Plaignant
M. Stéphane Forest
Mis en cause
Mme Geneviève Quessy, journaliste
M. David Prince, chef de nouvelles
Les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec
Les sites Internet journaldemontréal.com et journaldequebec.com
Le site Internet Tigernewsmedia.com
Résumé de la plainte
M. Stéphane Forest dépose une plainte le 31 janvier 2017 contre la journaliste Geneviève Quessy, le chef des nouvelles du Journal de Montréal, David Prince, les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ainsi que les sites Internet journaldemontréal.com, journaldequebec.com et Tigernewsmedia.com contre l’article intitulé « Un camionneur filmé et pourchassé plaide coupable » qui a été publié le 16 décembre 2016. Le plaignant déplore une apparence de conflit d’intérêts, des informations inexactes, une information incomplète, un manque de rigueur de raisonnement, un manque d’équilibre, de la partialité, du sensationnalisme, une absence de suivi des affaires judiciaires, un manque de courtoisie ainsi qu’un correctif incomplet et un refus de retirer l’article en cause.
Les mis en cause n’ont pas souhaité répondre à la plainte.
L’article en cause relate les faits et la conclusion d’une affaire criminelle initiée par le plaignant contre un chauffeur de poids lourd. Les faits dont il est question (une altercation dans un quartier industriel en bordure de l’autoroute 440, à Laval) ont été filmés par le plaignant qui a produit en preuve les séquences vidéo.
Point sur la recevabilité
Après consultation du site Tigernewsmedia.com, le Conseil constate que celui-ci reprend des nouvelles publiées par d’autres médias sans aucun traitement journalistique.
Dans la décision D2015-11-058, le Conseil a déterminé que la publication mise en cause ne pouvait être considérée comme « un média d’information journalistique ». En analysant le contenu de cette publication, le Conseil avait en effet constaté que les textes qui y étaient publiés n’étaient « le fruit d’aucun traitement journalistique ».
Le Conseil juge que la plainte à l’endroit de Tigernewsmedia.com n’est pas recevable.
Analyse
Grief 1 : apparence de conflit d’intérêts
Le plaignant reproche à la journaliste de s’être trouvée dans une situation d’apparence de conflit d’intérêts, car elle a couvert l’affaire judiciaire le concernant « malgré l’existence de plusieurs liens interpersonnels indirects avec des membres de la famille Poliquin, propriétaire de l’entreprise de camionnage » qui est mentionnée dans l’article. Il soumet un tableau qui met, selon lui, en évidence les liens entre la journaliste et des membres de la famille Poliquin via le réseau social Facebook.
Le plaignant considère que le chef des nouvelles et les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ont manqué à leur « devoir de veiller au respect du devoir d’indépendance et d’intégrité » de la journaliste. Il estime en effet qu’ils ont refusé de « s’enquérir adéquatement, avec intérêt et de manière diligente et professionnelle des détails » de sa plainte et qu’ils ont omis « d’intervenir après le signalement de l’existence de l’apparence de conflit d’intérêts ».
En matière de conflit d’intérêts, l’article 6.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec stipule que : « (1) Les journalistes évitent tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts. En toute situation, ils adoptent un comportement intègre. (2) Les médias d’information veillent à ce que leurs journalistes ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts. »
Dans la décision D2010-10-037, le Conseil a statué qu’un journaliste ne s’était pas placé en conflit d’intérêts en écrivant sur la page Facebook d’une personne faisant l’objet d’un article qu’il avait signé (son commentaire signalait un fait similaire à celui relaté dans l’article). Le Conseil a par ailleurs souligné que « Facebook est du domaine public et il est naturel que des “amis” Facebook échangent sur un sujet ».
Le Conseil juge que le tableau apporté en preuve par le plaignant n’est pas concluant, car les liens qui y figurent sont trop ténus.
Le grief d’apparence de conflit d’intérêts est rejeté.
Grief 2 : informations inexactes
Le plaignant estime que l’article comporte 12 informations inexactes.
2.1 Régeant
Le plaignant déplore une inexactitude dans l’orthographe du prénom du camionneur faisant l’objet de l’article. Il indique que dans la première version de l’article, la journaliste écrit Réjean Lessard, alors que l’homme orthographie son prénom Régeant. Il apporte en preuve un extrait du plumitif montrant que dans l’affaire criminelle rapportée dans l’article mis en cause, le défendeur se nomme Régeant Lessard.
L’orthographe du prénom du camionneur a été rectifiée dans la seconde version de l’article mise en ligne sur les sites web du Journal de Montréal et du Journal de Québec.
En matière d’exactitude, l’alinéa a) de l’article 9 du Guide de déontologie précise que : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
La lecture a contrario de la décision D2006-06-069 rendue par le Conseil montre que pour qu’un grief d’inexactitude soit retenu, celle-ci doit être majeure et interférer dans la compréhension du lecteur des informations principales de l’article.
Dans la décision D2006-02-045, le Conseil estime « regrettables » les deux erreurs commises par une journaliste dans la retranscription des prénom et nom d’une personne citée dans un article (Stephen Jetchisk au lieu de Stefan Jetchick), mais que celles-ci « ne changeaient pas sur le fond, la portée des informations contenues dans l’article ».
Le Conseil juge que l’erreur commise sur l’orthographe du prénom du camionneur dans la première version de l’article n’avait pas d’impact sur la compréhension de celui-ci et n’en changeait pas la portée des informations.
Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
2.2 Casier judiciaire
La journaliste écrit dans l’article que M. Lessard « devra vivre avec un casier judiciaire ». Selon le plaignant, il s’agit d’une inexactitude puisque M. Lessard avait déjà un casier judiciaire.
Les antécédents judiciaires de Régeant Lessard apportés en preuve par le plaignant montrent que le camionneur avait un casier judiciaire avant les faits relatés par la journaliste.
La majorité des membres (4/7) du comité juge que cette inexactitude a un impact sur la compréhension du dossier et qu’elle induit le public en erreur.
Le grief d’informations inexactes est retenu à la majorité sur ce point.
2.3 Poursuite
Le plaignant reproche à la journaliste d’avoir publié une information inexacte dans la première version de l’article lorsqu’elle écrit : « […] d’un conducteur qui le filmait en le poursuivant depuis plusieurs dizaines de minutes ». Le plaignant soutient qu’il a plutôt suivi le camionneur pendant quatre minutes et non « plusieurs dizaines de minutes », ce que démontre, selon lui, la vidéo visionnée par la journaliste.
Le plaignant fait valoir que cette information a été rectifiée dans la seconde version de l’article mise en ligne sur les sites web du Journal de Montréal et du Journal de Québec.
Les vidéos apportées en preuve par le plaignant montrent que ce dernier a suivi le camion pendant 4 minutes et 26 secondes.
Après analyse de la preuve transmise par le plaignant, la majorité des membres (5/7) du comité constate qu’il était inexact d’écrire que la poursuite avait duré « plusieurs dizaines de minutes ».
Le grief d’informations inexactes est retenu à la majorité sur ce point.
2.4 Voie de desserte
Le plaignant affirme qu’il est inexact d’écrire que le camionneur a « tenté de saisir la caméra que tenait Stéphane Forest [le plaignant], le 17 juin 2015 vers 10h du matin, sur la voie de service de l’autoroute 440, à Laval ». Il soutient que cet événement s’est déroulé dans un quartier industriel et non sur la voie de desserte.
La majorité des membres du comité (5/7) juge que l’information transmise est exacte puisque ce passage peut aussi être interprété de la manière suivante : le camionneur a tenté de saisir la caméra que le plaignant tenait sur la voie de service.
Le grief d’informations inexactes est rejeté à la majorité sur ce point.
2.5 Verdict
Selon le plaignant, il est inexact d’affirmer dans la première version de l’article que : « Non content de ce verdict, Stéphane Forest poursuit au civil l’employeur du camionneur. » Il fait valoir que sa poursuite civile contre l’entreprise Labranche Transport a été introduite le 29 octobre 2015 alors que le jugement du tribunal en matière criminelle dont il est question dans l’article en cause a été prononcé le 16 décembre 2016.
Le plaignant signale que cette information a été rectifiée dans la seconde version de l’article mise en ligne sur les sites web du Journal de Montréal et du Journal de Québec.
Constatant que le jugement du tribunal en matière criminelle est postérieur à la poursuite civile du plaignant contre l’entreprise Labranche Transport, le Conseil juge qu’il était inexact d’écrire « Non content de ce verdict, Stéphane Forest poursuit au civil l’employeur du camionneur. »
Le grief d’informations inexactes est retenu sur ce point.
2.6 Attention du conducteur
Le plaignant estime que la journaliste transmet de l’information inexacte lorsqu’elle écrit : « Concentrant toute son attention vers l’arrière pour filmer la situation, il a souvent tardé à faire avancer son véhicule lorsque la voie se dégageait devant lui. » Il affirme qu’une deuxième caméra fixée à son pare-brise démontre que son véhicule avance et s’immobilise en fonction de la circulation témoignant ainsi que « toute » son attention ne se porte pas vers l’arrière et qu’il n’a pas « souvent » tardé à faire avancer son véhicule.
Les séquences vidéos mises en preuve montrent que ce dernier fait avancer son véhicule en fonction de la circulation.
Au vu de la preuve vidéo, la majorité des membres (5/7) du comité juge que les faits présentés dans ce passage de l’article ne sont pas fidèles à la réalité.
Le grief d’informations inexactes est retenu à la majorité sur ce point.
2.7 Impatience
Le plaignant estime inexact le passage suivant : « S’impatientant contre le poids lourd qui le suivait de trop près selon lui ». Il estime que le verbe « s’impatienter » et l’expression « selon lui » sont inexacts.
Pour le Conseil, l’inexactitude alléguée par le plaignant relève de la marge d’interprétation acceptable du journaliste. Il souligne que le fait que le plaignant ait pris la peine de sortir sa caméra par la fenêtre de sa voiture démontre qu’il s’impatientait.
Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
2.8 Rage au volant
Selon le plaignant, la journaliste aurait transmis de l’information inexacte en affirmant : « […] commentant verbalement ce qu’il considérait comme un cas de rage au volant ». Il soutient que la vidéo démontre qu’il ne fait mention de rage au volant qu’à la fin de la vidéo, soit lors d’un appel au 9-1-1, et non pendant l’incident.
Le Conseil estime que la phrase en cause n’indique pas que le plaignant ait explicitement parlé de rage au volant lorsqu’il filmait le camionneur. Pour ces deux raisons, le Conseil considère que l’inexactitude alléguée par le plaignant relève de la marge d’interprétation acceptable du journaliste.
Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
2.9 Changement de voie
Le plaignant affirme qu’il est inexact d’écrire « Stéphane Forest aurait eu à plusieurs reprises la possibilité de changer de voie, mais ne l’a pourtant pas fait » puisqu’il n’avait aucune obligation de le faire et qu’il devait emprunter la sortie suivante.
Le visionnement des vidéos apportées en preuve par le plaignant permet de constater que celui-ci devait rester sur la voie de droite pour emprunter la sortie suivante.
La majorité des membres (4/7) du comité estime que la journaliste ne peut pas présenter comme un fait l’absence d’un geste qui n’avait aucune raison d’être. Elle rapporte une cause judiciaire, elle doit donc se limiter à rapporter ce qui s’est passé.
Le grief d’informations inexactes est retenu à la majorité sur ce point.
2.10 Dépassement
Le plaignant juge inexact le passage suivant : « Après que le poids lourd l’eut brusquement dépassé pour prendre une sortie ». Il soutient que le camionneur a plutôt effectué un dépassement à l’extrémité de la sortie « afin de s’engager sur la voie de desserte et non préalablement à l’entrée dans la sortie dans le but de la prendre comme l’explique l’article ».
Le Conseil juge que l’inexactitude alléguée par le plaignant relève de la marge d’interprétation acceptable du journaliste et qu’elle ne change rien à la compréhension du dossier.
Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
2.11 Heure de pointe
Le plaignant considère qu’il est inexact d’écrire dans l’article que « [l]’incident s’est produit à l’heure de pointe du matin, alors que les véhicules circulaient pare-chocs à pare-chocs dans un trafic très dense ». Il fait valoir que les faits ont eu lieu vers 10h, soit après l’heure de pointe, et que la congestion était due à une intervention des services d’urgence en lien avec une collision.
Les recherches du Conseil ont permis de constater qu’il n’existe pas de définition « officielle » de l’heure de pointe. Des documents du ministère des Transports indiquent que dans la région de Montréal, celle-ci s’étend de 6h à 9h, cette plage horaire pouvant varier selon les circonstances et les conditions de circulation.
Constatant l’absence de définition formelle de l’heure de pointe, la majorité des membres (5/7) du comité juge qu’il y a marge à interprétation et que, par ailleurs, les faits du reportage demeurent peu importe la raison de la congestion. L’information rapportée est donc exacte, selon ces membres.
Le grief d’informations inexactes est rejeté à la majorité sur ce point.
2.12 Caméra brandie
Le plaignant soutient qu’il est inexact d’affirmer qu’il « avait brandi sa caméra par la fenêtre ». S’appuyant sur la définition du verbe « brandir » – « fait d’agiter un objet dans le but d’attirer l’attention », selon le dictionnaire Larousse -, il explique qu’il a sorti la caméra à l’extérieur du véhicule afin de mieux rendre compte de la distance séparant le camion de son véhicule et pour capter la plaque d’immatriculation avant du camion.
Le dictionnaire Larousse donne trois définitions pour le verbe « brandir » : « Lever dans la main une arme, un objet d’un geste menaçant; Agiter un objet en l’air pour attirer l’attention; Présenter quelque chose comme une arme. » Selon Antidote, le verbe « brandir » a également le sens suivant : « Agiter en l’air, élever de façon menaçante. »
Le Conseil constate que cette information a été rectifiée dans la seconde version de l’article mise en ligne sur les sites web du Journal de Montréal et du Journal de Québec.
Pour le Conseil, le choix du verbe « brandir » n’est pas inexact dans le contexte où il est utilisé.
Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations inexactes est retenu en ce qui concerne le casier judiciaire du camionneur, la durée de la poursuite, le lien entre le verdict de cette affaire et la poursuite intentée au civil par le plaignant contre l’employeur du camionneur, l’attention du conducteur et le changement voie qu’aurait pu effectuer le plaignant.
Grief 3 : information incomplète
Le plaignant considère que six informations essentielles à la compréhension de l’article ont été omises par la journaliste.
3.1 Klaxon
Le plaignant déplore que la journaliste ait omis de mentionner que le camionneur a klaxonné pendant 3 secondes consécutives afin de manifester son impatience lorsqu’un véhicule s’est inséré devant celui du plaignant. Selon ce dernier, il s’agit d’un élément d’information pertinent témoignant du comportement agressif du camionneur.
3.2 Manoeuvre d’agression
Le plaignant déplore que la journaliste ait omis de rapporter le fait que le camionneur a « volontairement effectué une manoeuvre d’agression avec son véhicule lourd en le dirigeant vers la voie dans laquelle se trouvait [s]on véhicule ». Il souligne que cette manoeuvre était visible sur la vidéo visionnée par la journaliste et qu’il s’agit de « l’élément principal ayant motivé [s]a décision de suivre le camion dans le but d’en identifier le conducteur ».
3.3 Regard
Le plaignant reproche à la journaliste de ne pas avoir rapporté que le camionneur « a pris soin de [l]e regarder pendant son dépassement par la droite et avant de diriger volontairement son camion vers [s]on véhicule, ce qui démontre le caractère volontaire de ce geste d’agression et de la conduite dangereuse ».
3.4 Infractions au Code de la sécurité routière
Le plaignant reproche à la journaliste d’avoir omis de mentionner les « nombreuses infractions au Code de la sécurité routière commises » par le camionneur au cours de l’événement. Il souligne que la vidéo permet de constater que le camionneur suit à une distance non sécuritaire, fait usage sans nécessité du klaxon, franchit une ligne continue, dépasse par la droite, dévie volontairement son véhicule lourd vers la voiture du plaignant, change de voie de façon non sécuritaire, effectue des manoeuvres sans les signaler et n’effectue pas des arrêts obligatoires.
3.5 Logo
Le plaignant reproche à la journaliste d’avoir omis de mentionner qu’au moment où le camionneur s’est approché de son véhicule, ce dernier lui a envoyé la main pour le narguer et a volontairement placé la main sur sa chemise afin de dissimuler le logo de l’entreprise qui l’emploie.
3.6 Témoins civils
Le plaignant déplore que l’article ne fasse pas mention des témoins civils impartiaux ayant assisté à l’agression. Il estime qu’il s’agit d’un des éléments « qui exposent le véritable déroulement de l’incident ».
L’article 9 alinéa e) du Guide de déontologie journalistique précise que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
La jurisprudence du Conseil établit que les journalistes doivent s’assurer de présenter les éléments d’information essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. Comme en témoigne la décision D2014-12-062, le journaliste n’a pas à couvrir tous les angles d’une nouvelle. Dans cette décision le Conseil a rejeté une plainte d’incomplétude contre un journaliste à qui l’on reprochait d’avoir « escamoté » certains détails. Le Conseil a conclu qu’il s’agissait d’éléments accessoires.
Dans la décision D2015-10-052, le Conseil indique qu’un « journaliste est toujours libre d’exclure certaines informations, pour peu que ce choix ne prive pas le public d’informations essentielles, considérant l’angle de traitement choisi ».
Après analyse des six incomplétudes alléguées par le plaignant, le Conseil juge que ces informations ne sont pas essentielles à la compréhension du dossier.
Le grief d’information incomplète est rejeté.
Grief 4 : manque de rigueur de raisonnement
Le plaignant déplore un manque de rigueur de raisonnement dans l’affirmation suivante : « Stéphane Forest ne fait face à aucune accusation dans cette histoire. » Soulignant qu’il n’a commis aucune infraction, il se demande pour quelle raison il aurait pu faire face à des accusations.
L’alinéa b) de l’article 9 du Guide de déontologie journalistique précise que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] b) rigueur de raisonnement ».
La majorité des membres (6/7) du comité juge qu’en affirmant que « Stéphane Forest ne fait face à aucune accusation dans cette histoire », la journaliste rapporte un fait, corroboré par le plaignant qui déclare n’avoir pas commis d’infraction criminelle.
Le grief de manque de rigueur de raisonnement est rejeté à la majorité (6/7 membres).
Grief 5 : manque d’équilibre
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir ignoré sa version des faits et d’avoir uniquement présenté la version du camionneur qui fait l’objet du reportage. Selon lui, cela s’observe notamment dans le titre de l’article « Un camionneur filmé et pourchassé plaide coupable ».
De plus, il observe que son nom est cité à neuf reprises dans l’article alors que celui de Régeant Lessard est mentionné quatre fois, ce qui témoigne selon lui d’un manque d’équilibre « dans la présentation et la pondération du point de vue des parties impliquées ».
L’alinéa d) de l’article 9 du Guide de déontologie journalistique précise que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ».
Dans la décision D2015-05-138, le Conseil a statué sur le cas d’un journaliste à qui il était reproché d’avoir accordé moins d’espace aux arguments de la défense qu’à ceux de la Couronne en fin de parcours d’un procès. L’accusé estimait que ses arguments étaient moins étayés que ceux de la poursuite. Le Conseil a jugé qu’en dépit de la présence moins importante des points de vue de la défense, aucun élément essentiel à la compréhension du public n’avait été omis.
Dans sa décision D2008-07-003, le Conseil rappelle que le choix de couverture et de contenu relève de la liberté rédactionnelle. Il souligne que son guide Droits et responsabilités de la presse indique : « L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. »
La majorité des membres (4/7) du comité observe que la journaliste ne rapporte pas les propos du camionneur. Elle se contente de rapporter les faits selon un choix éditorial qui relève du droit discrétionnaire des rédactions. Les membres majoritaires signalent également que l’équilibre ne se mesure pas au nombre de lignes consacrées à chacune des parties.
Le grief de manque d’équilibre est rejeté à la majorité.
Grief 6 : partialité
Le plaignant reproche à la journaliste de présenter une version de l’événement « comportant plusieurs critiques et remises en question de [s]on comportement ». Selon lui, les extraits suivants témoignent de cette absence de neutralité et du caractère tendancieux de l’article (soulignements du plaignant) :
« Stéphane Forest aurait eu à plusieurs reprises la possibilité de changer de voie, mais ne l’a pourtant pas fait. »
« Concentrant toute son attention vers l’arrière pour filmer […] »
« […] il a souvent tardé à faire avancer son véhicule. »
« Stéphane Forest l’a suivi pendant de longues minutes. »
L’alinéa c) de l’article 9 du Guide de déontologie journalistique précise que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier ».
Selon le Conseil, la journaliste a laissé entrevoir un parti-pris en faveur du camionneur, en se positionnant, par exemple, sur le fait que M. Forest aurait pu changer de voie
Le grief de partialité est retenu.
Grief 7 : sensationnalisme
Dans deux passages de l’article, la journaliste fait preuve de sensationnalisme en exagérant la réalité, selon le plaignant.
7.1 « Plusieurs dizaines de minutes » et « de longues minutes »
Le plaignant déplore que dans la première version de l’article, la journaliste exagère significativement la réalité en affirmant que le camionneur a été poursuivi pendant « plusieurs dizaines de minutes » et qu’il été suivi « pendant de longues minutes ». Le plaignant souligne que la vidéo permet de constater qu’il n’a suivi le camionneur que pendant quatre minutes.
7.2 « Pourchassé »
Le plaignant déplore l’utilisation du verbe « pourchasser » dans le titre « Un camionneur filmé et pourchassé plaide coupable » et dans l’article aussi. Selon lui, ce verbe « suggère, par définition, un acharnement […] qui s’éloigne ainsi clairement du factuel d’un suivi beaucoup moins mouvementé et spectaculaire que ne le suggère le terme » puisqu’il n’a suivi le camionneur que pendant quatre minutes.
En matière de sensationnalisme, l’article 14.1 du Guide de déontologie journalistique stipule que « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. »
Dans la décision D2015-07-013, le Conseil souligne que « les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme et à l’“information-spectacle” risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. »
Dans la décision D2015-10-057, le Conseil rappelle qu’en matière d’information judiciaire, l’article 20 de son Guide de déontologie journalistique mentionne que : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de prudence et d’équité en matière de couverture des affaires judiciaires et policières, étant donné l’importance des conséquences qui peuvent résulter de cette couverture. »
Dans la décision D2015-07-002, le Conseil rappelle qu’on peut lire dans son guide de déontologie que les responsables doivent « veiller à ce que les manchettes et les titres ne servent pas de véhicules aux préjugés et aux partis pris ».
Le dictionnaire Larousse donne la définition suivante pour le verbe pourchasser : « Poursuivre quelqu’un, un animal, le rechercher avec ardeur et obstination ». Par ailleurs, le dictionnaire Larousse donne la définition suivante pour le verbe poursuivre : « Suivre vivement quelqu’un, un animal, un véhicule pour l’atteindre ».
La majorité des membres (5/7) du comité juge que le passage cité par le plaignant concernant la durée durant laquelle il a filmé le camionneur n’est pas sensationnaliste, tout comme ne l’est pas le titre de l’article puisque le camionneur a bien été filmé et poursuivi par le plaignant.
Le grief de sensationnalisme est rejeté à la majorité.
Grief 8 : manque de suivi des affaires judiciaires
Le plaignant déplore que les mis en cause n’aient pas voulu publier un rectificatif mentionnant qu’à l’issue de sa poursuite civile, la compagnie de transport a été déclarée responsable des dommages par une juge de la Cour du Québec.
Concernant le suivi des affaires judiciaires, l’article 20.2 du Guide de déontologie journalistique indique : « Dans la mesure du possible, les journalistes et les médias d’information font état du dénouement des affaires judiciaires afin de le faire connaître au public. »
L’article en cause a été publié le 16 décembre 2016, date à laquelle le camionneur a plaidé coupable à l’accusation de voie de fait portée contre lui par le plaignant, puis il a été modifié le 13 janvier 2017. Le plaignant a déposé sa plainte au Conseil de presse le 31 janvier 2017. La décision concernant la poursuite au civil intentée par le plaignant contre l’entreprise Labranche Transport a été rendue le 1er février 2017.
Les sites web du Journal de Montréal et du Journal de Québec n’ont pas publié d’article relatif à l’issue de la poursuite civile intentée par le plaignant contre l’entreprise Labranche Transport.
Le Conseil constate que les mis en cause n’avaient pas la possibilité de faire un suivi puisque la décision concernant la poursuite au civil n’avait pas encore été rendue au moment du dépôt de la plainte.
Le grief de manque de suivi des affaires judiciaires est rejeté.
Grief 9 : manque de courtoisie
Le plaignant déplore le manque de courtoisie à son égard de M. David Prince, chef des nouvelles et cadre responsable de la journaliste mise en cause. Parlant du courriel de plainte envoyé par le plaignant, M. Prince aurait dit au cours d’une conversation téléphonique qui a eu lieu le 13 janvier 2017 : « C’t’un peu long, j’ai même pas fini d’le lire ». Quelques heures plus tard, M. Prince aurait transmis au plaignant « un courriel expéditif et exempt de toute forme de salutation, d’introduction et de marque de politesse ».
L’article 27 du Guide de déontologie journalistique stipule que « les journalistes et les médias d’information font preuve de courtoisie dans leurs rapports avec le public. »
Dans le dossier D2016-10-042, le Conseil reconnaît que le rédacteur en chef mis en cause « manifeste de l’impatience et utilise un langage coloré », mais le Conseil a jugé qu’il n’avait pas franchi la limite de la courtoisie dans les passages suivants : « I improved your letter (despite your repeated complaints about, and attacks on, us – yes “attacks”) », « You want a jihad against the Monkland Merchants Association », « You can create your own anti-Monkland Merchants Pravda » et « you want to communicate with our readers with near complete autonomy, you can always buy an advertisement from us. Within very broad limits (e.g., no libel, pornography, racism, sexism), you can do whatever you want in an ad ». La plaignante faisait valoir que le rédacteur en chef avait choisi des « “mots hostiles, intimidants, méprisants, chargés de préjugés (jihad, Pravda, attacks) et à connotation religieuse” ».
La majorité des membres (6/7) du comité reconnaît que les mots employés par M. David Prince sont directs, mais que cela ne constitue pas une faute déontologique.
Le grief de manque de courtoisie est rejeté à la majorité.
Grief 10 : correctif incomplet et refus de retirer un article
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir manqué à leur devoir de correction diligente des manquements et des erreurs en publiant un correctif incomplet, en refusant de retirer l’article et en refusant de se rétracter.
Le plaignant déplore également que les mis en cause n’aient pas indiqué qu’il y avait eu un correctif à l’article mis en ligne. Il constate que les indications concernant la dernière mise à jour correspondent à l’heure et la date de publication de la version originale.
L’article 27.1 du Guide de déontologie journalistique, relatif à la correction des erreurs indique que « les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Dans le dossier 2014-10-031, le Conseil a considéré que les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec auraient dû retirer un reportage qui induisait les lecteurs en erreur : « Ayant constaté que le reportage pouvait induire le public en erreur en laissant croire, sans le démontrer, que les personnes apparaissant sur les photos étaient membres d’un groupe d’une “fausse religion” qui fraudaient le fisc, le Conseil estime que le quotidien aurait dû admettre son erreur et apporter des rectifications. Dans le cas de la photo utilisée comme vignette pour une vidéo publiée sur le site de TVA Nouvelles, le Conseil estime qu’elle devait être remplacée par une autre. En ce qui concerne la vidéo de l’entrevue avec M. Therrien, le Conseil estime que sa présence sous un texte traitant de “fausses religions” induit le public en erreur en lui laissant croire que l’Église Vie Abondante est une “fausse religion” recevant indûment des congés de taxes et d’impôts. Le Conseil juge que la vidéo devrait être retirée. Le Conseil retient le grief pour absence de rectificatif et de retrait. »
Dans le dossier D2013-03-087, le Conseil reprochait au média de ne pas avoir précisé les corrections apportées à un texte : « Le Conseil constate que lapresse.ca a corrigé le texte original, sans en faire mention dans le texte et sans préciser la nature de l’erreur commise initialement, ce qui aurait permis au public de faire la part des choses. De plus, le Conseil considère que le média aurait dû publier cette rectification tant sur le site Internet que dans la version papier, considérant que l’erreur est parue dans les deux médias. Le Conseil retient le grief pour absence de rectificatif. »
Dans la décision D2014-10-025, le Conseil souligne que la décision de retirer un article ou un reportage doit être motivée par l’intérêt public.
Dans la seconde version de l’article en cause mise en ligne par les sites web du Journal de Montréal et du Journal de Québec, quatre des douze informations inexactes rapportées par le plaignant ont été corrigées.
La première version de l’article en cause précise que celui-ci a été publié le vendredi 16 décembre 2016 à 21h30 et qu’il a été mis à jour le même jour à la même heure. La seconde version de l’article présente les mêmes informations quant à la date de publication.
La majorité des membres (4/7) du comité juge que le correctif est incomplet, plusieurs informations inexactes n’ayant pas été corrigées.
De plus, le Conseil juge qu’en ne changeant pas la date et l’heure de publication de la seconde version de l’article, et en ne mentionnant pas qu’il a été corrigé, les mis en cause dissimulent qu’il a été rectifié.
Par ailleurs, le Conseil statue que l’intérêt public ne justifiait pas le retrait de l’article.
Le grief de correctif incomplet est retenu à la majorité en ce qui concerne les informations inexactes non corrigées. Le grief de correctif incomplet est également retenu s’agissant de l’absence de mention comme quoi l’article a été corrigé. Quant au grief de refus de retirer un article, il est rejeté.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer des quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ainsi que des sites Internet journaldemontreal.com et journaldequebec.com qui ne sont pas membres du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte et blâme la journaliste Geneviève Quessy, le chef des nouvelles David Prince, les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ainsi que les sites Internet journaldemontreal.com et journaldequebec.com pour le grief d’informations inexactes ainsi que pour les griefs de partialité et de correctif incomplet.
Cependant, le Conseil rejette les griefs d’apparence de conflit d’intérêts, d’information incomplète, de manque de rigueur de raisonnement, de manque d’équilibre, de sensationnalisme, de manque de suivi des affaires judiciaires, de manque de courtoisie et de refus de retirer un article.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Paul Chénard
- M. Jacques Gauthier
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentantes des journalistes :
- Mme Audrey Gauthier
- Mme Lisa-Marie Gervais
Représentant des entreprises de presse :
- M. Raymond Tardif