Plaignant
Mme Isabelle Juneau
Mis en cause
Le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Mme Isabelle Juneau dépose une plainte le 7 décembre 2016 contre le quotidien Le Journal de Montréal concernant les commentaires d’internautes publiés à la suite des chroniques « 9 vedettes québécoises mal à l’aise au “Isabelle Juneau Show”» et « Entrevue extrêmement pénible pour Émily Bégin » parues le 7 septembre 2017. La plaignante déplore des propos haineux portant atteinte à sa dignité.
Dans sa plainte, Mme Juneau reproche également au mis en cause d’avoir atteint à sa réputation, d’avoir publié des informations inexactes et discriminatoires et elle leur demande des excuses et un dédommagement. Ces trois éléments n’ont pas été traités pour les raisons suivantes : premièrement, l’atteinte à la réputation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire. Deuxièmement, le Conseil juge que le grief d’informations inexactes et discriminatoires n’est pas recevable puisqu’il ne s’agissait pas d’inexactitude de faits, mais plutôt de divergence d’opinions et que le Conseil ne relève aucun motif discriminatoire. Dans ces deux cas, il n’y a donc aucune apparence de faute déontologique. Finalement, il n’est pas de la prérogative du Conseil d’exiger des excuses et des dédommagements de la part des médias. Lorsqu’une faute est constatée, il relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements.
Le Journal de Montréal n’a pas souhaité répondre à la plainte.
La plainte vise des commentaires publiés par les internautes à la suite de textes dans lesquels on critique des entrevues réalisées par la plaignante.
Analyse
Grief 1 : propos haineux portant atteinte à la dignité
La plaignante dénonce les propos haineux des internautes publiés à la suite des articles. Elle pointe les commentaires suivants : « complètement détraquée », « niaiseuse », « Cette fille c’est une plaie », « une autre cruche », « une cruche très profonde », « une plaie sociale », « nulle à mourir », « tu vaux zéro », « méchante conne », « une conne conne conne », « idiote et sans talent » et « une cruche c’est une cruche ». La plaignante soutient que, tout comme les articles qui les précédaient, les commentaires des internautes l’ont troublée et ont détruit sa carrière et son travail.
Concernant les propos haineux, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec prévoit, à l’article 19, alinéa 1 intitulé Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
L’article 16, alinéa 3 du Guide encadre quant à lui les contributions du public : « Les médias d’information prennent les moyens raisonnables pour s’assurer que les contributions du public respectent la dignité et la vie privée des personnes et ne soient pas discriminatoires. »
En ce qui a trait à la protection de la dignité, le Guide, à l’article 18, alinéa 1, rappelle : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. »
Dans sa jurisprudence, notamment la décision D2016-05-145, le Conseil rappelle que la Cour suprême a indiqué que le droit à la dignité « vise les atteintes aux attributs fondamentaux de l’être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu’elle est un être humain et au respect qu’elle se doit à elle-même. » ([1996] 3 R.C.S. 211, par. 105) La décision du Conseil précise que l’atteinte à ce droit à la dignité s’évaluera nécessairement en tenant compte du contexte dans lequel les propos jugés vexatoires ont été tenus.
Dans la décision D2016-04-139, le Conseil a constaté que certains commentaires des internautes à la suite d’articles rapportant l’arrestation de M. Dany Villanueva étaient « manifestement offensants, irrespectueux » et qu’il portait atteinte à la dignité de M. Villanueva et incitaient même à la violence envers lui. « Parmi les commentaires qui aux yeux du Conseil auraient dû être modérés, notons par exemple ceux qualifiant M. Villanueva de “déchet” et de “vidange” ainsi que l’expression “bande de tarés” et la phrase “Ils auraient du le descendre” (sic) », peut-on lire dans la décision. Celle-ci rappelle en outre que « la modération des commentaires est une responsabilité des médias » et souligne que le sujet abordé par les articles (l’arrestation de M. Dany Villanueva) était sensible et que les risques de dérapages étaient prévisibles. « Confrontés à ce genre de débordements, les mis en cause auraient aussi très bien pu décider de bloquer systématiquement la publication de commentaires », a fait valoir le Conseil.
En ce qui concerne les commentaires pointés par la plaignante, le Conseil juge que, bien qu’un de ces commentaires, isolé, n’incite pas à la haine ou à la violence en soi, ils ont cependant un effet cumulatif qui porte atteinte à la dignité de la plaignante. Le Conseil rappelle que les médias sont responsables de tout ce qu’ils publient, ce qui inclut les contributions du public. La présence de ces commentaires sur le site Internet du mis en cause signifie donc que ce dernier a manqué à sa responsabilité de « s’assurer que les contributions du public respectent la dignité […] des personnes » puisqu’il n’a pas modéré ces commentaires.
Le grief d’atteinte à la dignité est retenu, mais le grief de propos haineux est rejeté.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du quotidien Le Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Isabelle Juneau et blâme le quotidien Le Journal de Montréal pour le grief d’atteinte à la dignité. Cependant, celui de propos haineux est rejeté.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Représentants du public :
M. Paul Chénard
M. Luc Grenier
Mme Linda Taklit
Représentante des journalistes :
Mme Audrey Gauthier
Représentants des entreprises de presse :
M. Jed Kahane
M. Raymond Tardif