Plaignant
Mme Marie-Claude Joannis, plainte 1
M. Jean-François Mauger, plainte 2
M. Olivier René, plainte 3
M. Michel Seymour, plainte 4
(2 plaignants en appui)
Mis en cause
M. Jeff Fillion, animateur
Émission « Fillion »
Station radiophonique CHOI 98,1 FM
Résumé de la plainte
Les plaignants déposent une plainte le 22 novembre 2016 contre l’animateur Jeff Fillion et la station CHOI 98,1 FM concernant des propos jugés racistes, sexistes, dégradants et haineux à l’égard des femmes autochtones, tenus lors de l’émission « Fillion », diffusée le 15 novembre 2016.
La station CHOI 98,1 FM a refusé de répondre à la présente plainte.
Durant l’émission, l’animateur revient sur les allégations formulées par des femmes autochtones à l’émission « Enquête » de Radio-Canada sur des agressions sexuelles dont elles disent avoir été victimes de la part de policiers de Val-d’Or, en Abitibi.
Analyse
Grief 1 : propos racistes, sexistes, dégradants et haineux entretenant les préjugés, portant atteinte à la dignité des personnes et engendrant la violence
Dans le segment mis en cause, une des plaignantes reproche à l’animateur des propos jugés « inacceptables » qui, selon elle, contribuent à une forme de propagande haineuse et dégradante. À son avis, ce discours encourage l’ostracisme des victimes de viol et des femmes en général.
Cette plaignante appuie sa critique sur les extraits suivants, où Jeff Fillion, qui dit citer une conversation privée avec un policier, affirme :
« J’ai parlé à un policier et il m’a dit : “Voyons, on est tous des jeunes, on arrive, on a tous des belles femmes”. […]
« Les femmes autochtones avec qui ils ont affaire, c’est des cas problématiques. Des filles qui sniffent de la colle […]. On sait que les Amérindiens acceptent pas, surtout quand ils sont intoxiqués, ils acceptent pas l’autorité. Ça prend un peu de discipline, ça prend des gens qui brassent un peu. »
Les plaignants reprochent aussi à l’animateur des commentaires racistes, méprisants et sexistes à l’égard des femmes autochtones et ses conclusions hâtives quant aux responsabilités ou à la possible implication des policiers dans les cas allégués d’agressions.
Les plaignants résument les arguments avancés par Jeff Fillion au fait que les policiers n’ont pu commettre des agressions parce qu’ils sont beaux, alors que les victimes alléguées ne le sont pas. L’extrait suivant a été pointé par les plaignants :
« Ce que le gars me disait, il dit “je regarde autour de moi, c’est tous des beaux gars ” […]. Mettons que là-dedans, il y en a qui ont envie de tromper leur femme. Je veux pas être méchant, mais ils feront pas ça avec quelqu’un qui a sans doute des problèmes d’hépatite, […] des dents pourries[…]. Le terme qu’on va utiliser : déboitées. Vraiment maganées. »
En matière de discrimination le Guide de déontologie journalistique précise à l’article 19 que « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, de représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Plusieurs cas de jurisprudence impliquent la station CHOI 98,1 FM et l’animateur Jeff Fillion en matière de discrimination. Dans le dossier D2015-05-140, les animateurs de l’émission matinale ont été sévèrement blâmés pour avoir fait preuve de mépris et de discrimination envers les personnes assistées sociales et les groupes qui les défendent. Le Conseil a établi que leurs propos alimentaient les préjugés contre ces groupes.
Dans le dossier D2015-06-149, portant sur une plainte déposée contre Jeff Fillion, alors animateur à la station NRJ 98,9, le Conseil avait jugé qu’en déclarant « Awoueille des coups de fouet, we don’t care », à l’égard du blogueur Raif Badawi condamné à 1000 coups de fouet par la justice saoudienne, il avait tenu des propos jugés haineux, assimilables à une forme d’incitation au dénigrement.
Dans le dossier D2005-03-065, Jeff Fillion et Denis Gravel avaient été blâmés pour des propos hostiles à l’égard du personnel de la fonction publique. Le Conseil avait alors souligné qu’un chroniqueur peut prendre parti et livrer ses opinions personnelles, mais qu’en enfilant des insultes telles : « arriérés », « gang d’imbéciles » et « abrutis un peu malades », les animateurs avaient outrepassé les larges limites de la chronique et du commentaire.
Dans la présente plainte, le Conseil estime que les propos tenus par l’animateur sont extrêmement dégradants, méprisants et viennent encourager les préjugés envers les femmes des Premières Nations.
Sans constituer directement une incitation à la violence, de tels propos sont néanmoins susceptibles de la banaliser, ce qui de l’avis du Conseil est tout aussi déplorable.
Le Conseil estime que le mépris dont il est question est d’autant plus répréhensible qu’une telle situation commandait au contraire une grande sensibilité.
Le grief de propos racistes, sexistes, dégradants et haineux entretenant les préjugés, portant atteinte à la dignité des personnes et engendrant la violence est donc retenu.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le fait que la station CHOI 98,1 FM ait refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte la concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte et blâme sévèrement l’animateur Jeff Fillion et la station CHOI 98,1 FM pour propos racistes, sexistes, dégradants et haineux entretenant les préjugés et portant atteinte à la dignité des personnes. Le blâme sévère est décerné en raison de la gravité de la faute et du fait que l’animateur et la station de radio qui l’emploie n’en sont pas à leurs premières fautes en ces matières.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentants des journalistes :
- M. Marc Verreault
- Mme Audrey Gauthier
Représentants des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette
- Mme Nicole Tardif