Plaignant
Mme Francine Lanoue
Mis en cause
Mme Claudia Berthiaume, journaliste et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Mme Francine Lanoue dépose une plainte le 9 mai 2016 contre la journaliste Claudia Berthiaume et le quotidien Le Journal de Montréal concernant l’article « Une ado demande pardon à la famille d’un homme assassiné », publié le 5 février 2016. La plaignante déplore de l’information inexacte et un manque de respect envers des proches de victimes.
L’article mis en cause rapporte les remords de Maria Dylane Ouellette qui était amie avec les meurtriers de M. Gary Quenneville, ex-conjoint de la plaignante. Mme Ouellette souhaite demander pardon à la famille estimant qu’elle aurait pu empêcher les deux adolescents de mettre leur funeste projet à exécution.
Le Journal de Montréal a refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
La plaignante conteste l’exactitude de l’attribution de la citation dans le passage suivant : « “Ça me donne de l’espoir pour l’avenir. Elle a une conscience” a réagi Francine Lanoue, ex-conjointe de Gary Quenneville, lorsque Le Journal l’a informée de la démarche de Marie Dylane Ouellette hier. » La plaignante reproche à la journaliste d’avoir faussement laissé entendre qu’elle l’avait directement contactée pour recueillir ses commentaires.
Dans sa réplique, la journaliste fait valoir que l’article indique que les propos de la plaignante ont été recueillis par l’entremise d’un proche. Elle précise qu’après avoir tenté, par plusieurs moyens, de joindre directement la plaignante sans obtenir de réponse, elle a contacté d’autres membres de la famille de M. Quenneville. C’est dans ce contexte qu’elle a demandé à Mme Evelyne N. Quenneville, ex-belle-soeur de la plaignante, de jouer un rôle d’intermédiaire afin d’expliquer à la plaignante les motifs de ses prises de contact et demander si elle avait quelque chose à lui dire. Mme Quenneville a accepté de contacter la plaignante puis elle a rapporté à la journaliste la réaction de la plaignante à la démarche de Maria Dylane Ouellette, rapporte la journaliste.
À l’article 9, alinéa a), le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec stipule : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
À la lecture de l’article, le Conseil constate que celui-ci comporte trois citations attribuées à la plaignante. Une seule, la deuxième, précise que les propos de la plaignante ont été recueillis par « l’entremise d’une proche ». Les deux autres citations laissent croire aux lecteurs que la journaliste a directement parlé avec la plaignante.
Aux yeux du Conseil, la journaliste aurait dû préciser l’existence d’une intermédiaire dès la première citation. L’attribution de la citation visée par la présente plainte laisse croire que la journaliste et la plaignante se sont parlé directement, ce qui est mensonger.
Le grief d’information inexacte est retenu.
Grief 2 : manque de respect envers des proches de victimes
La plaignante considère que la journaliste a manqué de respect à son endroit et envers sa fille en publiant sa réaction aux commentaires d’une complice du meurtrier de son ex-conjoint. Ces commentaires privés n’étaient pas destinés au public. La journaliste aurait dû la contacter personnellement pour lui demander son autorisation avant de les publier.
De son côté, la journaliste nie avoir voulu manquer de respect envers la plaignante et sa fille. Elle estime qu’il était légitime de souhaiter les commentaires de la plaignante étant donné que la jeune fille faisant l’objet de l’article se demandait si les proches de la victime accepteraient ses excuses. De plus, elle remarque que la plaignante a parlé aux médias à plusieurs reprises depuis le crime. La journaliste rapporte qu’elle n’a jamais eu de refus de commenter explicite de la part de la plaignante qu’elle a tenté de joindre directement avant de le faire indirectement par Mme Quenneville, son ex-belle-soeur. Elle estime que si la plaignante n’avait pas voulu que ses commentaires soient transmis à la journaliste, elle l’aurait « clairement » dit à Mme Quenneville. « Si la réponse des proches avait été qu’ils n’acceptaient pas les excuses, ou qu’ils ne souhaitaient pas me parler tout court, j’aurais agi en conséquence », affirme la journaliste qui ajoute : « Je suis sensible au fait que cela [les articles rappelant l’assassinat de M. Quenneville] peut faire revivre certaines émotions à la famille de la victime. Je demeure néanmoins convaincue d’avoir écrit, avec respect, un reportage qui s’avère d’intérêt public. »
Le Guide rappelle à l’article 18.1 que « [l]es journalistes et les médias d’information font preuve de retenue et de respect à l’égard des personnes qui viennent de vivre un drame humain et de leurs proches. Ils évitent de les harceler pour obtenir de l’information et respectent leur refus d’accorder une entrevue. » À l’article e) du préambule, le Guide définit ainsi l’intérêt public : « Attendu que la notion d’intérêt public varie selon chaque société et chaque époque et que le respect de l’intérêt public amène journalistes et médias d’information à privilégier les informations pouvant répondre aux préoccupations politiques, économiques, sociales et culturelles des citoyens afin que ceux-ci puissent participer de manière éclairée à la vie démocratique. »
Après analyse, la majorité des membres (3/6, avec vote prépondérant de la présidente du comité) juge que la journaliste a manqué de respect envers la plaignante puisqu’elle aurait dû interpréter l’absence de réponse à ses demandes d’entrevue comme le souhait de la plaignante de ne pas communiquer avec les médias. La déontologie journalistique imposait à la journaliste de respecter le droit au silence de la plaignante et de faire preuve de prudence. La majorité des membres du comité estime qu’en utilisant une intermédiaire, la journaliste a obtenu indirectement ce qu’elle ne parvenait pas à obtenir directement. En outre, l’intérêt public ne justifiait pas de publier la réaction de la plaignante alors qu’elle ne souhaitait pas avoir de contact journalistique.
Le grief de manque de respect envers des proches de victimes est retenu à la majorité. Un membre rejette le grief et deux autres se sont abstenus.
Refus de collaborer
Le quotidien Le Journal de Montréal a refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte. Ce reproche ne s’applique pas à Mme Claudia Berthiaume qui a répondu à la plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Francine Lanoue et blâme la journaliste Claudia Berthiaume et le quotidien Le Journal de Montréal pour le grief d’information inexacte. Par ailleurs, le Conseil retient, à la majorité (3/6, avec vote prépondérant de la présidente du comité), le grief de manque de respect envers des proches de victimes.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Audrey Murray
Présidente par intérim du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- Mme Audrey Murray
- Mme Linda Taklit
Représentant des journalistes :
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Éric Latour
- Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
19 April 2018
Appelant
Mme Claudia Berthiaume, journaliste
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelante conteste la décision de première instance relativement à deux griefs :
Grief 1 : information inexacte
Grief 2 : manque de respect envers des proches de victimes
Grief 1 : inexactitudes
L’appelante, la journaliste Claudia Berthiaume, affirme que les citations attribuées à Mme Lanoue sont « rigoureusement conformes » aux mots rapportés par la belle-soeur de cette dernière.
La journaliste reconnaît qu’elle n’a pas parlé directement à Mme Lanoue et qu’elle aurait « peut-être dû le mentionner dès la première phrase », mais elle estime « ne pas être en tort pour autant ».
La journaliste avance qu’un lecteur avisé comprend que les propos de Mme Lanoue ont été obtenus par l’entremise d’un proche.
Mme Francine Lanoue explique que bien qu’elle ait parlé à sa belle-soeur, elle lui avait « clairement dit que ce qu’elle venait de lui dire ne concernait pas les médias », que « le pardon n’est pas une chose publique » et que ses proches étaient « loin d’être prêts à pardonner ». Elle se questionne sur le choix de la journaliste de la faire parler par un intermédiaire. Elle considère que la journaliste n’a pas respecté ses demandes faites à sa belle-soeur et qu’elle a fait preuve d’un « manque de jugement ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelante n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’exactitude.
Les membres rejettent l’appel sur le grief d’information inexacte.
Grief 2 : manque de respect envers des proches de victimes
La journaliste est d’avis que le Conseil a interprété à tort qu’elle n’a pas respecté le droit au silence de Mme Lanoue. Elle souligne qu’elle n’a jamais reçu de refus de commenter de la part de la famille de M. Quenneville et qu’elle a fait de nombreuses démarches pour tenter de parler directement à Mme Lanoue, notamment par un message Facebook auquel Mme Lanoue n’a pas donné suite. La journaliste ajoute que, puisque Mme Lanoue avait déjà participé à un reportage de l’émission « J.E. » de TVA, elle « n’avait aucune idée qu’elle pourrait refuser de parler aux médias ».
La journaliste avance que Mme Lanoue a choisi de donner ses réponses par l’intermédiaire de sa belle-soeur tout en sachant que cette dernière était en contact avec elle. Elle se dit donc surprise que Mme Lanoue prétende que ses commentaires n’étaient pas destinés à être publiés.
La journaliste estime donc que le Conseil a interprété erronément que Mme Lanoue avait fait valoir son droit au silence, « ce qui n’a jamais été le cas ». La journaliste souligne qu’elle aurait eu l’occasion de le faire, mais qu’elle a choisi de commenter son reportage par l’entremise de sa belle-soeur.
Mme Lanoue estime qu’il était « inacceptable et inhumain » pour la journaliste de publier ses propos : « Elle n’avait pas le droit de mettre mes paroles dans le Journal de Montréal sans mon autorisation ». Elle affirme que l’impact a été dévastateur pour elle et ses enfants : « C’est comme si nous revivions le drame », conclut-elle.
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif au manque de respect envers des proches de victimes.
Les membres rejettent l’appel sur le grief de manque de respect envers des proches de victimes.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Pierre Thibault, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Pierre Thibault
Représentante des journalistes :
- Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
- M. Renel Bouchard