Plaignant
Canada’s National Firearms Association
Me Guy Lavergne
Mis en cause
Le quotidien La Presse+
Le site lapresse.ca
La page Facebook de La Presse
Résumé de la plainte
Au nom de la Canada’s National Firearms Association, Me Guy Lavergne dépose une plainte le 21 février 2017 contre La Presse+ et le site lapresse.ca concernant l’article « Amateur d’armes et islamophobe » publié le 31 janvier 2017 et la présentation qui en en a été faite le même jour sur la page Facebook de La Presse. Il déplore ce qu’il considère du sensationnalisme dans le titre de l’article en cause, un caractère sensationnaliste et tendancieux du texte de présentation de l’article sur la page Facebook de La Presse ainsi qu’un refus d’apporter un correctif.
L’article en cause dresse le portrait d’Alexandre Bissonnette, qui est accusé du meurtre par arme à feu de six personnes dans une mosquée de la région de Québec, le 29 janvier 2017. À travers des témoignages de personnes de son entourage ou qui ont été en contact avec lui, les journalistes dressent un portrait de l’accusé.
Grief non traité
Le plaignant estime que les mis en cause ont également porté atteinte à la réputation de « toutes les personnes qui possèdent et utilisent des armes à feu de façon responsable et légale ». Le Conseil n’a pas traité ce grief puisque l’atteinte à la réputation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique, mais relève plutôt de la sphère judiciaire.
Analyse
Grief 1 : sensationnalisme et information tendancieuse
Le plaignant considère que l’article « Amateur d’armes et islamophobe » publié sur La Presse+ et sur le site Internet lapresse.ca semble davantage inspiré par le sensationnalisme que par la rigueur journalistique. Il estime également que la présentation sur la page Facebook de La Presse de l’article en question est sensationnaliste et tendancieuse.
1.1 Titre de l’article publié sur La Presse+ et sur le site Internet lapresse.ca
Me Lavergne affirme que « l’auteure [de l’article] tire des conclusions non soutenues par les faits présentés. Son unique but semble d’avancer et prôner la thèse que tout intérêt porté envers les armes à feu est malsain », poursuit-il. Selon lui, cette idée est campée dans le titre, en mettant sur un pied d’égalité l’intérêt pour les armes à feu et l’islamophobie.
Dans leur réplique, qui est constituée de la lettre que l’avocat de La Presse, M. Patrick Bourbeau, a envoyée au plaignant en réponse à sa demande de rétractation, les mis en cause soulignent que « dans le contexte d’un crime commis avec des armes à feu, dont l’une de type semi-automatique, il était d’un intérêt public manifeste de faire état de la relation que le suspect pouvait entretenir avec celles-ci afin d’informer les lecteurs de son état d’esprit ».
Ils estiment cependant que l’article en question « ne contient aucune inférence d’un quelconque lien de cause à effet entre l’intérêt de M. Bissonnette pour les armes à feu et les crimes qu’il aurait commis ».
En matière de présentation de l’information, l’article 14 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse précise que : « Les journalistes et les médias d’information respectent l’intégrité et l’exactitude de l’information dans la présentation et l’illustration qu’ils en font. »
Concernant le sensationnalisme, l’article 14.1 du Guide de déontologie journalistique stipule que : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. »
Dans sa décision D1996-01-009, le Conseil rappelle que « le choix des titres relève de la discrétion rédactionnelle de l’éditeur. Ce choix s’opère dans le respect du contenu informatif de l’article. Le titre est un moyen pour attirer l’intérêt du lecteur, mais il ne doit pas être un prétexte au sensationnalisme ».
Après analyse, le Conseil juge que les mis en cause n’ont pas exagéré ni déformé les faits puisque le titre de l’article correspond au contenu de l’article qui montre que l’auteur présumé de la tuerie perpétrée à la mosquée de Québec était un amateur d’armes et qu’il avait manifesté de l’islamophobie. Le Conseil rappelle que la fonction d’un titre est d’attirer l’attention du lecteur. Dans ce cas précis, il n’était pas sans intérêt de mentionner ces faits dans le titre et le Conseil n’y a vu aucune interprétation abusive.
Le grief de sensationnalisme est rejeté sur ce point.
1.2 Texte de présentation de l’article sur la page Facebook de La Presse
Le plaignant considère que la publication de l’article en cause sur la page Facebook de La Presse est sensationnaliste et tendancieuse. Il estime que le texte de présentation « Alexandre Bissonnette est un homme animé par son amour des armes. En interrogatoire, il a confié sa crainte et sa haine envers les musulmans » [soulignement du plaignant] suggère que les actes posés par M. Bissonnette sont le résultat de son « amour des armes ».
Le plaignant rappelle la définition du verbe « animer » donnée par le dictionnaire Larousse : « Inspirer quelqu’un, le pousse à agir ». Il considère en effet que l’emploi de ce verbe dans le texte de présentation de l’article sur la page Facebook de La Presse « suggère clairement qu’il existe une association, voire une relation de cause à effet, entre le fait qu’Alexandre Bissonnette ait été un amateur d’armes à feu et les meurtres qu’il est accusé d’avoir commis ».
Le plaignant estime que cette suggestion est « d’autant plus tendancieuse que les faits rapportés dans l’article quant à l’intérêt d’Alexandre Bissonnette pour les armes à feu sont somme toute anodins et nullement indicatifs d’un intérêt malsain ».
La réplique des mis en cause n’aborde pas cet aspect de la plainte.
L’article 4 (2) du Guide de déontologie journalistique indique « les médias d’information sont responsables de tout le contenu journalistique qu’ils publient ou diffusent, sans égard au support utilisé, ce qui comprend les comptes de médias sociaux qu’ils exploitent ».
Dans la décision D2014-10-031, le Conseil estime que l’association (par l’entremise d’une photo) des fidèles d’une église au titre « Fausse religion, revenus réels », induit les lecteurs en erreur : « En examinant la mise en page du Journal de Québec, le Conseil constate que cette présentation de l’information est tendancieuse, peut induire le public en erreur et laisser croire, sans en faire la démonstration, que les fidèles apparaissant sur ces photos sont membres de “fausses religions”, mettant ainsi en doute leur légitimité à profiter des congés de taxes et d’impôts réservés aux organismes à but non lucratif. Dans le cas de la photo apparaissant sur le site de TVA Nouvelles, le Conseil estime que l’association entre les fidèles y apparaissant et le titre “Fausse religion, revenus réels” est également trompeuse pour les mêmes raisons exprimées au paragraphe précédent. Pour ces raisons, le Conseil retient le grief d’information tendancieuse. »
Le dictionnaire Larousse définit ainsi l’adjectif « tendancieux » : « Qui n’est pas objectif, qui manifeste une tendance idéologique, des idées qui déforment ».
Le terme « animer » est défini par le Petit Robert comme « stimuler », « électriser » et par Antidote comme « guider, occuper l’esprit de quelqu’un », notamment.
À la majorité de ses membres (4/7), le comité juge que les mots utilisés pour introduire l’article en cause sur la page Facebook de La Presse ne déforment pas les faits. Compte tenu de l’intérêt manifeste d’Alexandre Bissonnette pour les armes, La Presse pouvait décrire l’auteur présumé de la tuerie comme « animé » par son « amour des armes ».
Le grief de sensationnalisme et d’information tendancieuse est rejeté à la majorité sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief de sensationnalisme et d’information tendancieuse est rejeté.
Grief 2 : refus d’apporter un correctif
Le plaignant a contacté les mis en cause afin de demander que le titre et le texte introductif présenté sur Facebook soient corrigés.
Dans la réponse qu’il a envoyée au plaignant, l’avocat de La Presse conclut que les mis en cause ne peuvent « pas donner suite à [sa] demande de rectification » car ils estiment que « La Presse et ses journalistes ont agi selon les règles de l’art […] et en tout respect des pratiques journalistiques applicables dans le cadre de la publication d’informations d’un intérêt public incontestable. »
En matière de correction des erreurs, l’article 27.1 du Guide de déontologie journalistique stipule que « [l]es journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement ».
Dans la décision D2016-05-145, le Conseil rappelle que sa jurisprudence « a maintes fois établi que pour qu’un grief d’absence de rétractation soit retenu, le média doit au préalable avoir été averti d’une erreur, et celle-ci doit être fondée ».
Considérant ses conclusions aux griefs de sensationnalisme et d’information tendancieuse, le Conseil juge que les mis en cause n’avaient pas le devoir d’apporter un correctif à l’article en question ni au texte qui introduisait l’article sur la page Facebook de La Presse.
Le grief de refus d’apporter un correctif est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de la Canada’s National Firearms Association et de son avocat, Me Guy Lavergne, contre La Presse+, le site lapresse.ca et la page Facebook de La Presse pour les griefs de sensationnalisme, d’information tendancieuse et de refus d’apporter un correctif.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Maxime Bertrand
- M. Luc Tremblay
Représentant des entreprises de presse :
- M. Luc Simard