Plaignant
M. Martin Turcotte
Mis en cause
Julien Brault, blogueur
Le site Internet www.lesaffaires.com
Résumé de la plainte
M. Martin Turcotte dépose le 30 août 2016 une plainte pour publicité déguisée contre Julien Brault, un ancien journaliste du journal Les Affaires, alors auteur du blogue « De zéro à un million », publié sur le site lesaffaires.com.
Le blogue « De zéro à un million » relatait semaine après semaine les avancées et les progrès de la startup Hardbacon, fondée par Julien Brault après son départ du journal Les Affaires.
Analyse
Grief 1 : publicité déguisée
Le plaignant soumet deux articles dans lesquels le blogueur Julien Brault raconte son expérience entrepreneuriale.
De l’avis de M. Turcotte, il est évident que l’auteur utilise ce blogue et profite de cette tribune pour mettre son entreprise de l’avant.
La rédactrice en chef du journal Les Affaires, Mme Julie Caillau, précise d’emblée que Julien Brault, qui a été longtemps journaliste dans ce journal, a quitté son poste à la rédaction en avril 2016. M. Brault n’est donc plus journaliste, mais un expert invité qui n’est pas rémunéré pour son blogue.
Mme Caillau ajoute que le statut particulier de M. Brault est expliqué dans la section « À propos de ce blogue ». On y précise : « L’ancien journaliste de Les Affaires relate ici chaque semaine comment il transforme une idée en entreprise. »
La rédactrice en chef reconnaît sans difficulté que Julien Brault parle de son entreprise. Elle estime même qu’il est « essentiel » qu’il en soit ainsi en raison du concept de ce blogue, dont l’objectif est de présenter aux lecteurs les difficultés et les défis des entrepreneurs en démarrage.
Mme Caillau mentionne qu’il n’est toutefois pas permis à Julien Brault de faire la promotion de son entreprise, mais plutôt d’y raconter ses démarches. Elle assure également que le ton des billets n’est pas promotionnel.
En matière de publicité déguisée, le Guide de déontologie journalistique affirme à l’article 6.3 que « Les journalistes et les médias d’information évitent de faire de la publicité déguisée ou indirecte dans leur traitement de l’information. »
Le Conseil s’est penché sur un cas analogue dans le dossier D2013-02-077. Le chroniqueur Nicolas Mavrikakis se voyait reprocher une série d’articles publiés dans Le Devoir sur des galeries d’art alors qu’il était lui-même exposant dans diverses galeries.
Le Conseil avant tranché que M. Mavrikakis s’était placé en situation d’apparence de conflit d’intérêts et que « si la transparence à cet égard est effectivement une vertu, elle n’est cependant pas une fin en soi, et si le public ni les journalistes ne devraient s’en satisfaire. Qu’un journaliste soit très honnêtement convaincu qu’il n’est d’aucune manière affecté par un conflit d’intérêts ne saurait clore la question, puisque l’apparence de conflit d’intérêts est tout autant dommageable, aux yeux du public », a écrit le Conseil.
Dans le cas de M. Brault, le Conseil juge également que la transparence dont a fait preuve le journal Les Affaires ne règle pas la question. En effet, bien que l’avant-propos précise la nature particulière du blogue et rappelle que l’idée à la base de celui-ci est de permettre au public de se glisser dans la peau d’un entrepreneur pour en comprendre les rouages, on ne peut ignorer que le blogue fait amplement la promotion de l’entreprise de son auteur.
Dans un billet intitulé « Pourquoi je suis accroc à la visibilité gratuite », publié le 11 octobre 2016, Julien Brault écrit d’ailleurs : « Selon moi, si le capital est le carburant d’une start-up, la visibilité est rien de moins que son oxygène. » Il cite son blogue sur Les Affaires comme une manière d’augmenter sa visibilité : « Non seulement j’accepte toutes les demandes d’entrevues, qu’elles portent ou non sur Hardbacon, mais je raconte mon histoire chaque semaine dans des billets de blogue comme celui-ci. »
Au moment de mettre fin au blogue, sur fond de divergence de vues avec la direction du journal Les Affaires, M. Brault reconnaît sur sa page Facebook avoir profité grandement de cette exposition médiatique. Il explique alors sans ambiguïté, dans un dernier billet, qu’il est « conscient que ce n’est pas donné à tous les entrepreneurs d’entretenir un blogue sur Les Affaires, et il va sans dire que ça été un grand avantage pour [lui] ».
Si le Conseil a pu considérer un moment le caractère pédagogique de l’idée d’offrir aux lecteurs un regard sur la démarche d’un entrepreneur, dans la pratique il appert que cet objectif didactique était fondamentalement vicié, puisque le blogue en question agissait de facto comme une extraordinaire vitrine à l’entreprise Hardbacon.
Le Conseil tient aussi à souligner que ce blogue a été rédigé par un ex-journaliste du journal Les Affaires, ce qui confère plus de crédibilité à son propos et lui procure une image d’indépendance qu’il n’a plus. Ce qui est d’autant plus trompeur pour le public.
Dans les circonstances, le Conseil ne peut que conclure que loin de servir les lecteurs, le blogue fournissait à son auteur une visibilité assimilable à de la publicité déguisée en journalisme d’opinion dans le cas présent.
Le grief de publicité déguisée est donc retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Martin Turcotte et blâme M. Julien Brault et le journal Les Affaires pour le grief de publicité déguisée.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
- M. Marc Verreault
Représentants des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette
- Mme Nicole Tardif