Plaignant
M. André Pyontka
Mis en cause
Jean-François Cloutier, journaliste
Ben Pelosse, photographe
Le quotidien Le Journal de Montréal
Le site Internet journaldemontreal.com
Le Groupe TVA
Le site Internet tvanouvelles.ca
Résumé de la plainte
M. André Pyontka dépose une plainte le 13 juillet 2016 contre le journaliste Jean-François Cloutier et le photographe Ben Pelosse concernant un article paru le 6 juin 2016 sous le titre « L’homme participait à un “stratagème frauduleux” », dans le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com, de même que sous le titre « Un Bougon fait une faillite de 1,3 million $ », sur le site Internet tvanouvelles.ca. La plainte vise également un article intitulé « Le Bougon a coûté très cher à Desjardins », publié le 7 juin 2016 dans Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com. Le plaignant déplore des informations inexactes et incomplètes, une atteinte à sa vie privée, une utilisation injustifiée de procédés clandestins, une atteinte à sa dignité et un propos méprisant, ainsi qu’un refus de retrait d’articles et de rétractation.
Le plaignant considère également que les articles sont diffamatoires et portent atteinte à sa réputation. Cependant, ces deux griefs ne sont pas traités puisqu’ils ne sont pas du ressort de la déontologie.
Le Journal de Montréal, le Groupe TVA et les sites Internet journaldemontreal.com et tvanouvelles.ca ont refusé de répondre à la présente plainte. Le journaliste et le photographe ont cependant accepté de le faire en leur nom personnel.
Les articles mis en cause rapportent la faillite du plaignant et rappellent sa participation à un stratagème immobilier frauduleux, pour lequel il a été condamné.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes et incomplètes
Selon le plaignant, les articles mis en cause comportent deux informations inexactes et incomplètes.
1.1 « Assisté social »
Le plaignant reproche au journaliste d’utiliser l’expression « assisté social » pour le désigner. Il considère que cela est inexact. De plus, il s’agirait d’une information incomplète puisqu’il soutient avoir indiqué au journaliste, lors d’une conversation téléphonique ayant eu lieu le 3 juin, qu’il travaillait désormais comme « homme à tout faire ».
Dans sa réplique, le journaliste indique que l’article traite de faits remontant au milieu des années 2000, époque où le plaignant touchait de l’aide sociale. Selon lui, le plaignant n’a jamais indiqué ne plus recevoir d’aide sociale au cours de l’entrevue.
En matière d’exactitude et de complétude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec prévoit à l’article 9, aux alinéas a) et e), que « [l]es journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Après analyse, la majorité des membres (4/6) juge que le journaliste n’a pas commis d’inexactitude ni d’incomplétude en utilisant l’expression « assisté social » pour désigner le plaignant puisque celui-ci touchait effectivement des prestations d’aide sociale au moment des faits rapportés dans les articles, ce que ne nie pas le plaignant.
Deux membres dissidents jugent quant à eux que le journaliste a manqué à ses devoirs déontologiques en utilisant l’expression « assisté social » au présent, laissant ainsi croire au public que la situation du plaignant n’a pas changé, ce qui est faux, puisqu’il avait un travail, au moment où l’article a été rédigé, ce que savait le journaliste. Ils observent que la stigmatisation des personnes bénéficiant de prestations d’aide sociale est grande et qu’il est d’autant plus important d’utiliser cette expression avec prudence.
Le grief est rejeté à la majorité sur ce point.
1.2 Source de revenus actuelle
Le plaignant soutient que dans les articles « L’homme participait à un “stratagème frauduleux” » et « Un bougon fait une faillite de 1,3 million $ », le journaliste transmet une information inexacte et incomplète lorsqu’il écrit : « Il a été “sur le BS” au moins de 2005 à 2010. Il est difficile de savoir s’il a, depuis, cessé de toucher de l’aide sociale. » Le plaignant estime qu’il est inexact pour le journaliste de prétendre ne pas connaître la source de ses revenus puisqu’il assure lui avoir indiqué, lors d’une entrevue téléphonique, qu’il est travailleur autonome et propriétaire de l’entreprise Réno-touchatout. Il déplore que cette information ne se retrouve pas dans l’article.
Le journaliste rapporte qu’au cours de l’entrevue le plaignant n’a jamais indiqué ne plus recevoir d’aide sociale. Il justifie ce passage ainsi : « Considérant le fait qu’il [M. Pyontka] a, selon un jugement de 2015, tiré un revenu substantiel d’activités immobilières pendant une période où il touchait de l’aide sociale, il aurait tout aussi bien pu le faire pendant la période 2010-2015, tout en faisant de la rénovation. » Le journaliste ajoute : « Le jugement de 2015 évoque de nombreuses contradictions dans les affirmations de Pyontka, ce qui amène à considérer sa version avec prudence. »
La majorité des membres (4/6) ne constate aucune inexactitude ni incomplétude dans le passage pointé par le plaignant.
Le grief est rejeté à la majorité sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations inexactes et incomplètes est rejeté.
Grief 2 : atteinte à la vie privée
Le plaignant reproche au photographe de l’avoir photographié sans son consentement. Il souligne que cette photo le présentant « dans une tenue vestimentaire décontractée » a par la suite été publiée en une du quotidien le 6 juin 2016.
Le photographe considère qu’il n’est pas en faute. Il affirme qu’il se trouvait dans son véhicule stationné dans la rue, en face du domicile du plaignant, lorsqu’il l’a photographié. Le plaignant était alors à l’extérieur. Le photographe soutient avoir présenté sa carte de presse et s’être identifié en tant que photographe au Journal de Montréal lorsque le plaignant est venu lui parler. À sa demande, le plaignant lui a donné son numéro de cellulaire afin qu’un journaliste puisse le contacter, rapporte-t-il en précisant que l’entretien avec le plaignant s’est déroulé de façon polie.
À l’article 18, le Guide de déontologie journalistique rappelle que « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
Le Conseil a déjà eu à se prononcer sur des cas semblables. Dans la décision D2011-10-017, il a jugé que le plaignant avait implicitement donné son accord à la prise d’une photo et à sa publication puisqu’il avait accepté de répondre aux questions du journaliste et de se faire photographier. Dans une autre décision (D2015-08-016), le Conseil a jugé que les mis en cause n’avaient pas atteint à la vie privée du plaignant en le filmant devant sa résidence. Le Conseil avait alors pris en considération le fait que le sujet du reportage était d’intérêt public et que les images avaient été tournées à partir d’un lieu public.
Après analyse, le Conseil juge que dans le présent cas, la publication de la photographie visée par la plainte était d’intérêt public, et que l’expectative de vie privée du plaignant était diminuée puisque ce dernier se trouvait à l’extérieur de sa résidence. Dans les circonstances, le Conseil ne peut conclure à une atteinte au droit à l’image du plaignant.
Le grief d’atteinte à la vie privée est rejeté.
Grief 3 : utilisation injustifiée de procédés clandestins
Le plaignant déplore l’utilisation de procédés clandestins à deux reprises dans le cadre de la production des articles mis en cause.
3.1 Identité cachée
Le plaignant reproche au journaliste d’avoir utilisé un procédé clandestin en cachant son identité et de s’être faussement présenté comme un créancier potentiel auprès de la secrétaire du syndic ayant géré sa faillite afin d’obtenir des informations. Le plaignant met en preuve un rapport de livraison d’un paquet identifié « Avis aux créanciers » et destiné à « J.F. Cloutier ». Le rapport indique que la livraison a eu lieu le 2 juin 2016.
Le journaliste affirme que les allégations voulant qu’il ait eu recours à une fausse identité pour obtenir l’information sur la faillite du plaignant sont sans fondement. L’information était publique et accessible sur le site d’Industrie Canada, affirme-t-il en précisant qu’« [a]ucune information provenant du syndic n’a été utilisée pour le reportage ».
L’article 25, alinéa 1) du Guide encadre ainsi le recours à des procédés clandestins : « Les journalistes peuvent avoir recours à des procédés clandestins lors de la collecte d’information lorsque ces deux conditions sont réunies : a) l’intérêt public l’exige et b) la probabilité existe qu’une approche ouverte pour recueillir l’information échouerait. »
Le Conseil n’a pas été en mesure de parler avec la réceptionniste du syndic de faillite en poste au moment des faits allégués, puisqu’elle n’est plus à l’emploi de l’entreprise. Cependant, une responsable a indiqué au Conseil que la politique actuelle impose à la réceptionniste de demander à une personne souhaitant obtenir les documents concernant une faillite s’il est un créancier. Les documents envoyés à « J.F. Cloutier » étaient publics, il s’agissait d’un budget, d’un bilan statutaire, d’un avis de faillite et de preuves de réclamations, rapporte la responsable. Elle note que le syndic ne répond pas aux questions d’un journaliste concernant ses dossiers, mais admet qu’il est impossible de vérifier l’identité des gens qui communiquent avec son bureau étant donné le grand volume d’appels.
Après analyse, et considérant ce qui précède, le Conseil juge que le plaignant n’a pas fait une preuve convaincante qu’un procédé clandestin aurait été utilisé au cours de la cueillette d’information du journaliste.
Le grief est rejeté sur ce point.
3.2 Diffusion d’une entrevue audio
Le plaignant reproche au journaliste d’avoir enregistré et diffusé, sans son consentement, l’entrevue téléphonique qu’il lui a accordée.
Le journaliste n’a présenté aucune réplique à cet élément de la plainte.
Le Conseil observe qu’au moment de l’entrevue téléphonique, le plaignant savait qu’il discutait avec un journaliste puisqu’il avait accepté de donner son numéro de téléphone au photographe afin qu’un journaliste le rappelle. Le Conseil juge que le plaignant, sachant qu’il parlait à un journaliste, devait s’attendre à ce que leur conversation soit enregistrée et diffusée. Il ne pouvait donc s’agir d’un procédé clandestin, puisque l’enregistrement audio d’une conversation avec un journaliste est une pratique largement admise et reconnue.
Le grief est rejeté sur ce point.
Le grief d’utilisation de procédés clandestins est rejeté.
Grief 4 : atteinte à la dignité et propos méprisant
Le plaignant reproche au journaliste l’utilisation, dans les articles mis en cause, du terme « Bougon » pour le désigner. Il estime qu’en utilisant ce terme, qui réfère à une série télévisée cherchant « à montrer que la fraude et la manipulation sont généralisées en société », le journaliste l’a ridiculisé et a atteint à sa dignité. Il fait valoir qu’à la suite des articles, il a perdu des contrats, fait l’objet de mépris et de « commentaires désobligeants ».
Le journaliste n’a présenté aucune réplique à cet élément de la plainte.
En matière de protection de la vie privée et de la dignité, l’article 18 du Guide prévoit : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
De plus, en ce qui concerne la discrimination, on peut lire à l’article 19 : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes et de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Selon le Conseil, le terme « Bougon » décrit assez justement – bien que de façon colorée – la réalité rapportée par l’article. En effet, selon la page dédiée à l’émission sur le site Internet de Radio-Canada, « la famille Bougon est un clan de joyeuses petites fripouilles complètement en marge de la société, sympathiques, qui se donnent beaucoup de mal à magouiller, à préparer toutes sortes de petites combines « propres » afin de ne pas travailler et de ne jamais se conformer ». Considérant que le plaignant a été reconnu coupable d’avoir participé à des stratagèmes immobiliers frauduleux alors qu’il recevait des prestations d’aide sociale, le Conseil juge que la comparaison avec les Bougon n’était pas de nature à porter injustement atteinte à sa dignité.
Le grief d’atteinte à la dignité et de propos méprisant est rejeté.
Grief 5 : refus de retrait des articles et de rétractation
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir refusé de retirer les articles et de ne pas avoir publié une rétractation « informant [les] lecteurs de l’atteinte portée à [s]a personne, [s]a vie privée et [s]a réputation. »
Dans sa réplique, le journaliste affirme que le « reportage a été fait dans les règles de l’art ».
Le Guide prévoit à l’article 27.1 que « [l]es journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement ».
N’ayant relevé aucun manquement aux griefs précédents, le Conseil juge que les mis en cause n’avaient pas à se rétracter ou à retirer des articles.
Le grief de refus de retrait des articles et de rétraction est rejeté.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du quotidien Le Journal de Montréal, du Groupe TVA et des sites Internet journaldemontreal.com et tvanouvelles.ca, qui ne sont pas membres du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. André Pyontka contre le journaliste Jean-François Cloutier, le photographe Ben Pelosse et le quotidien Le Journal de Montréal, le site Internet journaldemontreal.com, le Groupe TVA et le site Internet tvanouvelles.ca pour les griefs d’informations inexactes et incomplètes, atteinte à la vie privée, utilisation injustifiée de procédés clandestins, atteinte à la dignité et propos méprisant, ainsi que refus de retrait des articles et de rétractation.
Linda Taklit
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Audrey Gauthier
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif