Plaignant
M. Frank Fiorillo
Mis en cause
M. Pascal Faucher et le quotidien La Voix de l’Est
Résumé de la plainte
M. Frank Fiorillo dépose une plainte le 1er avril 2016 contre M. Pascal Faucher et le quotidien La Voix de l’Est pour un article intitulé « Frank Fiorillo abandonne son local et ses créanciers », publié le 5 février 2016, portant sur ses problèmes financiers et les créanciers de son entreprise Aliments Fiorillo.
Le plaignant estime que le journaliste Pascal Faucher a rapporté des informations inexactes, qu’il a failli à son devoir de validation de ses sources, qu’il a étalé des antécédents judiciaires sans justification et refusé de corriger les éléments erronés.
Le plaignant déplore également une atteinte à sa réputation et se dit victime de diffamation. Le Conseil n’a pas traité de ces deux derniers griefs puisque cette question n’est pas du ressort de la déontologie journalistique, mais plutôt de la sphère judiciaire.
Analyse
Grief 1 : inexactitudes
Le plaignant soutient qu’aucune accusation de fraude n’a été portée contre lui, contrairement à ce qu’a allégué Jean-Pierre Blanchard, propriétaire de l’ancien local commercial de M. Fiorillo. Dans l’article, M. Blanchard est cité pour avoir déclaré que M. Fiorillo « doit de l’argent à tout le monde. J’ai vu tellement de huissiers passer… C’est carrément de la fraude », lui est-il attribué dans l’article de La Voix de l’Est.
Le plaignant allègue que le journaliste s’est appuyé sur du ouï-dire pour développer son article et non sur des preuves documentaires. Dans une conversation avec M. Faucher, qu’il a enregistrée, M. Fiorillo dit avoir demandé au journaliste s’il avait vu les documents prouvant les créances reprochées. Le journaliste lui aurait répondu qu’il avait eu « des dires ».
M. Fiorillo juge qu’il est faux de prétendre qu’il se serait vanté de faire partie de la mafia italienne et accuse le journaliste de s’être appuyé sur des sources non identifiées.
Dans le même esprit, le plaignant nie avoir proféré des « menaces, verbales ou écrites » à quiconque.
Le plaignant qualifie également de faussetés les propos attribués à M. André Gazaille, qui affirme avoir reçu « des menaces de mort par texto » de la part de M. Fiorillo.
L’article avance également que M. Fiorillo doit « près de 500 heures » de travail à M. Stéphane Pelland qui soutient avoir agi comme surintendant à son usine, ce qui est démenti par le plaignant. Aucun contrat ni document ne peut prouver que ce temps n’a pas été payé.
Finalement, le plaignant affirme n’avoir reçu aucune plainte ni accusation en lien avec des dettes d’argent de la part de nombreux créanciers.
La Voix de l’Est réplique que les accusations de fraude mentionnées dans l’article font référence à des doléances exprimées par des créanciers de M. Fiorillo et qu’il ne s’agit pas d’accusations de nature judiciaire.
Au chapitre des dettes diverses détenues par M. Fiorillo, le journaliste précise avoir joint 10 créanciers de M. Fiorillo par téléphone et affirme que ces personnes lui auraient confirmé que le plaignant leur devait d’importantes sommes d’argent.
Le journaliste affirme que trois de ces personnes lui auraient dit que le plaignant s’était vanté de faire partie de la mafia italienne, « en guise d’intimidation ».
Sur la question des menaces, sur les 10 créanciers joints, le journaliste dit que trois personnes ont fait état de menaces reçues.
Concernant les menaces de mort rapportées par M. Gazaille, le journaliste dit avoir vu, sur le téléphone de ce dernier, les menaces envoyées par M. Fiorillo par texto.
Le journaliste affirme qu’il ne pouvait confirmer le nombre d’heures impayées. M. Faucher soutient toutefois que cette information « coïncide avec les autres informations » qu’il dit avoir recueillies.
En matière d’exactitude de l’information, le Guide de déontologie journalistique, précise à l’article 9 que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes: a) exactitude: fidélité à la réalité; (…) »
Le Conseil constate que le journaliste avait une obligation de moyens et qu’il a fait valider ses informations par différentes sources, en communiquant avec 10 personnes identifiées comme étant des créanciers de M. Fiorillo.
Le journaliste a ainsi accumulé plusieurs sources sur les propos liées aux créances, à l’expression de menaces, à la mention de la mafia et dit avoir vu, lui-même, un texto contenant une menace de mort.
Le Conseil note également que M. Fiorillo ne dément pas l’affirmation voulant qu’il possède des dettes. Il est d’ailleurs cité à cet effet dans l’article du journaliste: « mais quelle entreprise n’a pas de dettes ». Ces propos n’ont pas été pointés comme une inexactitude.
Le grief d’inexactitudes a donc été rejeté.
Grief 2 : omission de vérifier l’information transmise par des sources
Le plaignant juge que trois des sources citées dans l’article ne sont pas crédibles. Il allègue que MM. Jean-Pierre Blanchard, André Gazaille et Stéphane Pelland étaient engagés dans une campagne de salissage contre lui.
Il est reproché au journaliste Pascal Faucher d’avoir publié de fausses informations sans les avoir vérifiées et sans avoir fait des recherches appropriées sur ses sources. De l’avis du plaignant, cet article comporte de graves accusations fondées sur un travail « bâclé ».
Le plaignant a joint à sa plainte une copie d’un subpoena où il est cité comme témoin dans une cause où l’une des sources du journaliste, M. Pelland, est accusée d’un vol de moins de 5000 $. Il suggère ainsi que M. Pelland serait partial et intéressé.
Le journaliste réplique qu’il est difficile de croire que les 10 personnes jointes par le journal auraient pu se liguer « pour salir une personne qui n’aurait rien à se reprocher ».
M. Faucher affirme que les factures impayées des entreprises constituent une preuve documentaire pour soutenir les informations avancées dans son article.
Le mis en cause ajoute également que la parole d’une personne, M. Fiorillo, s’oppose à celle de 10 autres. « En droit civil, cela s’appelle la prépondérance de preuves », conclut le journaliste.
En matière de fiabilité des sources, le Guide de déontologie journalistique précise à l’article 11 que « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. »
Ce même Guide énonce à l’article 20.1(2) le principe selon lequel toute personne a droit à un procès juste et équitable et au respect de la présomption d’innocence : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de rigueur et de prudence avant d’identifier publiquement des personnes soupçonnées d’actes illégaux, en l’absence d’accusations formelles. »
Le Conseil note que même en l’absence d’accusation judiciaire, les nombreux témoignages obtenus par le journaliste Pascal Faucher lui permettaient de s’avancer quant à l’état des créances de M. Fiorillo.
Cela dit, tenant compte des éléments soumis par M. Fiorillo, il appert aux yeux du Conseil qu’il aurait été de mise d’user de prudence avant de citer M. Stéphane Pelland, qui a déjà eu un conflit s’étant traduit en justice avec M. Fiorillo.
Le Conseil a pu constater que M. Pelland a été trouvé coupable d’un vol d’argent de moins de 5000 $ contre Aliments Fiorillo.
De l’avis du Conseil, le journaliste aurait dû, au nom de la prudence et eut égard à la fiabilité de M. Pelland compte tenu de ses antécédents judiciaires, s’abstenir de le citer dans le cadre de son article.
Le grief de manque de manque de prudence et d’omission de vérifier l’information transmise par une source est retenu, mais uniquement pour la source Stéphane Pelland.
Grief 3 : publication non justifiée d’antécédents judiciaires
Le plaignant déplore que le journaliste ait choisi de mentionner que « douze inscriptions figurent à son dossier criminel, incluant intimidation, voies de fait armées, fraude et recel ».
M. Fiorillo ajoute qu’il a fait une demande de pardon au gouvernement fédéral pour ces antécédents et que ceux-ci n’avaient pas à être révélés. Il reproche également au journaliste d’avoir détaillé la liste de ses antécédents judiciaires, alors qu’il ne l’a pas fait pour d’autres intervenants et sources utilisées dans cet article.
Le journaliste estime qu’il était pertinent de mentionner les antécédents de M. Fiorillo, en raison de la nature même des allégations formulées contre lui en matière de fraude et d’intimidation.
Ces antécédents venaient en quelque sorte appuyer ou donner de la crédibilité aux affirmations avancées par les sources contactées.
M. Faucher a précisé au Conseil que les antécédents judiciaires de M. Fiorillo figuraient au plumitif et que ceux-ci étaient toujours visibles lorsqu’il a publié son article.
En matière d’antécédents judiciaires, le Guide de déontologie journalistique mentionne à l’article 20.3 que « Les journalistes et les médias d’information ne font pas mention des antécédents judiciaires d’une personne ne faisant pas l’objet de procédures judiciaires, à moins qu’une telle identification ne soit d’intérêt public. »
Il convient ici de citer la jurisprudence du Conseil dans le dossier D2013-11-064 (2). Une plainte avait été déposée parce qu’un candidat à la mairie de la Ville de Québec avait vu ses antécédents judiciaires révélés dans les médias, malgré l’obtention de son pardon. Le Conseil avait rejeté la plainte en prenant en considération les fonctions auxquelles aspirait ce candidat. Dans ce cas, la publication de ses antécédents a été jugée pertinente. Cela dit, le Conseil avait reconnu que la décision de publier des informations judiciaires qui ont fait l’objet d’un pardon est très délicate et doit être précédée d’un examen réfléchi sur la pertinence de les dévoiler.
Dans le cas de M. Fiorillo, en dépit d’une démarche de pardon en cours, celui-ci n’était pas accordé au moment où M. Faucher a rédigé et publié son article. Les antécédents étaient donc toujours publics et qui plus est, dans le contexte de l’article, ceux-ci permettaient une meilleure compréhension de la situation.
Le grief de publication non justifiée d’antécédents judiciaires est donc rejeté.
Grief 4 : absence de correctifs
Le plaignant dit avoir demandé un rectificatif dans une mise en demeure envoyée aux mis en cause. Aucun correctif n’a été apporté.
Le plaignant soutient que le manque de vérification et les informations inexactes qui ont été publiées ont eu des conséquences et que des correctifs s’imposaient.
Réfutant avoir publié des éléments inexacts, La Voix de l’Est n’a apporté aucune correction au texte de son journaliste Pascal Faucher.
Lorsque des erreurs sont rapportées, le Guide de déontologie journalistique prévoit à l’article 27.1 que « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Le Conseil juge que la demande du plaignant n’était pas suffisamment précise pour que le média puisse identifier exactement quelles étaient les erreurs dénoncées.
Le grief d’absence de correctifs est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Frank Fiorillo et blâme Pascal Faucher, journaliste à La Voix de l’Est pour avoir omis de valider la fiabilité d’une source. Il rejette cependant les griefs d’inexactitudes, de publication injustifiée des antécédents judiciaires et de refus d’apporter des correctifs.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours après la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
- M. Marc Verreault
Représentant des entreprises de presse :
- M. Raymond Tardif
Date de l’appel
19 April 2018
Appelant
Pascal Faucher, journaliste
Le quotidien La Voix de l’Est
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEF DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à un grief :
Grief 1 : omission de vérifier l’information transmise par des sources
Grief 1 : omission de vérifier l’information transmise par des sources
L’appelant, M. Pascal Faucher, en appelle du grief d’omission de vérifier l’information transmise par des sources, et plus précisément le paragraphe [34] de la décision : « Le grief de manque de prudence et d’omission de vérifier l’information transmise par une source est retenu, mais uniquement pour la source Stéphane Pelland. »
M. Faucher souligne que le litige opposant M. Pelland à M. Fiorillo est postérieur à la publication de l’article en cause. Il soumet que « le reportage a été publié le 6 février 2016 tandis que M. Pelland a comparu une première fois en Cour le 14 avril 2016 pour un vol de moins de 5000 $ commis aux dépens de M. Fiorillo (il a été condamné à 50 heures de travaux communautaires le 15 février 2017). Il n’y avait donc pas moyen pour moi de confirmer qu’un litige opposait les deux hommes au moment de rédiger, bien que M. Fiorillo m’ait dit qu’il soupçonnait son ancien partenaire d’affaires de l’avoir volé ».
À la lumière de la chronologie des faits présentée par l’appelant, les membres de la commission d’appel considèrent que ce dernier apporte des éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’omission de vérifier l’information transmise par une des sources, soit M. Stéphane Pelland. En effet, les membres constatent que le journaliste ne pouvait avoir accès au verdict de culpabilité de M. Pelland, avant la publication de son article, ce dernier ayant été reconnu coupable le 1er mars 2016, soit un mois après la publication de l’article qui fût diffusé le 5 février 2016.
Les membres accueillent l’appel sur le grief d’omission de vérifier l’information transmise par des sources.
RÉPLIQUE DE L’INTIMÉ
L’intimé n’a soumis aucune réplique sur ce point.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission concluent à l’unanimité de renverser la décision rendue en première instance sur le grief d’omission de vérifier l’information transmise par des sources.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est retenu sur le grief d’omission de vérifier l’information transmise par des sources et le dossier cité en titre est fermé.
Pierre Thibault, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Pierre Thibault
Représentante des journalistes :
- Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
- M. Renel Bouchard