Plaignant
M. Marc Légaré
Mis en cause
MM. Yves Poirier, journaliste et Serge Fortin, vice-président, information, l’émission « TVA Nouvelles » et le Groupe TVA
M. Bernard Barbeau, chef des nouvelles et l’Agence QMI
M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le site Internet www.journaldemontreal.com
Résumé de la plainte
M. Marc Légaré dépose une plainte les 29 janvier et 9 février 2016 contre le journaliste Yves Poirier, le Groupe TVA et l’Agence QMI concernant les deux versions du reportage « Les cendres ne sont pas celles de leur père » diffusées le 24 janvier 2016 et l’article « Brossard : les cendres ne sont pas celles de leur père » publié le même jour sur le site web journaldemontreal.com. Le plaignant déplore des informations inexactes (dans les titres et les reportages), un manque d’équilibre et de l’information incomplète, ainsi que le non-respect de personnes vivant un drame humain.
Le plaignant estime également que les mis en cause étaient en conflit d’intérêts en choisissant de diffuser une fausse histoire de mélange de cendres au lieu d’informer leur public de la qualité très questionnable de la gestion de M. Pierre-Karl Péladeau comme le faisait, cette journée là, le réseau de Radio-Canada. Le Conseil juge que ce grief ne remplit pas les critères de recevabilité définis dans la Politique de recevabilité des plaintes au Conseil de presse du Québec puisque le plaignant ne présente aucun élément de preuve à l’appui de ses allégations. Pour cette raison, le grief de conflit d’intérêts ne sera pas traité.
Le Groupe TVA, l’Agence QMI et le site journaldemontreal.com ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le reportage et l’article mis en cause rapportent les appréhensions de la famille Sharpe qui doute que les cendres remises par le salon funéraire soient réellement celles de leur père, étant donné qu’elles étaient accompagnées d’une étiquette portant le nom de M. Gérald Brault.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
1.1 Titre
Selon le plaignant le titre du reportage télévisé « Les cendres ne sont pas celles de leur père » diffusé au « TVA Nouvelles » et celui de l’article mis en ligne sur Internet, « Brossard : les cendres ne sont pas celles de leur père », seraient inexacts puisqu’il n’y a pas eu d’erreur dans la distribution des cendres. Il déplore également que les titres n’aient pas été formulés au conditionnel.
L’article 9, alinéa a) du Guide de déontologie journalistique stipule : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
Après analyse, la majorité (4/5) des membres jugent que les mis en cause ont commis une faute en présentant des titres formulés sur un mode affirmatif, considérant qu’il ne semble pas y avoir de preuve claire confirmant que « les cendres ne sont pas celles de leur père ». De plus, les membres constatent que les deux familles impliquées ne sont pas aussi catégoriques que les mis en cause et qu’elles ne font qu’émettre un doute sérieux. Afin de refléter cette situation, le titre aurait dû être formulé au conditionnel ou sur un mode interrogatif. Un membre a fait valoir sa dissidence et juge qu’il y avait suffisamment de bases à l’affirmation du journaliste, qui s’est appuyé sur le fait que l’étiquette trouvée avec les cendres indiquait le nom d’un autre homme et sur le fait que le numéro de requête de crémation était le même dans les deux cas.
Le grief est retenu à la majorité sur ce point.
1.2 Refus de commenter
Le plaignant soutient que le journaliste a commis une inexactitude dans le reportage présenté à « TVA Nouvelles » en affirmant ceci : « Joint au téléphone, le président du groupe Le Sieur et frère, Marc Légaré, a indiqué vouloir d’abord rencontrer les familles Sharpe et Brault pour dissiper les doutes, avant de commenter publiquement l’affaire. » Le plaignant affirme au Conseil qu’il n’a jamais refusé de commenter. Il soutient avoir dit au journaliste qu’il souhaitait rencontrer les familles pour dissiper les doutes. Le plaignant aurait commenté la prétention de la famille Sharpe concernant le mélange des cendres en reconnaissant qu’il pouvait y avoir une apparence d’erreur, mais que ce n’était pas le cas.
Le Conseil se trouve ici devant deux versions contradictoires, dont il ne peut vérifier l’exactitude. Dans ce contexte, il donne le bénéfice du doute au journaliste.
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief pour informations inexactes est retenu dans le cas des titres, mais rejeté en ce qui concerne l’information relative au refus de commenter.
Grief 2 : manque d’équilibre et information incomplète
Le plaignant estime que les mis en cause ont manqué d’équilibre en ne présentant pas son point de vue, sur l’heure du midi à l’antenne de LCN n’ayant pas eu l’occasion de parler au journaliste.
De plus, le plaignant déplore un manque d’équilibre et de l’information incomplète dans le reportage diffusé à « TVA Nouvelles », ainsi que dans l’article publié sur le site Internet journaldemontreal.com puisque les mis en cause n’ont pas rapporté ses explications concernant l’imbroglio.
Le journaliste mis en cause soutient quant à lui qu’il a fait preuve d’équité et qu’il a approché toutes les parties en cause avant la diffusion du reportage.
Les alinéas d) et e) de l’article 9 du Guide de déontologie journalistique, traitent du devoir d’équilibre et de complétude des journalistes : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence; e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Dans la décision D2015-10-051, le Conseil blâmait l’empressement d’un journaliste à publier un article qualifiant le plaignant de « faux avocat », alors qu’il n’avait pas pu parler au principal intéressé. Le Conseil a pris en considération l’importance des accusations et le fait que la réputation du plaignant était en jeu et il a jugé qu’il était important d’obtenir le point de vue de celui-ci. Le journaliste ne pouvait prétendre avoir satisfait à l’obligation d’équilibre en ne laissant que quelques heures au plaignant pour répondre.
Le Conseil, après le visionnement du reportage du midi, constate que le journaliste identifie clairement le plaignant et son entreprise et il rapporte être en attente d’une réaction. Selon les documents fournis par le plaignant, le courriel lui a été envoyé à 12 h 33, soit peu de temps avant ou peut-être même après la diffusion du reportage, puisque le journaliste amorce sa conversation avec le lecteur de nouvelles en indiquant qu’il est « ce midi […] en direct de Brossard ».
Le Conseil juge que les mis en cause ont manqué à leur devoir d’équilibre dans les deux versions du reportage et dans l’article. Dans le reportage du midi, rien ne justifiait de diffuser le reportage aussi rapidement. Aux yeux du Conseil, l’enjeu réputationnel était tel que le journaliste se devait à tout le moins de laisser au plaignant un délai raisonnable pour prendre connaissance du courriel et y répondre, ce qu’il n’a pas fait.
En plus, le Conseil estime que le reportage présenté au « TVA Nouvelles », de même que l’article du site journaldemontreal.com, manquent d’équilibre puisque les mis en cause n’y exposent pas le démenti formel du plaignant voulant qu’il puisse y avoir apparence d’erreur, mais que dans les faits, il n’en était rien.
Le grief de manque d’équilibre et d’information incomplète est retenu.
Grief 3 : non-respect de personnes vivant un drame humain
Le plaignant estime que le journaliste a fait preuve de harcèlement à l’endroit des membres de la famille Brault en se rendant au salon funéraire pour les rencontrer, alors qu’ils vivaient un drame humain.
Le Conseil a contacté Mme Manon Brault, fille de M. Gérald Brault, afin qu’elle témoigne du travail de collecte d’information du journaliste. Elle rapporte que le journaliste s’est présenté à la famille à la suite des funérailles, sans caméra et sans micro. Il a accepté leur refus de parler à la caméra et n’a pas insisté lorsqu’elle lui a indiqué ne plus souhaiter répondre à ses questions.
Le journaliste mis en cause confirme le témoignage de Mme Brault. Selon lui, les commentaires des membres de cette famille étaient essentiels à la compréhension du reportage. Il rapporte que Mme Brault lui a confirmé être au courant de l’imbroglio entourant les cendres de son père et avoir émis un doute quant à leur authenticité.
L’article 18.1 du Guide de déontologie journalistique stipule : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de retenue et de respect à l’égard des personnes qui viennent de vivre un drame humain et de leurs proches. Ils évitent de les harceler pour obtenir de l’information et respectent leur refus d’accorder une entrevue. »
Tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’un contexte sensible, la majorité des membres (4/5) juge que le journaliste a fait preuve de respect envers la famille Brault, au moment où celle-ci vivait un drame, notamment en entrant seul, sans micro ni caméra, en demandant la permission aux membres de la famille de leur parler et en respectant leur refus de le faire. De plus, les questions du journaliste étaient d’intérêt pour le sujet traité. Un membre dissident juge qu’un tel comportement est inapproprié, peu importe les précautions prises par le journaliste. Celui-ci aurait dû respecter l’importance du moment, s’abstenir de troubler le deuil de la famille et interroger les personnes à un autre moment, dans un autre lieu.
Le grief de non-respect de personnes vivant un drame humain est rejeté.
Refus de collaborer
Le Groupe TVA, l’Agence QMI et le site journaldemontreal.com ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil déplore le fait que le Groupe TVA, l’Agence QMI et le site journaldemontreal.com aient refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant. Ce reproche ne s’applique pas à M. Yves Poirier qui a répondu à la plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Marc Légaré et blâme le journaliste Yves Poirier, le Groupe TVA, l’Agence QMI et le site journaldemontreal.com pour les griefs d’informations inexactes, ainsi que celui de manque d’équilibre et information incomplète. Cependant, il rejette le grief de non-respect de personnes vivant un drame humain.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Marc-André Dowd
- M. Adélard Guillemette
Représentant des journalistes :
- M. Denis Guénette
Représentant des entreprises de presse :
- M. Luc Simard
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C24A Manque de collaboration
Date de l’appel
20 April 2017
Appelant
M. Yves Poirier, journaliste
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à deux griefs :
- Grief 1 : informations inexactes
- 1.1 Titre
- Grief 2 : manque d’équilibre et information incomplète
Grief 1 : informations inexactes
1.1 Titre
M. Yves Poirier, appelant dans ce dossier, considère qu’il n’était pas incorrect de formuler les titres sur un mode affirmatif, car M. Légaré n’a jamais réussi à prouver à la famille Sharpe qu’elle avait tort de douter. Au contraire, avance M. Poirier, M. Légaré admet son erreur dans un message texte, dans lequel il « admet que le papier qui a semé le doute n’aurait jamais dû se retrouver dans l’urne ». De son avis, dans ce dossier, « le fardeau de la preuve revient à M. Légaré. Il a la responsabilité d’offrir un service exemplaire aux familles endeuillées. »
L’intimé, M. Marc Légaré, soutient que si M. Poirier avait tenté de le rejoindre avant la diffusion des reportages, il aurait pu lui confirmer qu’il était inexact d’affirmer que les cendres n’étaient pas associées à la bonne famille.
Les membres de la commission d’appel jugent, à l’instar du comité de première instance, qu’il n’y avait pas de preuve claire pour formuler des titres sur un mode affirmatif.
L’appel est donc rejeté sur le grief d’informations inexactes.
Cependant, les membres estiment qu’en considération de la jurisprudence établie qui attribue la responsabilité des titres à la direction du média, ils jugent que la responsabilité de M. Poirier n’est aucunement engagée dans la faute déontologique et ils imputent l’entièreté de cette faute au Groupe TVA.
Grief 2 : manque d’équilibre et information incomplète
L’appelant assure avoir rempli son devoir d’équilibre. Il souligne avoir laissé un message vocal et envoyé un courriel en matinée à M. Légaré, avant la diffusion du premier direct au TVA MIDI. Il considère que « la notion du délai raisonnable pour prendre connaissance des courriels ne tient plus la route. L’information est rapide et évolutive. »
Ensuite, M. Poirier soutient que dès qu’il a pu rejoindre M. Légaré, la nouvelle a immédiatement été mise à jour en incluant ses commentaires.
L’intimé souligne que de laisser un message vocal et envoyer un courriel un dimanche matin ne permet pas de rejoindre quelqu’un rapidement. De son avis, il s’agit d’une faute d’entrer en ondes sans avoir donné la version d’une des parties concernées. De plus, ajoute M. Légaré dans ses échanges avec M. Poirier, il lui a confirmé avoir rencontré la famille Brault et dissipé les doutes, ce que le journaliste n’a jamais expliqué.
Les membres de la commission d’appel jugent, à l’instar du comité de première instance, que rien ne justifiait de diffuser le reportage aussi rapidement, sans offrir une couverture équilibrée.
Les membres de la commission rejettent l’appel sur le grief de manque d’équilibre et information incomplète.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance sur les griefs d’informations inexactes et manque d’équilibre et information incomplète. Cependant, les membres retirent le blâme adressé à M. Poirier quant au sujet du titre inexact, considérant que seul le média en est imputable.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 9.3 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membrem s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Hélène Deslauriers
- M. Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
- M. Jean Sawyer
Représentant des entreprises de presse :
- M. Pierre Sormany