Plaignant
M. Carlo Cioppi
Mis en cause
Le site Internet conseiller.ca
Résumé de la plainte
M. Carlo Cioppi dépose une plainte le 24 mai 2016 contre le site Internet conseiller.ca concernant l’article « Un faux courtier puni pour avoir sévi sur Kijiji », mis en ligne le 29 janvier 2016. Le plaignant déplore des informations inexactes, de la partialité, de l’information incomplète, un manque d’équilibre et un rectificatif incomplet.
En raison de problème sur son site Internet, le Conseil a accepté de recevoir la présente plainte même si le délai de prescription, fixé à trois mois par l’article 3.1 du Règlement 2 du Conseil de presse, était dépassé au moment du dépôt de la plainte.
L’article mis en cause rapporte un jugement rendu contre le plaignant par le Bureau de décision et de révision de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Le plaignant considère que l’article comporte quatre informations inexactes.
1.1 Utilisation du mot « courtier »
Le plaignant soutient que l’utilisation, dans le titre de l’article, du terme « courtier » est inexacte puisque le communiqué de l’AMF et la décision du Bureau de décision et de révision réfèrent à « des fonctions de conseiller. »
M. Yves Bonneau, directeur des publications B2B de Rogers Media, répond au nom des mis en cause. Il indique que l’AMF utilise toujours l’expression « conseiller en valeurs (mobilières) », mais soutient que les termes « représentant de courtier » et « conseiller en valeurs » sont des synonymes aux yeux de la Loi sur les valeurs mobilières. Il note que le plaignant a utilisé le terme « trader » dans son annonce publiée en anglais. Il fait valoir que ce terme se traduit par « courtier ».
Le plaignant soutient dans ses commentaires que contrairement à ce qu’affirment les mis en cause, les termes « courtier » et « conseiller en placement » ne sont pas synonymes. Il soumet les définitions fournies sur le site du Groupe TMX (Bourses de Toronto et Montréal).
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, stipule à l’article 9, alinéa a) que « [l]es journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
Après analyse, le Conseil juge que la preuve déposée par le plaignant ne démontre pas que l’utilisation du terme « courtier », très fréquemment utilisé dans le langage courant, constitue une faute déontologique.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.2 Traduction de l’expression « professional trader »
Le plaignant estime que les mis en cause auraient dû traduire l’expression « professional trader » par « négociateur » et non par « conseiller en valeurs ».
M. Bonneau observe que le plaignant a utilisé, dans son annonce publiée en anglais, le terme « trader » dont la traduction est « courtier ». Selon lui, le titre « négociateur », proposé par le plaignant, n’existe pas.
Afin de démontrer aux mis en cause que le terme « négociateur » existe, le plaignant réfère à la définition de négociateur professionnel présentée sur le site du Canadian Securities Institute.
Aux yeux du Conseil, en affirmant que le plaignant se « présentait » comme conseiller en valeur, l’article respecte fidèlement l’esprit du jugement du Bureau de décision et de révision.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.3 Deuxième annonce
Le plaignant estime que l’affirmation « Le 24 juin 2014, il publiait une seconde annonce sur Kijiji » laisse croire qu’il a continué à annoncer ses services alors qu’il avait été contacté par l’AMF. Il fait valoir qu’il n’y a jamais eu de deuxième annonce, il s’agissait de la même annonce qui a été remise en ligne lorsque la publication initiale a expiré. Il a retiré son annonce après avoir été contacté par l’AMF, rappelle le plaignant.
Dans sa réplique, M. Bonneau réfère à la décision du Bureau de décision et de révision, dans laquelle on peut lire : « Le 24 juin 2014, l’intimé a publié une seconde annonce identique à l’annonce D-3 […] (ci-après l’“Annonce numéro 2” ou collectivement “les Annonces”) […] ».
Dans ses commentaires, le plaignant observe que la décision du Bureau de décision et de révision précise qu’il s’agit d’une « seconde annonce identique » à la première. Il soutient que la façon dont l’information est présentée dans l’article laisse croire qu’il s’agit de deux annonces distinctes.
Selon le Conseil, les mis en cause reprennent dans l’article l’esprit de la décision du Bureau de décision et de révision et vu le fonctionnement du site de petites annonces Kijiji, il n’était pas inexact d’écrire que le plaignant avait publié une « seconde annonce ».
Le grief est rejeté sur ce point.
1.4 Texte de l’annonce
Le plaignant estime que les mis en cause ne rapportent pas fidèlement le contenu de son annonce parue sur Kijiji lorsqu’ils écrivent : « [il] proposait aux intéressés “de mener les mêmes opérations sur valeurs que lui”. » (soulignement du Conseil) Le plaignant affirme que cette citation laisse croire qu’il s’agit d’un extrait de l’annonce, alors qu’il s’agit de l’interprétation de l’AMF.
M. Bonneau fait valoir que le média n’était pas tenu de rapporter fidèlement l’annonce du plaignant, mais qu’il importait d’expliquer la façon dont le plaignant « s’y prenait pour hameçonner les gens ». Pour ce faire, il s’est basé sur les faits présentés par l’AMF et rapportés dans le jugement du Bureau de décision et de révision.
Le Conseil reconnaît que l’attribution de cette citation aurait pu être plus précise, mais juge qu’il ne s’agit pas d’une inexactitude.
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations inexactes est rejeté.
Grief 2 : partialité
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir écrit dans la première version de l’article que « l’intimé prétendait notamment avoir déjà travaillé chez Valeurs mobilières Desjardins ». Selon lui, en utilisant le verbe « prétendre », les mis en cause débordent du journalisme factuel et émettent un jugement en insinuant faussement « que ce n’est pas la réalité ».
M. Bonneau considère que le verbe « prétendre » est ici utilisé comme un synonyme du verbe « alléguer » et ils ne voient aucune partialité dans le choix de ce verbe. Il souligne que l’article rapporte le contenu d’un jugement ou les affirmations des témoins.
À propos du devoir d’impartialité, le Guide rappelle à l’article 9, alinéa c) : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier ».
En consultant quelques dictionnaires, le Conseil constate que le verbe « prétendre » a plusieurs sens et qu’il est notamment synonyme des verbes « affirmer » et « déclarer ».
Ainsi, le Conseil juge que l’utilisation du verbe « prétendre » ne constitue pas un manquement au principe d’impartialité, puisqu’il n’a pas la connotation péjorative que lui accorde le plaignant.
Le grief de partialité est rejeté.
Grief 3 : information incomplète
Le plaignant déplore que l’article ne mentionne pas que le témoignage de l’enquêteuse est uniquement basé sur la mémoire de celle-ci concernant un événement ayant eu lieu un an plus tôt.
M. Bonneau indique que l’article rapporte les faits présentés dans le communiqué de l’AMF et le jugement du Bureau de décision et de révision.
Concernant la complétude, le Guide prévoit à l’article 9, alinéa e) que « [l]es journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Après analyse, le Conseil juge que les mis en cause n’ont pas enfreint le principe de complétude, car l’élément d’information qui aurait dû être inclus dans l’article selon le plaignant ne constitue pas un élément essentiel à la compréhension du sujet de l’article.
Le grief d’information incomplète est rejeté.
Grief 4 : manque d’équilibre
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir uniquement publié la version des faits de l’Autorité des marchés financiers.
M. Bonneau fait valoir qu’il ne s’agit pas d’une simple version des faits, mais plutôt de l’enquête réalisée par l’AMF « qui s’est conclue par une condamnation » de la part du Bureau de décision et de révision.
Le plaignant estime que les mis en cause auraient dû mentionner qu’il a plaidé non-coupable lors de l’audience du Bureau de décision et de révision.
À l’article 9, alinéa d), le Guide prévoit que « [l]es journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. »
Le Conseil juge qu’en rapportant fidèlement la décision, laquelle tient évidemment compte du point de vue du plaignant, les mis en cause ont respecté leur obligation d’équilibre, d’autant que la décision n’est pas un sujet de controverse, mais l’aboutissement d’un processus judiciaire. Le Conseil estime qu’il y aurait eu manquement si l’article n’avait rapporté que le point de vue de la procureure de l’AMF, ce qui n’est pas le cas dans l’article mis en cause.
Le grief de manque d’équilibre est rejeté.
Grief 5 : rectificatif incomplet
À la suite de la lettre envoyée au rédacteur en chef du magazine, plusieurs inexactitudes dénoncées n’ont pas été corrigées, déplore le plaignant.
M. Bonneau considère que les rectificatifs effectués au texte d’origine étaient complets compte tenu de l’information dont disposaient les mis en cause.
L’article 27.1 du Guide prévoit : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Le Conseil ayant jugé que l’article ne comportait pas d’informations inexactes, il conclut que les mis en cause n’ont pas manqué à leur devoir de correction.
Le grief pour rectificatif incomplet est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Carlo Cioppi contre le site Internet conseiller.ca concernant les griefs d’informations inexactes, de partialité, d’information incomplète, de manque d’équilibre et de rectificatif incomplet.
Jacques Gauthier
Président du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- M. Jacques Gauthier
- M. Luc Grenier
Représentant des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Gilber Paquette
Date de l’appel
19 April 2018
Appelant
M. Carlo Cioppi
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à 5 griefs :
Grief 1 : informations inexactes
Grief 2 : partialité
Grief 3 : information incomplète
Giref 4 : manque d’équilibre
Grief 5 : rectificatif incomplet
Grief 1 : informations inexactes
1.1 Utilisation du mot « courtier »
L’appelant maintient que les termes « courtier » et « conseiller en placement » ne sont pas des synonymes, tel qu’il l’avançait dans sa plainte. Il considère qu’il est incorrect d’utiliser le mot « courtier », et ce, même s’il est employé dans le langage courant. À son avis, c’est la définition du mot qui importe.
M. Cioppi estime que le journaliste, qui traite le sujet depuis plusieurs années, « devrait connaître la différence » entre les termes « courtier » et « conseiller en placement » et que son public cible « comprend probablement aussi cette différence ».
Les intimés maintiennent « que les termes “représentant de courtier” et “conseiller en valeurs” sont des synonymes aux yeux de la Loi sur les valeurs mobilières. De plus, le plaignant a utilisé le terme “trader” dans son annonce publiée sur Kijiji, qui se traduit effectivement par “courtier”. »
1.2 Traduction de l’expression « professional trader »
M. Cioppi soutient que les définitions de « trader » et de « broker » sont claires et que les autorités de chaque industrie définissent et distinguent la terminologie. Selon lui, il faut adhérer à ces spécifications afin de préserver l’intégrité de l’industrie. L’appelant affirme qu’il se définit et qu’il s’est toujours défini comme un « trader » et non comme un « broker ».
Selon les intimés, « la traduction de “trader” est “courtier” » et « le titre “négociateur” n’existe pas ». Les intimés maintiennent que « représentant de courtier » et « conseiller en valeurs » sont des synonymes.
1.3 Deuxième annonce
L’appelant avance que même si la façon de présenter la seconde annonce n’est pas inexacte, elle est clairement « trompeuse », car c’est la même annonce qui a été publiée une deuxième fois. Selon M. Cioppi, la distinction est pertinente.
Les intimés soutiennent que « le fait d’indiquer qu’une deuxième annonce a été mise en ligne n’est pas trompeur. Il y a effectivement eu une deuxième annonce mise en ligne et qu’elle soit identique à la première n’y change rien. Aucune information publiée par Conseiller ne laisse croire qu’elle est différente de la première, comme le soutient le plaignant. »
1.4 Texte de l’annonce
Sur ce point, M. Cioppi réfère aux arguments énoncés dans sa plainte initiale, à l’effet que les intimés n’ont pas rapporté fidèlement le contenu de son annonce parue sur Kijiji. Selon l’appelant, une mise en contexte et une présentation réelle des faits étaient importantes pour un traitement équitable.
Les intimés maintiennent que « l’objectif du Conseiller ici n’était pas de copier l’annonce du plaignant, mais de décrire son modus operandi, tel que présenté par l’AMF et à laquelle le tribunal a donné raison ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’exactitude.
Les membres rejettent l’appel sur le grief d’informations inexactes.
Grief 2 : partialité
L’appelant maintient que le terme « prétendre » introduit un biais négatif en donnant l’impression qu’il est faux de dire qu’il a travaillé chez Desjardins en tant que « trader », ce qui, de son avis, démontre de la partialité. Il ajoute que n’importe quel lecteur raisonnable serait amené à croire qu’il n’a pas occupé ces fonctions.
Les intimés maintiennent que rien dans le mot « prétendre » « n’indique un parti pris en faveur d’une partie ». Ce mot « n’a pas de connotation négative. Il ne veut pas dire que ce qui est prétendu n’est pas vrai, comme semble le penser le plaignant ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’impartialité.
Les membres rejettent l’appel sur le grief de partialité.
Grief 3 : information incomplète
M. Cioppi soutient qu’il était essentiel pour la compréhension de l’article de préciser clairement que le témoignage provenait d’une enquêteuse de l’AMF.
Les intimés rappellent que « les faits rapportés sont ceux présentés par le communiqué de l’AMF et le jugement du Bureau de décision et de révision, lequel fait déjà état de la version des faits de M. Cioppi. Si le plaignant n’a pas été contacté pour les besoins de ce texte, l’AMF non plus ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à la complétude.
Les membres rejettent l’appel sur le grief d’information incomplète.
Grief 4 : manque d’équilibre
L’appelant réitère que, selon lui, son point de vue n’a pas été considéré et qu’il aurait facilement pu être contacté pour donner sa version des faits.
Les intimés maintiennent « qu’il ne s’agit pas de rapporter un point de vue, mais plutôt la décision du tribunal, qui a pris en compte les arguments des deux parties, y compris ceux du plaignant. [Ils] [rappellent] qu’aucune des deux parties n’a été contactée pour les besoins de ce texte ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à l’équilibre.
Les membres rejettent l’appel sur le grief de manque d’équilibre.
Grief 5 : rectificatif incomplet
L’appelant estime que les différents points qu’il a soulevés à propos de cet article auraient dû être corrigés.
Les intimés affirment que « le texte ne comporte pas les inexactitudes soulevées par le plaignant […] Il n’y a donc nul besoin de rectification ».
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’appelant n’apporte pas d’éléments démontrant que le comité de première instance a mal appliqué le principe relatif à la correction des erreurs.
Les membres rejettent l’appel sur le grief de rectificatif incomplet.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel considèrent que le comité de première instance a bien appliqué les principes d’exactitude, d’impartialité, de complétude et d’équilibre et concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Pierre Thibault, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Pierre Thibault
Représentante des journalistes :
- Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
- M. Renel Bouchard