Plaignant
Mme Julie Daubois
Mis en cause
La Presse+
Résumé de la plainte
Mme Julie Daubois dépose une plainte le 1er février 2017 contre La Presse+ concernant la publication d’une photographie juxtaposée à l’article « Alexandre Bissonnette: Amateur d’armes et islamophobe », publié le 31 janvier 2017. La plaignante dénonce un manque d’équité et une atteinte au droit à la vie privée.
Dans une série d’articles présentant un portrait d’Alexandre Bissonnette, le présumé auteur de la fusillade de la grande mosquée de Québec en janvier 2017, des photos de ses parents et de la maison de sa grand-mère accompagnaient les articles.
Analyse
Grief 1 : manque d’équité
Mme Daubois estime que la publication de la photographie de la résidence de la grand-mère d’Alexandre Bissonnette, le jeune homme accusé, a exposé inutilement cette dame. De l’avis de la plaignante, cette photographie est inéquitable parce qu’elle porte atteinte au droit à la sûreté de la dame.
Me Patrick Bourbeau, représentant La Presse+, reconnaît que la publication de la photographie montrant la maison de la grand-mère de l’accusé était une « malencontreuse erreur ». Des excuses ont été envoyées par courriel à toutes les personnes qui s’étaient manifestées.
En matière d’équité, le Guide de déontologie journalistique rappelle : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. »
Une majorité des membres (4/5) juge que la grand-mère n’était pas au coeur de l’article et qu’elle n’avait donc pas à être associée au drame dans lequel six personnes ont perdu la vie. Le Conseil estime qu’en publiant une photographie de la résidence de la grand-mère d’Alexandre Bissonnette, les mis en cause ont manqué d’équité et qu’ils n’ont pas respecté son droit à la sûreté, ce qui pouvait avoir des conséquences sur la sécurité de cette dernière.
Un membre exprime cependant sa dissidence et considère que le fait de publier la photographie de la demeure de la grand-mère ne fait pas de cette dernière l’objet de l’information et qu’il ne faut pas en exagérer la portée.
Le grief de manque d’équité est retenu à la majorité.
Grief 2 : atteinte au droit à la vie privée
Mme Daubois considère qu’en publiant une photo de la résidence de la grand-mère, La Presse+ a porté atteinte au droit à la vie privée de cette dame. « En quoi est-ce que cette photo aide à la compréhension de l’article? », questionne la plaignante qui estime que cette photo expose inutilement une personne qui n’a rien à voir avec le drame.
Me Bourbeau rapporte qu’outre les excuses transmises aux personnes qui ont porté plainte auprès de La Presse+, des excuses ont été relayées dans une chronique de Patrick Lagacé, le 3 février, publiées sous le titre « Vous êtes le changement ». En fin de texte, on peut lire ce qui suit : « Vous avez été une douzaine au moins à m’écrire dans la foulée de ma chronique d’hier où je lançais l’idée que les médias devraient cesser de jouer le jeu des perdants qui commettent des tueries de masse, en diffusant leurs photos, en les nommant… Une douzaine à me dire : et publier la photo de la maison des grands-parents du type, à Drummondville, comme La Presse I’a fait, c’est ok? Ce n’est pas ok et ça a échappé à l’attention des boss, qui s’en sont excusés. Je relaie ici les excuses. »
En matière d’atteinte au droit à la vie privée, le Guide souligne, à l’article 18 (1) et (2) : « (1) Protection de la vie privée et de la dignité – Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » « (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
Aux yeux du Conseil, il apparaît clairement qu’il n’était pas d’intérêt public de diffuser une photographie de la résidence de la grand-mère, dans les circonstances. Le Conseil rappelle qu’il incombe aux journalistes et aux médias de départager ce qui est réellement d’intérêt public de ce qui relève de la simple curiosité. Dans le présent cas, le Conseil juge que la diffusion de cette photographie verse dans cette deuxième catégorie et qu’elle a inutilement exposé la vie privée de la dame qui n’était en rien associée aux accusations portées contre son petit-fils.
Le Conseil prend acte de la correction publiée et des excuses du média. Cependant, il estime que le tort causé par la diffusion de cette photographie ne s’efface pas du seul fait de la publication d’excuses.
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Julie Daubois et blâme La Presse+, à la majorité (4/5 membres), pour le grief de manque d’équité et, à l’unanimité, pour le grief d’atteinte au droit à la vie privée.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
M. Luc Grenier
Mme Nicole Mckinnon
Représentant des journalistes :
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. Luc Simard
Mme Nicole Tardif