Plaignant
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal
Mme Sabrina Gariepy, agente d’information
Mis en cause
M. Aaron Derfel, journaliste
Le quotidien The Gazette
Résumé de la plainte
Au nom du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal, Mme Sabrina Gariepy dépose une plainte le 12 août 2016 contre le journaliste Aaron Derfel et le quotidien The Gazette concernant l’article « Public Health probes Lakeshore General Hospital over lack of infection control », publié le 21 juillet 2016. Elle soumet qu’un titre et de l’information sont inexacts, et que de l’information est incomplète.
La plaignante considère également que l’article porte atteinte à la réputation de son organisation. Le Conseil rappelle que la diffamation et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire.
L’article mis en cause rapporte que la Direction régionale de santé publique de Montréal s’inquiète d’une augmentation du nombre de patients ayant contracté une bactérie résistante aux antibiotiques au cours de leur hospitalisation à l’Hôpital général du Lakeshore.
Analyse
Grief 1 : titre et information inexacts
La plaignante soutient que le journaliste introduit des inexactitudes en utilisant le verbe « to probe » (inspecter) dans le titre « Public Health probes Lakeshore General Hospital over lack of infection controls » (« La Santé publique inspecte l’Hôpital général du Lakeshore concernant une prévention déficiente des infections », traduction du Conseil) et le verbe « to audit » dans les deux premières phrases de l’article : « The Montreal Public Health Department is auditing the Lakeshore General Hospital […]. The audit will determine […] » (« La Direction de santé publique a entamé une vérification de l’Hôpital général du Lakeshore […]. Les vérifications détermineront […] » traduction du Conseil).
Selon la plaignante, la Direction régionale de santé publique n’a pas mené d’inspection ni de vérification à l’hôpital. Les démarches entreprises par la Direction régionale s’apparentaient plutôt à une forme de soutien envers l’hôpital. Elle met en preuve un courriel du Dr Richard Massé, directeur de la Direction régionale de santé publique, indiquant que son organisation « n’est pas “en enquête” tel que défini dans la Loi sur la santé publique et ses règlements, mais bien dans un contexte d’appui face à une situation préoccupante à l’Hôpital général du Lakeshore ». Il poursuit : « C’est dans ce contexte d’appui que nous vous avons transmis des commentaires et recommandations face à la situation actuelle. » (en français dans le courriel)
Dans sa réplique, le journaliste fait valoir qu’il a amorcé ses recherches qui ont mené à l’article mis en cause après qu’une infirmière très bien informée et spécialisée dans le contrôle des infections lui ait signalé que la Direction régionale de santé publique procédait à un audit à l’Hôpital général du Lakeshore en raison d’inquiétudes concernant des lacunes dans le contrôle des infections. Il précise que sa source avait inspecté l’hôpital et découvert plusieurs problèmes. Le verbe « audit » a été utilisé par la source du journaliste.
Aux yeux du journaliste, le courriel du Dr Massé, mis en preuve par la plaignante, démontre l’exactitude des passages visés par la plainte. Il constate que le Dr Massé confirme la préoccupation de la Direction régionale de santé publique à l’égard du contrôle des infections à l’Hôpital général du Lakeshore et témoigne du fait qu’une série de recommandations a été transmise afin de répondre à la situation. Alors que le Dr Massé rapporte que son organisation ne fait pas enquête à l’Hôpital général du Lakeshore, le journaliste précise qu’il n’a pas utilisé ce verbe dans l’article, mais qu’il a plutôt fait état de vérifications (« audited »).
De plus, le journaliste souligne avoir utilisé le verbe « to audit » dans sa correspondance avec la plaignante, un terme qu’elle n’a à ce moment jamais contesté.
Dans ses commentaires, la plaignante fait valoir que les verbes anglais « to investigate » et « to audit » sont synonymes.
En matière d’exactitude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec précise à l’article 9 que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité; […] »
Après vérification des définitions des verbes pointés par la plaignante et analyse du courriel du Dr Richard Massé, mis en preuve par la plaignante, le Conseil juge que le journaliste n’a pas commis d’inexactitudes en utilisant les verbes « to probe » et « to audit ». Le Conseil constate que le Dr Massé évoque une situation « préoccupante » ce qui justifie l’utilisation des verbes « to audit » et « to probe », dont le sens assez général correspond aux vérifications effectuées par la Direction régionale de santé publique dans cet établissement de santé. De plus, le Conseil souligne que les journalistes n’ont pas à s’en tenir au jargon administratif des autorités de la santé. Ils doivent plutôt communiquer de façon à ce que le public soit en mesure de bien saisir les enjeux dont il est question.
Le grief de titre et d’information inexacts est rejeté.
Grief 2 : information incomplète
La plaignante considère qu’en écrivant « In 2015, the Lakeshore’s patients represented 36 per cent of all positively screened cases found in hospitals in the Montreal region » (« En 2015, les patients du Lakeshore ont représenté 36 % de tous les cas positifs dépistés dans les hôpitaux de la région de Montréal » traduction du Conseil), le journaliste fournit une information incomplète aux lecteurs puisqu’il omet les statistiques de 2016. Selon elle, les données pour l’année 2016 sont essentielles pour comprendre l’évolution de la situation et les efforts de l’hôpital pour améliorer son bilan.
Elle affirme avoir fourni au journaliste les données de 2015 et 2016 concernant les cas de patients porteurs d’une bactérie résistante aux antibiotiques. Selon ces données, on aurait détecté une bactérie résistante aux antibiotiques chez 4 patients de l’Hôpital général du Lakeshore. Pour l’ensemble des hôpitaux de la région de Montréal, 40 cas auraient été dépistés. La plaignante fait valoir que les cas identifiés à l’Hôpital général du Lakeshore représentent 10 % de tous les cas dépistés dans les hôpitaux de Montréal, ce qui constituerait une diminution de 72 % par rapport à 2015. Ainsi, 90 % des cas seraient dépistés dans un établissement autre que celui du Lakeshore, fait valoir la plaignante qui soutient que ces données changent complètement la donne.
Dans sa réplique, le journaliste met en preuve les échanges de courriels qu’il a eus avec la plaignante au moment de la préparation de son article, dont celui présentant les statistiques faisant l’objet de ce grief. Il indique avoir eu des doutes quant à la validité des données pour 2015 parce qu’elles ne concordaient pas avec celles qu’il avait obtenues d’une autre source, pour un article publié en 2015. Jugeant qu’il était plus prudent et judicieux de ne pas inclure dans l’article les informations pour lesquelles il avait un doute, il n’a inclus que la donnée confirmée par les statistiques qu’il avait déjà en main, explique-t-il.
En plus de ses doutes sur la validité des statistiques, le mis en cause justifie sa décision de ne pas toutes les publier en soulignant qu’il n’en connaissait pas la provenance et que la plaignante ne précise pas de quelle bactérie il est question. Il ajoute que le courriel de la plaignante était confus et ne répondait pas ou mal à ses questions. Le journaliste observe que certaines d’entre elles sont restées sans réponse, malgré ses relances.
Dans une réplique subséquente, le journaliste transmet les données obtenues du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal par le biais d’une demande d’accès à l’information, présentée en février 2017. Selon lui, ces données contredisent celles fournies par la plaignante au moment de la préparation de l’article mis en cause et celles transmises au Conseil de presse.
Dans ses commentaires, la plaignante soutient que les données obtenues par le journaliste en 2015 concernent les patients porteurs d’une bactérie résistante aux antibiotiques à leur arrivée à l’hôpital. Selon la plaignante, les questions du journaliste dans ses premiers courriels suggéraient qu’il s’intéressait aux maladies nosocomiales, c’est-à-dire les infections contractées dans un hôpital. La plaignante lui a donc transmis les données concernant le nombre d’infections contractées à l’Hôpital général du Lakeshore. Le journaliste aurait donc comparé des données qui portent sur différentes réalités.
Alors qu’il mettait en doute les statistiques, pourquoi le journaliste a-t-il tout de même transmis des données de 2015 dans son article, se demande la plaignante. Elle déplore que le journaliste ne lui ait pas fait état des contradictions entre les données qu’il avait en main et celles qu’elle lui a fournies. S’il l’avait fait, elle assure qu’il aurait reçu les explications nécessaires. Elle précise que les données qu’elle a fournies au journaliste proviennent de la Direction de la santé publique de Montréal. La plaignante indique ne pas avoir répondu aux derniers courriels du journaliste parce qu’elle jugeait lui avoir transmis toute l’information pertinente et validée en lien avec ses demandes.
À l’article 9, le Guide de déontologie journalistique stipule : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
En prenant connaissance du courriel de la plaignante présentant les statistiques, un médecin de l’Institut de la santé publique du Québec, consulté par le Conseil, constate que les deux parties réfèrent à deux bactéries différentes, expliquant les incohérences observées par le journaliste.
Le Conseil reconnaît que l’information présentée peut être incomplète, mais ne considère pas pour autant que le journaliste a commis un manquement à la déontologie. En effet, il y a lieu de constater et de souligner que le journaliste a fait de nombreux efforts afin d’obtenir des réponses claires à ses questions, ce que la plaignante ne lui a pas fourni. Au contraire, comme l’a fait valoir le journaliste dans sa réplique à la présente plainte, ses réponses étaient trop floues pour être jugées fiables et le Conseil juge qu’il a fait preuve de prudence en ne les rapportant pas. Aux yeux du Conseil, on ne peut reprocher à M. Derfel de ne pas avoir fait état d’informations qu’il ne jugeait pas concluantes.
Le grief d’information incomplète est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Sabrina Gariepy, au nom du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal contre le journaliste Aaron Derfel et le quotidien The Gazette pour les griefs de titre et information inexacts et d’information incomplète.
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
- M. Marc Verreault
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Raymond Tardif