Plaignant
Mme Audrey Laliberté St-Pierre, M. Édouard Guay, Mme Lysane Fréchette, Mme Cassie Nantais, Mme Marie Denis, plaignante et Mme Alexandrine Dupuis et 45 plaintes en appuis
Mis en cause
MM. Richard Martineau, chroniqueur et Dany Doucet, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Montréal
M. Sébastien Ménard, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
Mmes Audrey Laliberté St-Pierre, Lysanne Fréchette, Cassie Nantais, Marie Denis, Alexandrine Dupuis, M. Édouard Guay, ainsi que 45 citoyens en appui, déposent une plainte les 10, 11 et 12 février 2016 contre le chroniqueur Richard Martineau et les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, concernant une chronique publiée le 10 février 2016 et intitulée « Les filles, c’est nono (projet de monologue) ». Les plaignants dénoncent une incitation à la violence et des propos méprisants entretenant les préjugés envers les femmes et les musulmans.
Les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ont refusé de répondre à la présente plainte.
La chronique mise en cause a été publiée quelques jours après les témoignages des présumées victimes au procès de l’ex-animateur de radio Jian Gomeshi pour agression sexuelle. La défense avait notamment mis en lumière l’attitude des jeunes femmes après les présumées agressions. L’une d’elles avait tenté de reprendre contact avec M. Gomeshi, dans les heures suivant les gestes reprochés.
Analyse
Grief 1 : incitation à la violence et propos méprisants entretenant les préjugés envers les femmes et les musulmans
Les plaignants estiment que cette chronique comporte des propos sexistes et méprisants entretenant des préjugés envers les musulmans et les femmes et pouvant même inciter à la violence envers ces dernières. Leurs griefs visent cinq passages du texte.
Premièrement, un plaignant déplore l’utilisation de l’adjectif « nounounes » pour qualifier « les femmes qui acceptent les pressions sociales que la société leur impose » dans le passage « Vous ne trouvez pas que les filles sont nounounes, parfois? ». Une plaignante dénonce l’utilisation de l’adjectif pour insinuer que les femmes « n’ont aucune volonté et se soumettent facilement aux hommes ».
Deuxièmement, selon les plaignants, toutes les femmes sont visées par l’interrogation « Vous ne trouvez pas qu’elles font pitié? ». L’un des plaignants écrit : « Il [le chroniqueur] traite les femmes comme des enfants influençables pour lesquels les hommes devraient avoir pitié (sic). Il oppose clairement le statut des hommes et des femmes en insinuant que celles-ci sont inférieures et faibles. »
Troisièmement, les plaignants considèrent qu’en plus d’être sexiste, le passage suivant entretient des préjugés envers les musulmans : « On est le 23 juillet, il fait 35 degrés, c’est chaud, tout le monde étouffe, toi, t’es un gars, tu es en short et en sandales, tu te retournes vers ta femme et tu lui dis: “Tu vas porter un col roulé, des gants noirs, des bas de laine et un gros voile sur la tête parce qu’Allah veut que tu t’habilles comme ça”, et elle va te regarder en disant: “OK!” ».
Quatrièmement, l’une des plaignantes estime que le passage suivant est sexiste et entretient les stéréotypes : « Ou alors, tu regardes ta blonde et tu lui dis : “Chérie, j’aimerais ça que t’aies des plus grosses boules. Pourquoi tu ne vas pas chez le docteur te faire injecter du plastique dans les seins pour me faire plaisir?” La fille va te regarder et va dire: “OK!” » Un autre plaignant écrit que le chroniqueur « invite les hommes à traiter les femmes avec mépris, en jugeant avant tout le physique et le désir de plaire. »
Finalement, les plaignants dénoncent la façon dont le chroniqueur traite du phénomène de la violence conjugale lorsqu’il affirme : « Il y en a même qui se font tabasser par des gars violents… et qui retournent les voir! “Ben voyons, pourquoi t’as recouché avec lui s’il t’a battue? – Parce que c’est une vedette, qu’il est beau et célèbre!” C’est pas un peu nono, ça? ». Ils jugent que le chroniqueur pose un jugement négatif à l’égard des femmes qui ne dénoncent pas et/ou ne quittent pas un conjoint violent. L’une des plaignantes fait valoir que la réaction d’une femme par rapport à son agresseur ne « diminue aucunement l’agression qui fut commise. » Une autre écrit : « Cette violence [envers les femmes] est réelle et ce genre d’article ne peut que l’encourager surtout lorsqu’on y mentionne que la violence conjugale est seulement la faute de la femme qui “accepte” cette violence. » L’une des plaignantes souligne que le texte s’inscrit dans un contexte où plusieurs actes de violences et d’agressions sexuelles envers les femmes font les manchettes. Elle estime que le texte est violent et incite à la violence envers les femmes. Plusieurs plaignants partagent également ce dernier point de vue.
L’article 19, paragraphe (1) du Guide de déontologie journalistique rappelle que « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
L’article 10.2 (1) du Guide souligne quant à lui la liberté dont jouit le journaliste d’opinion, qui « exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. »
Une majorité des membres (3/5) a jugé que le chroniqueur est allé trop loin dans ses propos et qu’il a dépassé les limites de la liberté éditoriale en entretenant des préjugés envers les femmes, ce qui ressort de la phrase « Aucun homme n’accepterait ça ». Aux yeux de ces membres, il a également outrepassé les limites de la déontologie journalistique dans son traitement, dénué de nuances, de la question du voile islamique.
Aux yeux des deux membres dissidents, le mis en cause ne fait pas preuve de préjugés envers les femmes et les musulmans puisqu’il s’agit d’une chronique qui adopte un ton sarcastique et ironique, même si elle peut avoir été maladroite aux yeux de certains.
Les membres du comité ont par ailleurs jugé, à l’unanimité, que les passages dénoncés par les plaignants ne constituent pas une incitation à la violence ni des propos méprisants.
Le grief pour propos entretenant les préjugés envers les femmes et les musulmans est retenu, mais le grief d’incitation à la violence et propos méprisants est rejeté.
Refus de collaborer
Les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil déplore le fait que Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec aient refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, des plaintes les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à la majorité, la plainte de Mmes Audrey Laliberté St-Pierre, Lysanne Fréchette, Cassie Nantais, Marie Denis, Alexandrine Dupuis et M. Édouard Guay et blâme le chroniqueur Richard Martineau et les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec pour le grief de propos entretenant les préjugés envers les femmes et les musulmans. Cependant, le grief pour incitation à la violence et propos méprisants est rejeté.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Marc-André Dowd
- M. Adélard Guillemette
Représentant des journalistes :
- M. Denis Guénette
Représentant des entreprises de presse :
- M. Luc Simard
Analyse de la décision
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C24A Manque de collaboration