Plaignant
Réal Croteau
Mme Josée Pelletier
3 personnes en appui
Mis en cause
Jean Lajoie, recherchiste au contenu
Christian Lepage, journaliste
Maison de production ORBI XXI/Datsit
Canal D
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
M. Réal Croteau et Mme Josée Pelletier déposent une plainte le 31 janvier 2017, contre M. Jean Lajoie, journaliste recherchiste, M. Christian Lepage, journaliste, la maison de production ORBI XXI/Datsit et Canal D concernant l’émission intitulée « Cours à scrap » diffusée les 16, 17, 20 et 22 décembre 2016 à Canal D dans le cadre de la série « Chicanes de voisins ». Les plaignants déplorent des informations inexactes, une reconstitution trompeuse, une information incomplète, un manque d’équité ainsi qu’un refus d’apporter des correctifs.
L’émission « Cours à scrap » retrace les démêlés judiciaires du plaignant, M. Réal Croteau, consécutifs aux différends qui l’opposent à ses voisins. Le reportage est composé de reconstitutions de certains événements dont les protagonistes sont joués par des acteurs, entrecoupé par des entrevues.
Grief non traité
Les plaignants estiment également que l’émission en cause est diffamatoire à leur endroit. Le Conseil rappelle que la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire.
Analyse
Remarque préliminaire
L’avocat d’ORBI XXI/Datsit et Canal D, Me Nicolas Courcy, demande au Conseil de presse, « pour des raisons juridiques importantes, de ne pas divulguer les noms de famille des voisins de M. Croteau et de Mme Pelletier et des membres de leur famille respective. De telles mesures de protection légitimes ont d’ailleurs été convenues lors de la réalisation de l’épisode. À défaut d’agir de la sorte, le Conseil assumera seul tout dommage découlant du fait de ne pas avoir respecté cette demande », prévient l’avocat.
Pour des raisons autres que celles du présent dossier, le Conseil a par le passé décidé de taire l’identité de personnes touchées par un reportage, sans qu’il en ait à expliquer les raisons. Dans le dossier D2016-05-155, un homme ayant fait l’objet d’un reportage étant sous curatelle publique, le Conseil avait décidé de ne pas identifier l’homme. Dans plusieurs autres dossiers, ce sont des cas de mineurs qui n’avaient pas été identifiés.
Le Conseil accepte la requête de Me Courcy.
Points sur la recevabilité
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit considère que le Conseil de presse du Québec devrait déclarer la plainte irrecevable et avance plusieurs motifs.
1. Plainte en diffamation
Selon Me Nicolas Courcy, la plainte est une plainte en diffamation. Les plaignants, « M. Croteau et Mme Pelletier la qualifient et nomment textuellement de : “Plainte au conseil de presse pour diffamation” », constate-t-il. Il cite à cet effet plusieurs jurisprudences du Conseil de presse ainsi que l’article 13.04 du Règlement 2 du Conseil portant sur l’étude des plaintes du public. Pour ce motif, Me Courcy estime que la plainte « doit être déclarée irrecevable et ainsi être rejetée. »
L’article 13.04 du Règlement 2 du Conseil stipule que « la plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision ».
Dans le dossier D2014-10-037, le Conseil de presse rappelle que « l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, ces griefs n’ont pas été traités ». Les autres griefs invoqués par le plaignant dans ce dossier ont en revanche été traités.
Le Conseil juge que la plainte de M. Croteau ne se résume pas à une plainte en diffamation et que plusieurs des points soulevés relèvent de la déontologie journalistique.
2. Autorisation de diffusion et renonciation à toute poursuite
Selon Me Nicolas Courcy, les plaignants ont signé des « Autorisations de diffusion » dont le contenu fait échec à leur plainte. Il souligne que dans ce document, les plaignants ont convenu « de ne pas entreprendre de procédure de quelque nature que ce soit suite à l’utilisation de leur participation. Ils autorisent également le producteur à éditer, modifier, ajouter ou retirer du matériel, changer la séquence des événements ou de toutes questions posées ou réponses et de faire tout montage qu’il juge nécessaire. Ils reconnaissent n’avoir aucun droit de regard sur le résultat final ». L’avocat en conclut que « cela suffit également pour que la plainte soit déclarée irrecevable et soit rejetée ».
Dans son commentaire, M. Croteau affirme n’avoir « aucun souvenir d’avoir signé ce papier ». Il ajoute que même s’il l’avait signée, « une autorisation de diffusion ne donne pas le droit de diffuser des faussetés ».
Dans sa décision D2004-10-026 (2), le Conseil a tenu à préciser, concernant un grief relatif à une autorisation de diffusion, « qu’il n’analyse les plaintes qu’en fonction des normes déontologiques, et qu’il n’entre pas dans sa juridiction d’interpréter les textes juridiques telle que la Loi sur les droits d’auteur et ne peut donc en tenir compte ».
Au regard de la jurisprudence, le Conseil juge qu’il n’est pas lié par l’autorisation de diffusion invoquée par les mis en cause et souligne que de telles autorisations n’excusent pas les fautes déontologiques.
3. Les mis en cause ne sont pas des journalistes ni des médias d’information et l’émission en cause n’est pas un produit de nature journalistique
3.1 Les mis en cause ne sont pas journalistes
L’avocat d’ORBI XXI/Datsit et de Canal D indique que « [ses] clientes sont d’avis que M. Christian Lepage n’a pas agi à titre de journaliste dans le cadre de cette émission. Il a plutôt agi à titre d’expert, d’intervenant et de participant en ondes, pour commenter la chicane. Son rôle n’était pas de faire une nouvelle ou un produit journalistique. Aucun contrat à titre de journaliste n’a été signé par M. Lepage, contrairement à ce qui est fait lorsqu’un journaliste est engagé à ce titre. Son nom apparaît plutôt au générique comme participant, au même titre que [les plaignants] ».
Quant à M. Jean Lajoie, Me Courcy expose qu’il « a agi comme recherchiste au contenu dans le cadre de l’épisode concerné, tel qu’il appert du générique. Il n’exerçait en aucun cas des fonctions journalistiques, contrairement à l’article 2.01 a) du Règlement 1, ni à l’article 2 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil ».
Dans sa réplique, M. Christian Lepage tient à préciser qu’il est « un acteur dans ce dossier. […] Ma seule participation est à titre informatif, d’expert dans le domaine de la politique municipale, qui relatait au fait des décisions de la ville de Sainte-Julie à l’époque ». Il ajoute qu’il a « juste parlé des règles générales des politiques d’urbanisme imposées par la ville de Sainte-Julie et des faits entourant les événements policiers dont [le plaignant a fait] l’objet ».
L’article 2.01 a) du Règlement 1 reprend la définition de « journaliste » de l’article 2 a) du Guide de déontologie journalistique : « a) journaliste : toute personne qui, exerçant des fonctions journalistiques et ayant pour objectif de servir le public, recherche, collecte, vérifie, traite, commente ou diffuse de l’information destinée à un large public, sur des questions d’intérêt général. »
Dans plusieurs dossiers, notamment D2005-09-011, D2005-12-035 et D1985-07-025, le Conseil s’est prononcé sur des plaintes qui visaient directement, ou impliquaient, des recherchistes.
Dans la décision D2003-12-024, le Conseil rappelle que « lorsqu’un employé effectue en ondes des fonctions assimilables à celles d’un journaliste (entrevue, information, commentaires), il est réputé agir dans une fonction journalistique et il est alors considéré à ce titre dans la portion d’émission consacrée à cette fonction ».
Le Conseil note que M. Lajoie est présenté dans le générique de l’émission en cause comme « recherchiste au contenu » et qu’à ce titre il est soumis à la déontologie journalistique, comme le démontre la jurisprudence.
Même s’il intervient comme « expert » dans l’émission en cause, le Conseil constate que M. Lepage est appelé à témoigner au titre de journaliste. Il reste donc soumis à la déontologie journalistique dans les portions de l’émission dans lesquelles il est interviewé.
3.2 L’émission en cause n’est pas un produit de nature journalistique
Me Courcy fait référence à l’article 4.1 de la Politique de recevabilité des plaintes au Conseil, datée du 13 novembre 2009 qui définit l’acte journalistique comme un « acte de recherche, de traitement et de diffusion d’informations, réalisé pour le compte, ou sous la responsabilité d’une entreprise de presse et ayant pour but de renseigner le public sur les faits, les événements, les phénomènes qui ont cours dans la société et dans le monde en général ». Il cite également l’article 4.2 de cette même Politique de recevabilité des plaintes, qui précise que « le produit journalistique est le résultat final, publié ou diffusé, de l’acte journalistique. Il peut avoir été réalisé par une ou plusieurs personnes ». Il en conclut qu’« il est clair que l’épisode en question n’est pas un produit de nature journalistique, contrairement aux définitions citées ci-haut ».
Dans les dossiers D1976-02-003 et D2003-07-002 (2), le Conseil avait traité des plaintes concernant des films documentaires diffusés à la télévision. Dans le dossier D1987-05-016, le Conseil avait aussi rendu une décision qui mettait en cause un documentaire diffusé sur Radio-Québec.
Au regard de cette jurisprudence, le Conseil constate que Canal D comme ORBI XXI/Datsit présentent la série « Chicanes de voisins » comme une série documentaire et que l’émission en cause prétend décrire la réalité en faisant la lumière sur un cas réel.
3.3 ORBI XXI/Datsit et Canal D ne sont pas des médias d’information
Au regard de l’article 2.01 b) du Règlement 1 du Conseil, de l’article 13.01 du Règlement 2 et de l’article 2 b) du Guide de déontologie journalistique, l’avocat des mis en cause considère qu’« il est clair que la plainte ne vise pas des médias d’information ni des entreprises de presse. […] Le producteur [ORBI XXI/Datsit] agit comme producteur privé indépendant, membre de l’AQPM [Association québécoise de la production médiatique], assujetti au Code de déontologie de cette association. Canal D, de son côté, n’est pas une entreprise de presse, n’a pas de salle de nouvelles et ne présente pas des émissions d’information et d’actualité au quotidien. En effet, Canal D présente plutôt principalement des séries documentaires ayant trait à différents sujets ».
L’article 2.01 b) du Règlement 1 reprend la définition de « média d’information » de l’article 2 b) du Guide de déontologie journalistique : « b) média d’information : toute entité, peu importe son statut juridique et les unités qu’elle regroupe, qui édite, publie ou diffuse une publication ou des émissions de nature journalistique, en territoire québécois, sans égard au support utilisé, sous réserve des exceptions définies par le Conseil de presse du Québec. »
Dans le dossier D2015-02-082, le Conseil avait blâmé le réseau de télévision Canal Vie et la maison de production Kenya ayant produit et réalisé l’émission mise en cause. Dans sa décision le Conseil avait retenu les griefs : « Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Marie-Josée Savard et blâme l’animatrice Chantal Lacroix, Les Productions Kenya et Canal Vie pour les griefs d’information inexacte et de manque d’équilibre. »
Le Conseil rappelle que le documentaire est un produit journalistique et juge que Canal D, en diffusant des documentaires, et ORBI XXI/Datsit, en produisant des documentaires, sont soumis à la déontologie journalistique.
4. La plainte n’est pas basée sur l’épisode diffusé et les manquements allégués ne sont pas significatifs
Me Nicolas Courcy signale que « tel que mentionné par M. Croteau lui-même dans sa plainte, celle-ci n’est pas basée sur l’épisode diffusé, mais plutôt sur un document qu’il aurait reçu dans sa boîte aux lettres ». L’avocat précise que « la plainte reprend point par point le contenu d’un document qui était joint à la plainte telle qu’envoyée à nos clientes, mais qui ne semble pas joint à la plainte telle que déposée au Conseil ». Il joint ainsi à sa réplique le document en question. « À la simple écoute de l’épisode, poursuit l’avocat, force est de constater que les griefs de M. Croteau ne trouvent pas réellement source dans celle-ci. En effet, les critiques formulées par M. Croteau et Mme Pelletier dans la plainte sont non fondées et plutôt reliées à ce document, qui présente diverses questions, dont on ignore la provenance et qui n’a jamais été diffusé. » Citant l’article 13.05 du Règlement 2 du Conseil, il estime que ce dernier ne peut se saisir de la plainte.
Par ailleurs, selon l’avocat des mis en cause, « les manquements allégués dans la plainte ne sont aucunement significatifs et constituent au plus une critique générale de l’épisode auquel M. Croteau et Mme Pelletier ont pourtant consenti de participer et dans lequel leur voix ont été largement entendues ». Citant les articles 13.01, 13.02 et 13.03 du Règlement 2 du Conseil, il considère que les manquements reprochés par les plaignants « visent des détails mineurs qui ne peuvent se qualifier de significatifs » et que le Conseil ne peut donc pas se saisir de la plainte.
Le Conseil observe que le plaignant mentionne la diffusion de l’émission et qu’il entend répondre au contenu de celle-ci. Le Conseil constate que la plainte est inusitée dans sa forme, mais que, sur le fond, elle comporte plusieurs éléments significatifs relatifs à l’émission qui constituent des griefs recevables en déontologie.
En conséquence, le Conseil estime que la contestation du mis en cause ne peut être retenue et que la présente plainte est considérée comme recevable.
ANALYSE
Grief 1 : informations inexactes
Les plaignants estiment que l’émission en cause comporte huit informations inexactes.
1.1 Réal Croteau n’a menacé personne avec son fusil
Les plaignants affirment que M. Réal Croteau n’a jamais menacé ses voisins en pointant un fusil vers eux, tel que la reconstitution des faits réalisée dans le cadre de l’émission en cause le laisse entendre et qu’il n’existe pas de déclaration des voisins à cet effet.
Me Nicolas Courcy indique que « l’épisode n’indique pas que M. Croteau aurait menacé qui que ce soit avec un fusil ».
En matière d’exactitude, l’alinéa a) de l’article 9 du Guide de déontologie précise que : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
Le Conseil constate que dans l’épisode en cause, il n’est pas mentionné que le plaignant a pointé un fusil en direction de ses voisins lorsqu’il les aurait menacés.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.2 Le travail du voisin
Contrairement à ce qui est affirmé dans la reconstitution des faits réalisée dans le cadre de l’émission en cause, les plaignants affirment que le voisin qui habite en face de M. Réal Croteau n’opère pas véritablement un garage pour gagner sa vie.
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit signale que « Stéphane indique dans l’épisode que [son oncle, l’un des voisins de M. Réal Croteau] a un garage, que c’est illégal, et qu’ils y font le commerce de voitures. Ce propos est corroboré par un ami de M. Croteau et un membre de la famille en question ».
Le Conseil considère qu’il ne dispose pas des éléments de preuve nécessaires afin de déterminer si le voisin de M. Réal Croteau exploite un garage sur sa propriété pour gagner sa vie.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.3 Dates d’acquisition des propriétés
Les plaignants affirment qu’ils ont acheté leur maison en 1987, soit quatre ans avant leur voisin, dont le terrain est situé de l’autre côté de la rue. Ils estiment donc inexact le commentaire de M. Christian Lepage qui déclare : « Les gens s’installent davantage maintenant en campagne, et c’est ce qui fait que souvent il y a une confrontation entre ceux qui sont déjà là depuis des années, et qui ont des droits acquis, et ceux qui arrivent qui se construisent et qui veulent avoir la quiétude. »
Selon Me Courcy, « ce grief est non fondé car M. Croteau lui-même explique l’état de la situation à son arrivée. Il indique lui-même être arrivé en 87 et déclare par la suite qu’au départ, personne n’habite de l’autre côté de la rue, et qu’il peut y avoir entre 8 et 10 voitures stationnées ».
Le Conseil considère qu’il ne dispose pas des éléments de preuve nécessaires afin de déterminer qui de M. Réal Croteau ou de son voisin a acquis sa propriété avant l’autre.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.4 Droits acquis
Les plaignants soutiennent que les voisins de M. Réal Croteau n’ont pas de droits acquis pour leurs propriétés ni pour leurs activités de cimetière d’autos, comme l’indique M. Christian Lepage dans son commentaire.
L’avocat indique que « l’intervenant en ondes [M. Christian Lepage] explique la problématique de droits acquis en général » et ajoute qu’un article publié le 18 juillet 2010 [par le Journal de Montréal] « traite spécifiquement [de cette problématique] dans le cas qui nous intéresse ».
Le Conseil considère qu’il ne dispose pas des éléments de preuve nécessaires afin de déterminer si les voisins de M. Réal Croteau disposent de droits acquis.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.5 Pas de contact avec les voisins
Les plaignants soutiennent n’avoir menacé personne et qu’ils n’ont pas crié après leurs voisins tels que cela est suggéré par la reconstitution des faits réalisée dans l’émission en cause. M. Croteau affirme qu’il est physiquement impossible, en raison de la distance, d’être à portée de voix de ses voisins. À cet effet, il apporte en preuve un croquis des lieux.
« L’épisode démontre certains moments de confrontation entre les voisins, tel que l’histoire le dicte. En effet, à la connaissance de M. Croteau et Mme Pelletier, cet épisode avait pour but de relater une chicane de voisins », explique Me Courcy, ajoutant qu’on « voit également Mme Pelletier indiquer que M. Croteau n’est pas quelqu’un d’agressif ou méchant et qu’il sait discuter et être poli ».
Le Conseil ne pouvant effectuer les vérifications nécessaires, malgré les documents présentés par M. Croteau qui nie les allégations présentées dans la reconstitution des événements, il ne peut se prononcer sur ce point.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.6 Aucune condition de remise en liberté
Les plaignants affirment qu’aucune condition n’a été imposée à Réal Croteau lors de sa remise en liberté après avoir été arrêté pour menaces de mort.
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit affirme que « l’émission ne parle pas de conditions de remise en liberté ».
Le Conseil constate que dans l’épisode en cause, il n’est pas fait mention de conditions de remise en liberté concernant le plaignant.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.7 Temps d’incarcération inexact
Les plaignants affirment que Réal Croteau n’a pas été détenu pendant 11 jours, comme cela est rapporté dans l’émission en cause. Les plaignants indiquent que M. Croteau a été incarcéré pendant trois jours. Ce dernier apporte en preuve des documents de justice dans lesquels il est précisé qu’il a été incarcéré pendant trois jours.
Me Courcy estime que « M. Croteau indique lui-même que la journée décrite était le 18 juillet 2010. Stéphane [le neveu des voisins de M. Croteau] indique également se souvenir de cette journée du 18 juillet 2010. M. Croteau indique ensuite que le 30 juillet à minuit, il venait de sortir de prison. Le temps d’incarcération correspond aux dires de M. Croteau ».
Au regard des éléments de preuve apportés par le plaignant, le Conseil juge que l’émission en cause opère un raccourci en se basant sur le témoignage de M. Croteau et que l’information véhiculée au sujet de son temps d’incarcération s’appuie sur une déduction et non sur une vérification des faits.
Le grief est retenu sur ce point.
1.8 Plaignant menotté
M. Réal Croteau affirme qu’il n’a pas été menotté lors de son arrestation alors que la reconstitution des faits réalisée dans l’émission le montre se faire menotter par une policière.
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit rapporte que « dans le cadre de la préparation de l’épisode concerné, Mme Pelletier a confirmé auprès du recherchiste que M. Croteau a été menotté lorsqu’il a été arrêté. De plus, M. Croteau n’est pas clairement représenté comme étant menotté ».
N’étant pas en mesure de vérifier l’information en question, le Conseil ne peut pas se prononcer.
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations inexactes est retenu sur le point concernant le temps d’incarcération.
Grief 2 : reconstitution trompeuse
Les plaignants soutiennent que la reconstitution de certains faits dans l’émission en cause ne correspond pas à la réalité.
2.1 Présentation physique des lieux et plaignant qui crie après les voisins
Les plaignants estiment que la présentation physique des lieux est erronée puisque les propriétés de M. Croteau et celles de ses voisins sont nettement plus éloignées dans la réalité. Le plaignant habite dans un milieu agricole où les distances entre les voisins sont plus importantes. De ce fait, M. Croteau n’a pas pu crier après ses voisins puisque ceux-ci sont, dans les faits, hors de portée de voix.
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit explique que « pour des raisons juridiques importantes, des précautions ont été prises pour que les voisins ne soient pas physiquement reconnaissables. Il en va de même pour les lieux. De plus, il s’agit de reconstitutions dramatiques anodines qui ne dénaturent aucunement la reconstitution des événements. Ce qui est reproché comme étant des inexactitudes ne change d’aucune façon le sens de la scène reconstituée. Même s’ils étaient avérés, ces griefs sont non fondés et non significatifs ».
En matière de reconstitutions et mises en scène, l’article 14.5 du Guide de déontologie journalistique indique : « (1) Les journalistes et les médias d’information, lorsqu’ils ont recours à des reconstitutions ou des mises en scène, s’assurent de reproduire le plus fidèlement possible les faits, opinions et émotions qui entourent l’événement recréé. (2) Les journalistes et les médias d’information informent clairement le public de l’utilisation d’un tel procédé, sous réserve que cette mise en scène ou reconstitution soit anodine. »
Soulignant que les faits relevés par le plaignant sont anodins, le Conseil juge que l’émission en cause respecte le principe de l’article 14.5 du Guide selon lequel la reconstitution doit être la plus fidèle possible, mais n’a pas à être exacte.
Le grief est rejeté sur ces points.
2.2 Plaignant menotté
Selon les plaignants, la reconstitution montre M. Croteau en train de se faire passer les menottes, alors qu’il n’a pas été menotté.
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit rappelle que « dans le cadre de la préparation de l’épisode concerné, Mme Pelletier a confirmé auprès du recherchiste que M. Croteau a été menotté lorsqu’il a été arrêté. De plus, M. Croteau n’est pas clairement représenté comme étant menotté. Cependant, cette scène traduisait dramatiquement le traitement policier difficile dont se plaignait M. Croteau », ajoute Me Courcy.
N’ayant pu déterminer si cette information est exacte au point 1.8, le Conseil juge qu’il ne peut pas se prononcer à ce sujet.
Le grief est rejeté sur ce point.
2.3 Description de Réal Croteau
La description de Réal Croteau est inexacte, il n’avait pas les cheveux blancs/gris et longs en juillet 2010.
Le Conseil constate que la requête de M. Réal Croteau ne vise pas l’émission en cause, mais fait référence à l’un des témoignages ayant conduit à son accusation pour menaces de mort, témoignage dans lequel M. Croteau est décrit comme ayant des cheveux blancs/gris et longs.
Le grief est rejeté sur ce point.
En conséquence, le grief de reconstitution trompeuse est rejeté.
Grief 3 : incomplétude
Les plaignants estiment que le reportage a été monté de manière à avantager la partie des voisins, laissant entendre que ceux-ci bénéficiaient de droits acquis inaliénables en omettant de révéler des informations relatives aux « actions criminelles » qui ont eu lieu sur le terrain de son voisin d’en face, et que ces derniers sont « des sympathisants et amis des motards criminels ».
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit affirme que « l’épisode dépeint une vision positive des plaignants, et fait état avec justesse de la situation difficile dans laquelle ils se sont trouvés, en particulier M. Croteau ». Il ajoute que « n’importe quelle personne neutre qui prendrait connaissance de l’épisode conviendrait que ce grief n’est pas fondé. Il est clair de l’épisode que M. Croteau a eu la latitude d’exposer son point de vue. De surcroît, l’épisode ne laisse en aucun cas croire que les voisins sont avantagés ».
En matière de qualités de l’information, l’article 9 du Guide de déontologie journalistique indique que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Dans le dossier D2016-07-013, le Conseil rappelle que sa jurisprudence « n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur ».
Dans sa décision D2015-11-063, le Conseil avait statué qu’il ne pouvait « conclure à un manquement déontologique [du journaliste mis en cause], puisque comme le rappelle le préambule du Guide, les journalistes sont tenus à une obligation de moyens davantage qu’à une obligation de résultat ».
Le Conseil convient que la question des droits acquis est un élément essentiel dans cette histoire, mais il n’a pas été en mesure de valider cette information. Quant aux liens allégués par le plaignant entre ses voisins et les Hells Angel, le Conseil juge que cette information, dont il n’a d’ailleurs aucune preuve, n’était pas essentielle à la compréhension de l’émission.
Le grief d’incomplétude est rejeté.
Grief 4 : manque d’équité
M. Réal Croteau affirme que Stéphane, le neveu de ses voisins, lui a rapporté que ses oncles ont vu l’émission en cause, « qu’ils vont recommencer leurs attaques » à son endroit et que le risque que le plaignant se fasse tuer est « encore plus grand ».
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit ne soumet aucune réplique sur ce point.
En matière d’équité, l’article 17 du Guide de déontologie journalistique stipule que « les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction ».
Constatant que le plaignant a sollicité l’équipe de production pour qu’un épisode de la série « Chicanes de voisins » lui soit consacré, le Conseil estime que M. Croteau s’est exposé en connaissance de cause. Il observe également qu’en acceptant de participer pleinement, longuement et abondamment à l’émission en cause, le plaignant s’est lui-même placé dans cette situation. N’étant pas en mesure de juger de la réalité de la menace pesant sur M. Croteau, le Conseil n’a par ailleurs pas constaté de choix éditoriaux dans la réalisation de l’émission qui pourrait mettre en danger la vie du plaignant.
Le grief de manque d’équité est rejeté.
Grief 5 : refus d’apporter des correctifs
Les plaignants déplorent le fait que les mis en cause n’aient pas apporté de correctifs pour rectifier les erreurs commises. Ils disent avoir tenté de joindre le recherchiste Jean Lajoie, par courriel et via Facebook, sans jamais obtenir de réponse de sa part.
L’avocat de Canal D et d’ORBI XXI/Datsit explique que « ce grief se rapporte davantage à M. Lajoie », qu’il ne représente pas. « D’autre part, ajoute-t-il, le refus d’apporter des correctifs était justifié car non requis. »
M. Jean Lajoie n’a pas répondu à la présente plainte.
En matière de correction des erreurs, l’article 27.1 du Guide de déontologie journalistique précise que « les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement ».
La jurisprudence établit que pour qu’un grief de correctif, de rétractation ou de rectification soit retenu, une erreur doit avoir été constatée.
Le Conseil n’ayant constaté qu’une inexactitude mineure juge que les mis en cause n’ont pas commis de manquement en ne publiant pas de correctif.
Le grief de refus d’apporter des correctifs est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Réal Croteau et Mme Josée Pelletier à l’encontre de M. Jean Lajoie, de la maison de production ORBI XXI/Datsit et de Canal D pour le grief d’informations inexactes. Toutefois, considérant que la faute retenue n’affecte pas significativement la compréhension de l’émission, le Conseil juge qu’il s’agit d’un manquement mineur. Par ailleurs, il rejette les griefs de reconstitution trompeuse, d’incomplétude, de manque d’équité et de refus d’apporter des correctifs.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Audrey Murray
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentante du public :
- Mme Audrey Murray
Représentants des journalistes :
- M. Simon Chabot
- Mme Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
23 October 2018
Appelant
M. Réal Croteau
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
En première instance, le Conseil s’est penché sur une plainte visant une émission qui relate les démêlés judiciaires de l’appelant, M. Réal Croteau, dans le cadre d’un conflit avec ses voisins. Le reportage contient des reconstitutions de « chicanes de voisins », entrecoupées d’entrevues avec les protagonistes.
Dans sa décision, le Conseil présente la réplique à la plainte du journaliste mis en cause, Christian Lepage. M. Lepage y explique qu’il participait à titre d’« acteur dans ce dossier. […] Ma seule participation est à titre informatif, d’expert dans le domaine de la politique municipale, qui relatait au fait des décisions de la ville de Sainte-Julie à l’époque ».
La décision de première instance conclut que M. Lepage y est interviewé à titre de journaliste : « Même s’il intervient comme “expert” dans l’émission en cause, le Conseil constate que M. Lepage est appelé à témoigner à titre de journaliste. Il reste donc soumis à la déontologie journalistique dans les portions de l’émission dans lesquelles il est interviewé. »
MOTIF DE L’APPELANT
L’appelant est d’avis que le rôle de M. Lepage n’était pas celui d’un « acteur » du reportage mis en cause, comme l’avance M. Lepage dans sa réplique à la plainte initiale, mais qu’il aurait eu un rôle journalistique dans la production du reportage : « Il n’a aucun rôle d’acteur dans le film dont il est question ici », et « d’affirmer que Christian Lepage n’était qu’un acteur dans le film est d’une aberration sans borne et inacceptable ».
Règlement applicable
Les décisions du comité des plaintes peuvent faire l’objet d’un appel devant la commission d’appel du Conseil de presse, à condition que l’appel respecte les critères établis dans les règlements du Conseil, notamment : « L’inscription [d’un appel] doit contenir un exposé clair, précis et succinct de l’objet et des motifs d’appel. Cet exposé ne doit contenir aucun nouvel objet de plainte. » (Règlement No 2 sur l’étude des plaintes du public, article 28.03)
La commission d’appel doit déterminer si le motif d’appel invoqué par l’appelant, à savoir que M. Christian Lepage se présente faussement comme un « acteur » du reportage mis en cause, est recevable.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment l’appel du plaignant non recevable.
Analyse
Les membres de la commission constatent que le point soulevé par l’appelant ne porte pas sur les griefs de la plainte étudiée en première instance. Il s’agit d’un nouvel objet de plainte qui concerne l’interprétation du terme « acteur ». Ce terme a été utilisé par le journaliste mis en cause lors de sa réplique à la plainte et cité par le Conseil dans sa décision.
La demande d’appel de M. Réal Croteau ne porte pas sur des griefs de la décision de première instance.
Ils jugent donc la demande d’appel non recevable, en vertu de son Règlement No 2.
CONCLUSION
Les membres de la commission d’appel ne peuvent donner suite à l’appel de M. Réal Croteau, puisqu’il est jugé irrecevable.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Pierre Thibault, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
Vincent Larouche
Représentant des entreprises de presse :
Renel Bouchard