Plaignant
M. Alexandre Fatta
Mis en cause
M. Richard Martineau, journaliste
L’émission « Martineau »
La station CHOI 98,1 FM
Résumé de la plainte
M. Alexandre Fatta dépose plainte, le 5 mai 2016, contre M. Richard Martineau et la station de radio CHOI 98,1 FM, auxquels il reproche une série de fautes journalistiques. Il juge que M. Martineau, lors d’une chronique diffusée pendant l’émission « Martineau », a commis plusieurs inexactitudes, donné une information incomplète et porté atteinte à la dignité de plusieurs groupes, en plus d’entretenir à leur égard des préjugés.
L’intervention de M. Martineau visée par la plainte porte sur un texte publié le 19 février 2016 dans le magazine en ligne Ricochet, intitulé « Notice nécrologique : Richard Martineau (1961-2016) », sous la plume de Marc-André Cyr. Le texte était accompagné de caricatures signées par le plaignant, dont une montrant un chien urinant sur la pierre tombale de M. Martineau.
La station CHOI 98,1 FM n’a pas répondu à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : inexactitudes
1.1 Objet de la caricature
M. Fatta estime qu’il est faux d’affirmer, comme le fait M. Martineau durant son intervention, que « Marc-André Cyr […] a montré un dessin de chien en train de pisser sur moi, mon cadavre, etc. ». Il soutient qu’aucune caricature accompagnant le texte « ne représente un chien urinant sur M. Martineau ou son cadavre ».
En matière d’exactitude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec précise, à l’article 9, alinéa a) (Qualités de l’information, exactitude): « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité; »
Le Conseil a bien analysé l’extrait dénoncé par le plaignant. Il en ressort qu’au début de l’émission, M. Martineau affirme : « Alors Marc-André Cyr remet ça. Ça c’est le prof de l’UQAM qui a montré un dessin de chien en train de pisser sur moi, mon cadavre, etc. Il a écrit un texte, qu’on devrait jeter mon cadavre aux vautours, qui est invité par la FPJQ. » De fait, la caricature coiffant le texte publié par Marc-André Cyr, le 19 février 2016, montre un chien urinant sur une pierre tombale où l’on peut lire le nom « Richard Martineau », pendant qu’un autre chien, qui se retient d’uriner, le presse d’accélérer en l’enjoignant à faire « Vite! ».
Aux yeux du Conseil, on ne saurait ici imputer au chroniqueur une faute d’inexactitude. Même si à proprement parler une tombe n’est pas un cadavre, il faut reconnaître que celui-ci est habituellement enfoui directement en dessous.
Cet aspect du grief d’inexactitude est rejeté.
1.2 Jeter le cadavre de M. Martineau aux vautours
M. Fatta reproche au chroniqueur d’avoir affirmé ceci : « Il a écrit un texte [disant qu’]on devrait jeter mon cadavre aux vautours ». Le plaignant juge qu’« il n’est question nulle dans le texte de M. Cyr de jeter le cadavre de Martineau aux vautours ». Une fois de plus, le Conseil juge qu’on ne peut imputer ici au chroniqueur une faute d’inexactitude; tout au plus s’agit-il d’une imprécision. Car s’il est vrai que le texte de Marc-André Cyr n’évoque aucun vautour, en revanche l’avant-dernier paragraphe se lit comme suit : « La pluie, le vent, les chiens et les oiseaux auront la chance de transformer ces restes en une œuvre rendant hommage à l’infinie profondeur de la bêtise humaine. »
Cet aspect du grief d’inexactitude est rejeté.
1.3 M. Cyr « n’est pas professeur, mais chargé de cours »
Le plaignant reproche à M. Martineau d’avoir affirmé que M. Cyr est « prof [à] l’UQAM », alors qu’en fait, il ne serait que « chargé de cours ».
Il est vrai que selon le site Internet du département de science politique de l’UQAM, Marc-André Cyr n’a pas le statut de professeur, mais bien celui de chargé de cours. Or, ici encore, il faut écouter la chronique dans son ensemble plutôt que de s’attarder uniquement et strictement à cet élément, car un peu plus loin, M. Martineau affirme également : « ce gars-là est prof, il a une charge de cours dans une université ». Il semble donc établir une équivalence entre les deux statuts, et dans les circonstances, on doit une fois de plus juger qu’il s’agit davantage d’une imprécision que d’une faute d’inexactitude.
Cet aspect du grief est rejeté.
1.4 Montrer son cadavre « à tout bout de champ »
M. Fatta reproche à M. Martineau d’avoir affirmé que M. Cyr « montre [son] cadavre à tout bout d’champ », alors que son cadavre n’apparaît pas dans les caricatures accompagnant le texte de Marc-André Cyr.
La seule fois où le cadavre de M. Martineau a été représenté, prétend le plaignant, c’est dans une caricature publiée le 24 avril 2016 par le plaignant, et reprise le même jour par M. Cyr, via son compte Facebook. Il conclut donc que l’expression utilisée par M. Martineau – « à tout bout de champ » – est « mensongère ».
Comme l’affirme le plaignant, le cadavre de M. Martineau, à proprement parler, n’apparaît pas dans les caricatures accompagnant l’article de M. Cyr. Or, comme il a été établi au paragraphe [8], le chroniqueur pouvait légitimement assimiler le dessin d’une pierre tombale à une représentation de son « cadavre », au sens large.
De plus, on doit également considérer que l’on voit dans ces caricatures un dessin de M. Martineau, alors bébé, jeté vivant dans une poubelle. On peut aisément s’imaginer qu’un enfant subissant un tel sort en mourrait et deviendrait alors, au sens strict, un cadavre.
De plus, il appert que M. Cyr a également repris, sur son compte Facebook, une caricature signée par M. Fatta où l’on voit la conjointe de M. Martineau tenant dans ses bras la dépouille de ce dernier.
Il n’était donc pas exagéré d’affirmer, comme l’a fait M. Martineau, que M. Cyr montrait son cadavre « à tout bout de champ », puisque de façon générale, le thème de la mort de Richard Martineau a été abordé à au moins trois reprises dans l’article et les caricatures en question.
Cet aspect du grief est rejeté.
1.5 Trois affirmations que Cyr n’aurait jamais faites
Le plaignant dénonce également trois affirmations que M. Martineau imputerait à M. Cyr, que ce dernier n’aurait cependant jamais faites : « Y a quelqu’un qui dit : lorsqu’on n’est pas d’accord avec des journalistes, [1] on a le droit de les montrer morts, [2] on a le droit de souhaiter leur mort, [3] on a le droit de dire que les chiens devraient pisser dessus ».
Les recherches du Conseil n’ont pas permis de retrouver de telles déclarations faites par M. Cyr.
Il serait erroné, de toute manière, de prendre encore une fois cette question au premier degré. En effet, on doit plutôt se demander si M. Martineau n’était pas en droit de dire qu’en publiant ce texte, M. Cyr défendait effectivement certaines idées : 1) avoir le droit de montrer un chroniqueur mort; 2) avoir le droit de souhaiter sa mort; 3) avoir le droit de dire que des chiens devraient « pisser » dessus.
De fait, on doit présumer que M. Cyr croyait légitimement qu’il pouvait écrire ce qu’il a écrit et montrer les caricatures qui accompagnaient son texte. Aux yeux du Conseil, il n’est donc pas exagéré de dire qu’ainsi M. Cyr défendait, à tout le moins indirectement, une certaine idée des limites de la liberté d’expression, selon laquelle il est permis de 1) montrer un chroniqueur mort; 2) souhaiter sa mort et 3) montrer des chiens urinant sur son cadavre.
Cet aspect du grief est donc rejeté.
1.6 Responsabilité pour les caricatures
M. Fatta prétend que M. Martineau « rend, par ailleurs, responsable M-A Cyr des caricatures, mais ce dernier n’en est pas l’auteur; c’est moi qui les ai faites ».
Le Conseil a bien analysé la chronique de M. Martineau. Au tout début, ce dernier affirme : « Alors Marc-André Cyr remet ça. Ça c’est le prof de l’UQAM qui a montré un dessin de chien en train de pisser sur moi, mon cadavre, etc. » Puis il poursuit : « Là, sur sa [celle de Marc-André Cyr] page Facebook, il a mis un dessin. C’est ma blonde, Sophie Durocher, qui tient dans ses mains mon cadavre. » (nos soulignements)
Dans ces deux passages, rien n’indique que M. Cyr est « responsable » des caricatures, comme le prétend M. Fatta. Le fait de « mettre » des caricatures ne suppose pas qu’on en soit l’auteur pour autant.
Cet aspect du grief est donc également rejeté.
En conséquence, le grief pour inexactitudes est rejeté.
Grief 2 : information incomplète
M. Fatta dénonce la description que fait M. Martineau d’une caricature publiée le 24 avril 2016 et reprise par M. Cyr sur son compte Facebook : « Il a mis un dessin, c’est ma blonde Sophie Durocher qui tient dans ses mains mon cadavre. Elle pleure, elle dit : “Richard, Richard”; c’est marqué “Sophie Durocher découvre la mort de Richard”, elle tient mon cadavre dans ses mains pis là y a un chien qui a envie de pisser, il dit : “Pose-le par terre vite, parce que je vais pisser dessus” ».
Or, il estime que M. Martineau, omet, dans sa description, « l’élément principal, celui qui donne son sens à cette image, la cause de la “mort de Richard” : un boomerang que le personnage représentant Richard Martineau a reçu en plein front et qu’il a, logiquement, lui-même lancé. Sur ce boomerang on peut lire le mot “haine” […]. Il est évident qu’en omettant ce détail, Richard Martineau laisse croire à ses auditeurs que cette caricature est violente, vulgaire et gratuite. »
En matière de complétude, le Guide précise, à l’article 9, alinéa e) (Qualités de l’information, complétude): « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Le Conseil ne partage pas le point de vue du plaignant selon lequel M. Martineau devait, sous peine de commettre une faute d’incomplétude, préciser les causes apparentes de sa mort, une caricature étant assurément un produit journalistique devant être interprété et comportant le plus souvent une multitude de niveaux de significations. Il n’est pas de la responsabilité du Conseil d’imposer aux journalistes d’opinion une interprétation précise d’une question aussi polémique.
En conséquence, le grief pour information incomplète est rejeté.
Grief 3 : atteinte à la dignité et propos entretenant les préjugés
3.1 Insultes et jurons à l’encontre de M. Cyr
M. Fatta vise dans un premier temps les propos de M. Martineau à l’endroit de M. Marc-André Cyr : « Un tabarnak comme ça qui montre mon cadavre à tout bout de champ »; « le tabarnak de sacrament d’estie de calice »; « comment ça se fait que la FPJQ invite un tabarnak »; « c’est un écoeurant ».
Le plaignant estime que M. Martineau, « en lançant des insultes et des jurons à l’endroit de Marc-André Cyr » contrevient à l’article 18 (1) du Guide, Protection de la dignité et de la vie privée.
Le Guide prévoit effectivement, à l’article 18 (1) que « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. »
Il y a lieu de rappeler qu’une atteinte à la dignité doit nécessairement s’évaluer à l’aune du contexte dans lequel ont été proférés les propos jugés vexatoires. C’est ce qui fait, par exemple, qu’on jugera différemment les mêmes propos selon qu’ils visent une personne reconnue coupable de meurtres en série, un politicien ou un simple citoyen qui se tient à l’écart de la vie publique.
Dans le cas présent, le Conseil observe que le contexte était particulièrement explosif. Bien qu’on puisse difficilement nier que les propos tenus par M. Martineau soient particulièrement virulents, on doit du même souffle rappeler qu’ils ont été tenus en réaction à une charge tout aussi virulente de M. Cyr, elle-même menée, apparemment, pour dénoncer les diverses prises de position de M. Martineau.
En premier lieu, peut-être est-il utile de rappeler que le Conseil de presse s’est toujours refusé à jouer le rôle de police de la langue, qui interdirait l’usage de blasphèmes ou de jurons. Ainsi, les jurons et blasphèmes ne sont jamais jugés en tant que jurons ou blasphèmes, mais davantage comme des termes pouvant éventuellement être jugés offensants et donc portant potentiellement atteinte à la dignité d’une personne ou d’un groupe.
Après analyse, le Conseil juge qu’il ne peut accueillir le grief pour atteinte à la dignité. Aux yeux des membres du comité de plainte, dans un contexte aussi singulier, où des attaques personnelles d’une rare virulence étaient lancées de part et d’autre, il serait déraisonnable de sanctionner les propos tenus par M. Martineau pendant sa chronique.
En conséquence, cet aspect du grief est rejeté.
3.2 Préjugés à l’égard de la gauche, de la FPJQ et du Conseil du statut de la femme
Le plaignant vise dans un deuxième temps les propos suivants de M. Martineau : « La liberté d’expression est à deux vitesses. Y’en a une pour la gauche qui peut se permettre les pires grossièretés, les pires vulgarités possibles et on va applaudir comme ça et pour la droite, nous autres, ben non, tu dis une petite affaire de travers et là tabarnouche, t’as des plaintes du Conseil de presse là pis envoye-donc pis la FPJQ ils vont te taper sur les doigts pis le Conseil du Statut de la femme; hou la la la!
« Là c’est la gauche radicale qui ont la bave aux lèvres, qui sont comme des chiens enragés, la gauche radicale qui n’accepte pas [de ne pas] avoir le micro à elle toute seule, qui doit le partager. Maintenant il y a des gens de droite qui parlent pis qui ont pas peur de dire qu’ils sont de droite, pis y en a de plus en plus […] pis là, la gauche qui avait le haut du pavé, avant, elle devient… elle bave! Elle a l’écume aux lèvres, elle l’accepte pas, pis là elle est prête à tous les pires coups et là, grâce à leurs amis de la FPJQ, ils vont être entendus, ils vont avoir un haut-parleur ces gens-là. »
Selon M. Fatta, ces propos alimentent les préjugés à l’égard de la gauche, de la FPJQ et du Conseil du statut de la femme.
En matière de préjugés, le Guide précise, à l’article 19 (1), portant sur la discrimination, que « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Le Conseil estime ici que le plaignant n’a pas démontré quels préjugés auraient été entretenus par le chroniqueur. Une simple critique formulée envers certaines personnes ou certains organismes ne constitue pas, en soi, de la discrimination ou encore un discours entretenant des préjugés.
Le grief pour discours entretenant des préjugés est rejeté.
En conséquence, les griefs pour atteinte à la dignité de M. Cyr et discours entretenant des préjugés sont rejetés.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le fait que la station CHOI 98,1 FM ait refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Alexandre Fatta contre M. Richard Martineau et la station CHOI 98,1 FM pour les griefs d’inexactitudes, d’information incomplète et d’atteinte à la dignité et propos entretenant les préjugés.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Paul Chénard
- M. Marc-André Dowd
- M. Jacques Gauthier
Représentants des journalistes :
- Mme Audrey Gauthier
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif