Plaignant
Mme Sylvie Jobin
Mis en cause
Pierre-Olivier Fortin
Le site Internet journaldequebec.com
Résumé de la plainte
Mme Sylvie Jobin dépose une plainte le 9 septembre 2016 contre le journaliste Pierre-Olivier Fortin et le site Internet journaldequebec.com concernant l’article « Un garçon de 5 ans meurt écrasé par un tracteur en Beauce », mis en ligne le 15 juin 2016. Elle déplore l’identification injustifiée d’une victime d’accident et un manque de respect envers les proches d’une victime.
Le site Internet journaldequebec.com a refusé de répondre à la présente plainte.
L’article mis en cause rapporte la mort accidentelle d’un garçon de cinq ans, écrasé par un tracteur conduit par son grand-père.
Analyse
Grief 1 : identification injustifiée d’une victime d’accident
La plaignante reproche aux mis en cause d’avoir identifié son fils dans un article rapportant l’accident, alors qu’elle n’avait pas encore été mise au courant. Elle précise que sa famille et des amis ont appris la tragédie en lisant l’article sur Internet, qui aurait été mis en ligne seulement 52 minutes après l’accident. La plaignante souligne que cet article comprenait le nom complet et l’âge de l’enfant, ainsi que le nom et l’adresse de la ferme où l’événement s’est produit.
Contacté par la soeur de la plaignante, le journaliste se serait justifié en disant qu’il n’a pas eu à demander le nom de l’enfant puisque les gens sur place le pleuraient, ce qui l’aurait amené à conclure que toute la famille était présente et au courant de l’événement. Il aurait fait valoir que dans les villages, les gens se connaissent et ont rapidement déduit l’identité du jeune. La plaignante considère que le fait de nommer son fils, de préciser son âge, le nom de la ferme et son adresse faisait en sorte qu’il n’était même plus nécessaire de déduire quoi que ce soit.
La plaignante observe que dans bien des cas de drames semblables, l’identité de la victime n’est révélée au public que 24h plus tard. Dans certains cas, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs, l’identité n’est finalement jamais rendue publique selon elle.
En ce qui concerne l’identification des victimes d’accidents ou d’actes criminels, l’article 21 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec stipule : « Les journalistes et les médias d’information ne diffusent pas de photographies ou d’informations permettant l’identification des victimes d’accidents ou d’actes criminels, s’ils n’ont pas l’assurance que leurs proches ont au préalable été avisés. »
Dans la décision D2012-01-050, le Conseil a jugé que les mis en cause avaient manqué de respect envers les proches d’un homme victime d’un accident de la route. Au cours d’un reportage diffusé en direct du lieu d’un accident de la route survenu 30 minutes plus tôt, les mis en cause ont fourni suffisamment de détails sur le conducteur décédé pour que la plaignante reconnaisse son conjoint, alors que les policiers n’avaient pas eu le temps de la prévenir de l’accident. Le Conseil a conclu : « Même si la journaliste n’a pas dévoilé le nom de la victime, le Conseil croit qu’elle n’aurait pas dû dévoiler autant d’informations spécifiques comme la plaque d’immatriculation, l’âge, le lieu de résidence et l’image de certains biens personnels. » Ainsi, le Conseil déplorait que les mis en cause ne se soient pas assurés que les proches avaient été avisés du décès du conducteur avant de diffuser la nouvelle.
Dans le cas présent, le Conseil juge que les mis en cause ont manqué à leurs obligations déontologiques en publiant l’identité de la victime, ainsi qu’un trop grand nombre de détails, dont le lieu précis du drame, alors que l’accident venait tout juste de survenir. Aux yeux du Conseil, il n’était pas nécessaire d’identifier aussi rapidement la victime alors qu’il était hautement probable que l’ensemble de la famille n’était pas informée de son décès, vu la mise en ligne précipitée de l’article.
Le grief d’identification injustifiée d’une victime d’accident est retenu.
Grief 2 : manque de respect envers les proches d’une victime
La plaignante reproche au journaliste de ne pas avoir respecté les personnes proches impliquées dans ce drame humain, notamment en s’introduisant sur leur terrain privé, en questionnant des personnes en état de choc et en publiant des détails de l’accident qui n’étaient d’aucun intérêt public.
Le Guide prévoit à l’article article 18.1, portant sur la couverture de drames humains, que « [l]es journalistes et les médias d’information font preuve de retenue et de respect à l’égard des personnes qui viennent de vivre un drame humain et de leurs proches. Ils évitent de les harceler pour obtenir de l’information et respectent leur refus d’accorder une entrevue ».
Dans le cas des personnes en situation de vulnérabilité, l’article 26 du Guide précise : « Les journalistes font preuve de prudence avant de diffuser les propos de personnes en situation de vulnérabilité. »
Dans la décision D2014-04-112(2), le Conseil a jugé que le journaliste avait manqué de discernement dans son évaluation du consentement de la plaignante qui venait d’apprendre le suicide de son fils. « Il y avait lieu de tenir compte de la situation extrême que la plaignante vivait et de sa vulnérabilité qui en découlait, et de mettre en doute le caractère libre et éclairé de la décision d’une personne qui vient tout juste d’apprendre le suicide de son fils. »
Dans la décision D2015-11-059, le Conseil a blâmé les mis en cause pour avoir publié une photo montrant une femme vomissant à l’extérieur de la maison où le cadavre de son père avait été retrouvé. La décision rappelait alors que : « Dans plusieurs de ses décisions, le Conseil soulignait les précautions à prendre lors de la publication d’informations sensibles. Comme le mentionne l’ancien guide de déontologie du Conseil, les Droits et responsabilités de la presse : « Que ce soit lors de la collecte, du traitement ou de la diffusion de l’information, les médias et les journalistes doivent faire preuve de prudence, de discernement et de circonspection. Ils doivent se soucier d’informer réellement le public, et doivent faire les distinctions qui s’imposent entre ce qui est d’intérêt public et ce qui relève de la curiosité publique. » (p. 42) Le Conseil considère, dans le présent cas, que la publication de cette photographie tire profit d’un instant de grande vulnérabilité de la dame et porte ainsi atteinte à son droit à la dignité. Ainsi, pour le Conseil la publication de cette photographie relève davantage d’une curiosité malsaine que d’un intérêt public légitime. »
À la lecture de l’article ici concerné, le Conseil constate que le journaliste rapporte et décrit les réactions d’un mineur, soit le cousin de 15 ans de l’enfant décédé. Dans son article, le journaliste rapporte que l’adolescent et son père sont bouleversés par l’accident. Il écrit que le jeune homme « est inconsolable et s’effondre en regardant la scène. C’est pareil pour son père, Jean-Pierre Trachy. Sa voix tremble lorsqu’il parle de l’accident. ».
Le Conseil juge que le journaliste a manqué de sensibilité envers les proches de la victime. Personne n’est en mesure de consentir de façon éclairée à une entrevue avec un journaliste si peu de temps après un tel drame, ce que confirme le passage de l’article cité plus haut. Dans les circonstances, le Conseil juge que les détails divulgués dans l’article, et qui ont exposé les proches de la victime à davantage de tracas et à des peines inutiles, relevaient davantage d’une curiosité malsaine que d’un réel souci d’informer le public d’éléments d’intérêt public, alors même que la pudeur commandait une certaine retenue.
Le grief de manque de respect envers les proches d’une victime est retenu.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du site Internet journaldequebec.com, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Sylvie Morin et blâme sévèrement le journaliste Pierre-Olivier Fortin et le site Internet journaldequebec.com pour les griefs d’identification injustifiée d’une victime d’accident et de manque de respect envers les proches d’une victime. La gravité de la faute qui entache le métier de journaliste et l’impact de ce manque de respect et de cette précipitation sur la famille de la jeune victime, notamment son cousin d’âge mineur, motivent la décision du Conseil de blâmer sévèrement les mis en cause.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours après la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentants des journalistes :
- Mme Audrey Gauthier
- M. Marc Verreault
Représentants des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette
- Mme Nicole Tardif