune intention de mépriser qui que ce soit et que si des gens ont été heurtés par le contenu, il s’en excuse. Quant au terme climatosceptique, M. Thivierge rappelle qu’il est utilisé par de nombreux médias et qu’il a d’ailleurs fait son entrée dans le Petit Larousse en 2015. Finalement, quant au segment reproché concernant l’usage de l’expression ‹ Liberté! ». Il s’agit d’une interprétation qu’il ne partage pas, mais dit retenir le commentaire.
En matière matière d’expression de mépris et de préjugés, le Guide énonce à l’article 19 (1) : « Discrimination – (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Selon les plaignants, l’utilisation du mot « climatosceptique » serait péjorative et méprisante. L’édition du Larousse en ligne donne la définition suivante du mot climatosceptique : « Se dit d’une personne qui nie ou minimise l’origine anthropique du réchauffement climatique, voire le réchauffement lui-même ». Le Conseil est d’avis que l’utilisation de ce mot n’est pas péjorative et n’a pas le caractère de méprisant.
Le grief d’expression de mépris et de préjugés est donc rejeté sur ce point.
Les plaignants reprochent ensuite au journaliste d’avoir présenté le personnage du climatosceptique comme un « imbécile à l’esprit simpliste ». À cet égard, le Conseil constate que le personnage climatosceptique est dessiné, tantôt avec un regard menaçant, tantôt avec des vêtements souillés, ou encore l’air ivre dans une taverne avec son poing sur la table devant des bouteilles vides, et qu’il s’exprime notamment en ces termes : « c’est un complot de socialisssse ». Le Conseil juge que cette image négative exprime des préjugés à l’égard des climatosceptiques. En effet, ces traits de caractère, dépeints de façon caricaturale, ne peuvent s’étendre à l’ensemble des climatosceptiques. Cependant, le Conseil conclut, en tenant compte de tous les éléments soulevés, que cette représentation du personnage n’avait pas de caractère méprisant.
Le grief d’expression de mépris et de préjugés est retenu sur l’expression de préjugés, mais rejeté sur le caractère de mépris.
Finalement, les plaignants considèrent que le journaliste fait preuve indirectement de mépris et de préjugés envers […] les auditeurs de la radio de Québec, telle que CHOI-FM, qui est reconnue pour l’usage de l’expression “Liberté!” [utilisée par le personnage de la BD].
Le Conseil, contrairement à l’interprétation des plaignants, estime que l’utilisation de l’expression « Liberté! » dans ce contexte ne relatait pas du mépris, c’est-à-dire la considération qu’un individu un groupe est indigne d’estime ou moralement condamnable. Le Conseil ne considère pas, par ailleurs, que cette expression entretient des préjugés envers les auditeurs des radios de Québec.
Le grief d’expression de mépris et de préjugés est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’expression de mépris et de préjugés est rejeté dans son ensemble, et retenu que sur le seul motif d’expression de préjugés concernant la représentation caricaturale du climatosceptique.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient les plaintes de MM. Christopher Asselin et Marc Vallée contre le journaliste Gaétan Pouliot et blâme le site ICI Radio-Canada.ca pour le grief d’expression de préjugés sur le seul point de la représentation caricaturale du climatosceptique. Cependant, il rejette à la majorité (5/8 membres) le grief de partialité et à l’unanimité les griefs de confusion dans l’identification du genre journalistique, d’information inexacte, d’information incomplète et d’expression de mépris.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Ericka Alnéus
M. Jacques Gauthier
Mme Audrey Murray
Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
M. Martin Francoeur
Mme Audrey Gauthier
Représentants des entreprises de presse :
M. Gilber Paquette
Mme Nicole Tardif