Plaignant
Église baptiste évangélique de Victoriaville
Benoît Rancourt
Mis en cause
M. Claude Thibodeau, journaliste
M. Ghyslain Chauvette, chef de nouvelles
L’hebdomadaire La Nouvelle Union
TC Media
Résumé de la plainte
Au nom de l’Église baptiste évangélique de Victoriaville, M. Benoît Rancourt dépose une plainte le 21 juin 2016 contre cinq articles parus dans l’hebdomadaire La Nouvelle Union se rapportant à un recours intenté par d’anciens élèves de l’école La Bonne Semence, associée à l’Église baptiste évangélique de Victoriaville. Le plaignant reproche six griefs aux mis en cause : d’avoir manqué de prudence et d’équité dans le suivi d’une affaire judiciaire, d’avoir manqué d’équilibre, d’avoir traité l’information de façon sensationnaliste, d’avoir eu recours de manière injustifiée à des sources anonymes, d’avoir manqué à son devoir de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source et enfin d’avoir refusé de retirer des articles.
Le plaignant reproche également aux mis en cause une atteinte à sa réputation et d’avoir fait de la diffamation. Le Conseil n’a toutefois pas traité de ces deux griefs puisque ces questions ne relèvent pas de la déontologie journalistique, mais plutôt de la sphère judiciaire.
Dans cette série d’articles, l’hebdomadaire La Nouvelle Union rapporte que d’anciens élèves de l’école La Bonne Semence ont intenté un recours alléguant avoir été victimes de maltraitance au début des années 1980. Dans certains articles, la parole est donnée à de nouvelles victimes alléguées, qui se sont manifestées après le dépôt des premières accusations. Plus d’un an plus tard, aucune nouvelle accusation n’a été déposée.
Analyse
Grief 1 : manque d’équité et de prudence dans le traitement d’une affaire judiciaire
Le plaignant estime que le journaliste de La Nouvelle Union a manqué de prudence en publiant en détail les témoignages de présumées victimes de maltraitance lors de leur fréquentation de l’école La Bonne Semence, il y a de cela plusieurs années.
M. Rancourt considère que les textes « “C’est fini l’omerta”, clame une présumée victime » et « Sévices allégués : une autre présumée victime se confie » sont susceptibles de nuire au processus judiciaire et ne font qu’encourager un procès par les médias.
La publication d’une photo d’aujourd’hui du bâtiment où se déroulent les activités de l’Église baptiste vient, selon lui, créer une association entre des gestes posés dans les années 1980 et les dirigeants actuels du groupe religieux qui, eux, ne sont visés par aucune accusation. Ici aussi, le plaignant estime que les mis en cause ont porté atteinte à l’intégrité du système judiciaire.
Dans leur réplique, les mis en cause affirment que le dossier était d’intérêt public et que La Nouvelle Union a respecté le principe de présomption d’innocence en utilisant notamment le conditionnel pour parler des faits allégués.
Par ailleurs, le journal souligne qu’en matière judiciaire, le juge et le jury doivent s’en tenir aux faits déposés en preuve et non à ce qui a été rapporté dans les médias. Selon eux, la crainte d’une contamination du processus judiciaire est non fondée.
Lorsqu’ils traitent d’affaires judiciaires « Les journalistes et les médias d’information font preuve de prudence et d’équité », précise le Guide de déontologie journalistique à l’article 20. Ce principe de précaution dans la couverture des affaires judiciaires avant la tenue d’un procès trouve écho dans le dossier D2012-04-093, alors que la firme d’ingénierie Roche reprochait à l’émission « Enquête » de Radio-Canada une atteinte à son droit à un procès juste et équitable. Le Conseil avait pu constater que certaines des personnes faisant l’objet du reportage étaient visées par 13 chefs d’accusation avant même la diffusion du reportage de Radio-Canada. Le Conseil avait aussi déterminé qu’aucune preuve avancée dans le reportage n’avait été contredite par le plaignant. En outre, il avait aussi été estimé qu’il en allait de la liberté de presse de présenter des documents, interrogatoires et entrevues afin de rendre compte de la situation sans qu’il n’en résulte un procès par les médias.
Toujours dans ce dossier, il avait été établi que l’influence d’un tel reportage sur un éventuel jury était invraisemblable. Cinq mois après la diffusion du reportage, la date du procès n’avait toujours pas été fixée, « ce qui laisse penser que le délai entre la diffusion du reportage et la tenue d’un procès sera suffisamment long pour minimiser son impact sur les membres d’un jury », affirmait alors le Conseil.
La présente plainte présente plusieurs similitudes avec cette jurisprudence. Au moment de la publication du premier texte dans La Nouvelle Union, 12 chefs d’accusation avaient été déposés contre un ancien membre de l’Église baptiste. Les premiers textes ont été publiés en mars 2016 et en date de juin 2017, le procès n’a toujours pas débuté. La contamination d’un éventuel jury est donc tout à fait improbable.
En outre, la majorité des membres (3/4) n’adhère pas à l’idée que les mis en cause auraient manqué de prudence en diffusant les témoignages de présumées victimes sans que de nouvelles accusations aient été officiellement déposées, puisque leurs versions abondent dans le même sens que les autres témoignages pour lesquels des procédures judiciaires ont déjà été enclenchées.
Un membre du comité a néanmoins tenu à exprimer sa dissidence. À son avis, la quantité et les détails donnés dans les articles sont trop nombreux. Selon lui, il risque d’en résulter un procès par les médias qui pourrait influencer l’impartialité de futurs jurés.
À la majorité (3/4 membres), le grief de manque de prudence est rejeté.
Grief 2 : manque d’équilibre
Le plaignant reproche au journaliste de s’être limité à la présentation des témoignages de présumées victimes, manquant à son devoir d’équilibre et de pondération des points de vue des parties en présence.
M. Rancourt reconnaît que le journal a relayé le point de vue de l’Église dans le texte « L’Église baptiste évangélique veut remettre les pendules à l’heure », mais selon lui, cet article n’a pas bénéficié du même traitement ou positionnement dans le journal, contrairement au premier article, placé en page frontispice.
Les mis en cause répliquent que les deux points de vue ont été exposés et que la version du plaignant a été publiée « dans un délai très raisonnable, bien en vue, à un endroit important dans le journal ».
Le journal souligne aussi que dans la version électronique du texte « Sévices allégués : une autre présumée victime se confie », un lien a été inséré afin de permettre aux lecteurs de lire le point de vue de l’Église.
En matière d’équilibre, le Guide de déontologie journalistique précise à l’article 9 que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence; (…) »
Dans le dossier, D2014-09-017, Le Devoir avait rapporté l’intention de l’ex-chef du Parti vert du Québec de poursuivre cette formation politique. Le texte faisait état des motifs de la poursuite, sans jamais présenter ceux de la formation politique ni du chef du parti.
Le Conseil avait reconnu la prérogative des médias de choisir l’angle de traitement d’une nouvelle, mais que cette latitude ne soustrayait pas au devoir d’équilibre, qui peut s’effectuer à même le texte initial ou dans un article de suivi. Le Devoir ne l’a pas fait ni au moment de la publication de l’article contesté ni à une autre occasion et le grief de manque d’équilibre a été retenu.
Dans un autre dossier, le Conseil D2015-05-138 a dû statuer sur le cas d’un journaliste à qui il était reproché d’avoir accordé moins d’espace aux arguments de la défense qu’à ceux de la Couronne en fin de parcours d’un procès. Le Conseil avait estimé qu’en dépit de la présence moins importante des points de vue de la défense, aucun élément essentiel à la compréhension du public n’avait été omis. Le grief avait été rejeté.
Dans la présente plainte, le Conseil est d’avis que la série d’articles publiés par La Nouvelle Union a permis d’atteindre l’équilibre dès le deuxième article. Qui plus est, comme un lien a été ajouté dans la version mise en ligne, il était très facile pour le public d’obtenir un portrait équilibré de la situation.
Le grief de manque d’équilibre est rejeté.
Grief 3 : sensationnalisme
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir créé un amalgame entre l’organisation actuelle de l’Église et les événements liés à l’affaire Claude Guillot. « Ce n’est pas l’Église comme organisation ni aucun de ses membres actuels qui sont accusés dans cette affaire, mais un individu qui a été employé par l’Église il y a 33 ans », est-il souligné. Dans le même esprit, il est reproché aux mis en cause de présenter dans l’article « Sévices allégués : une autre présumée victime se confie », « des ragots d’ex-adeptes qui semblent être associés à une époque plus récente » et de faire un « amalgame malheureux » qui mènerait selon le plaignant à une interprétation abusive des faits. Cette association est renforcée par la publication d’une photo du bâtiment actuel où se déroulent les activités de l’Église.
M. Rancourt conclut que le journal a fait du sensationnalisme en publiant la nouvelle en première page et critique l’utilisation du mot « omerta » dans le grand titre « C’est fini l’omerta », estimant qu’il a une connotation criminelle dans l’imaginaire public. Les mis en cause nient ces allégations et ces interprétations. Ils soutiennent s’être limités à rapporter le témoignage de victimes présumées sans avoir cherché à déformer la réalité, sans exagérer ni interpréter la portée réelle des faits et des événements.
Le Guide de déontologie journalistique précise à l’article 14.1 que « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. »
Dans le dossier D2015-07-013, il avait été reproché au journaliste d’avoir affirmé qu’une industrie était « opérée souvent dans l’ombre ». La plaignante voyait dans ces propos une forme de sensationnalisme.
Le Conseil a estimé que le journaliste n’avait pas outrepassé les limites d’usage de cette métaphore en raison de l’existence de projets de recherche confidentiels, de secrets industriels et de nombreuses mesures de sécurité entourant l’industrie du médicament. Le Conseil n’y a vu aucune faute professionnelle.
Bien que la définition stricte du mot « omerta » renvoie directement à l’univers interlope, et plus précisément celui de la Mafia italienne, ce terme est également employé dans un sens figuré. L’usage, dans cet article, de ce terme renvoie évidemment ici au sens figuré : celui d’un silence qui s’impose au sein d’un groupe. Enfin, il y a lieu de souligner que le terme « omerta » est tiré d’une citation attribuée à une source, et ne traduit pas le jugement du journaliste.
En ce qui a trait à la photographie, puisque l’article rapporte que l’Église actuelle ne s’excuse pas pour les erreurs du passé, il n’était pas exagéré d’utiliser une photo actuelle de son bâtiment et le faire n’induisait pas un amalgame quant à la responsabilité de l’Église pour les événements passés dont traite l’article.
Le grief de sensationnalisme est rejeté.
Grief 4 : recours injustifié à une source anonyme
Le plaignant questionne l’anonymat accordé aux « ex-adeptes » cités dans la deuxième partie de l’article « Sévices allégués : une autre présumée victime se confie ». Il estime que les conditions prévues au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse n’étaient pas réunies et que les identités de ces personnes auraient dû être révélées.
M. Rancourt reconnaît que l’anonymat est justifié pour les victimes alléguées, qui étaient mineures aux moments des événements, mais il conteste celui des « ex-adeptes », qui disent craindre des représailles. Selon lui, cet argument quant à de possibles actes de vengeance constitue une méconnaissance des « valeurs chrétiennes ».
En matière d’anonymat, le Guide de déontologie journalistique affirme à l’article 12.1 que « Les journalistes ont recours à des sources anonymes lorsque ces trois conditions sont réunies: l’information sert l’intérêt public; l’information ne peut raisonnablement être obtenue autrement; la source peut subir un préjudice si son identité est dévoilée. »
Le Conseil s’est penché sur ce troisième critère, la peur de représailles, dans le dossier D1996-08-055, qui portait sur un texte traitant des chiens errants d’une citoyenne. Des membres du voisinage, par crainte de représailles, avaient demandé à ne pas être identifiés. Le Conseil avait réitéré qu’il s’agit d’un motif valable pour demander l’anonymat.
Dans la présente plainte, le Conseil a étudié chacune des conditions requises pour accorder l’anonymat accordé aux « ex-adeptes » par le journaliste de La Nouvelle Union. Ainsi, le Conseil juge que l’information était tout à fait d’intérêt public, qu’elle ne pouvait raisonnablement être obtenue autrement et que les sources pouvaient légitimement croire à une forme de représailles si leur identité n’était pas protégée. Dans ce contexte, accorder l’anonymat à ces « ex-adeptes » ne constituait pas une faute journalistique.
Le grief pour recours injustifié à une source anonyme a été rejeté.
Grief 5 : manque de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source
Le plaignant estime que le journaliste n’a pas pris soin de s’assurer de la fiabilité des informations transmises par les personnes identifiées comme des « ex-adeptes » dans l’article « Sévices allégués : une autre présumée victime se confie ». Un doute est émis sur le fait que ces personnes ont effectivement été membres de l’Église.
Pour sa part, le journal réfute avoir manqué de vigilance et assure avoir pris les moyens raisonnables pour garantir au public une information de qualité et évaluer la fiabilité de ses sources.
Le Guide de déontologie journalistique est clair en cette matière à l’article 11: « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité ».
Dans la décision D2013-05-112 (2), un plaignant avait remis en cause la crédibilité de la source principale d’un reportage, posée comme « présumée victime ». Le journaliste avait su démontrer que par ses conversations avec sa source et en corroborant aussi son témoignage il en avait établi la fiabilité. Le grief avait été rejeté.
Dans la présente plainte, aucune preuve n’a été déposée par le plaignant pour suggérer ou soutenir que des éléments ou des faits pourraient permettre de mettre en doute la fiabilité des informations présentées par ces « ex-adeptes ».
Du reste, le journal La Nouvelle Union assure avoir pris des moyens raisonnables pour garantir la fiabilité des informations qui lui ont été transmises.
Comme le fardeau de la preuve incombe à la partie plaignante, le Conseil ne peut retenir le grief.
Le grief de manque de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source est donc rejeté.
Grief 6 : refus de retrait d’articles
Dans sa plainte, M. Rancourt demande « l’arrêt immédiat de publication ». Il soutient avoir formulé cette requête auprès du journal dans un courriel envoyé le 14 juin 2016.
Le journal estime que cette demande de retrait était injustifiée.
Lorsqu’un correctif s’impose, le Guide de déontologie journalistique affirme à l’article 27.1 que « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Dans le dossier D2014-10-025, le Conseil a souligné que la décision de retirer un article ou un reportage doit être motivée par l’intérêt public, sans quoi c’est le droit du public à l’information qui est entravé. Dans ce cas, le retrait s’expliquait par des doutes sur les faits présentés afin d’éviter de tromper le public.
Dans le cas présent, le plaignant ne demandait pas une correction, mais un retrait de publication parce qu’il estimait que les articles étaient sensationnalistes et diffamatoires.
Or, étant donné qu’aucun grief n’a été retenu dans la présente plainte, le Conseil ne peut se rendre aux arguments de la partie plaignante.
Le grief de refus de retrait des articles a été rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Benoît Rancourt contre le journaliste Claude Thibodeau et l’hebdomadaire La Nouvelle Union pour l’ensemble des griefs reprochés à savoir d’avoir manqué de prudence et d’équité dans le suivi d’une affaire judiciaire, d’avoir manqué d’équilibre, d’avoir traité l’information de façon sensationnaliste, d’avoir eu recours de manière injustifiée à des sources anonymes, d’avoir manqué à son devoir de vérification de la fiabilité des informations transmises par une source et enfin d’avoir refusé de retirer des articles.
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
- M. Marc Verreault
Représentant des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette