Plaignant
M. Sébastien Houde
Mis en cause
Michel Langevin, animateur
Martin Leclerc, journaliste
L’émission « Du sport, le matin »
La radio 91.9 Sports
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
M. Sébastien Houde dépose une plainte le 10 mars 2017 contre l’animateur Michel Langevin et le journaliste Martin Leclerc et la station 91.9 Sports, concernant l’émission « Du sport, le matin » diffusée le 9 mars 2017. Le plaignant dénonce la diffusion de propos méprisants et l’entretien de préjugés.
Les mis en cause n’ont fait parvenir aucune réplique en réponse à la plainte.
Lors de l’émission « Du sport, le matin », le journaliste Martin Leclerc livre une chronique en compagnie de l’animateur Michel Langevin au sujet des performances de l’équipe de baseball d’Israël.
Analyse
Grief 1 : propos méprisants et entretien de préjugés
M. Sébastien Houde reproche à MM. Martin Leclerc et Michel Langevin d’avoir émis des commentaires méprisants entretenant des préjugés envers les Israéliens, dans le cadre d’une chronique sur l’équipe de baseball d’Israël, diffusée au 91.9 Sports.
Le plaignant dénonce les extraits suivants :
0’38-0’48
Martin Leclerc : « C’est pour ça qu’Israël est si bon au baseball… à part lancer des roches pis des grenades, ils lancent pas grand chose ».
1’-1’04
Michel Langevin : « Ça l’air qu’ils courent vite aussi ».
1’06-1’08
Martin Leclerc : « Pas sûr que c’est juste des buts qu’ils volent là-bas ».
Le plaignant considère que ces propos et les rires soutenus qui s’en suivent sont déplacés et portent préjudice au peuple Israélien. Il déplore que les journalistes rient abondamment de la situation d’Israël : « Toute cette séquence est un malaise généralisé où plusieurs journalistes sportifs décident que c’est très drôle de parler des Israéliens qui lance[nt] des roches et des grenades, en plus d’être bon[s] pour voler et courir vite, » affirme-t-il.
En matière d’expression de mépris en d’entretien de préjugés, le Guide de déontologie journalistique énonce à l’article 19 (1) : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, de représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
En matière de jurisprudence, le Conseil a rendu maintes décisions dénonçant la diffusion de propos méprisants tel que dans le dossier D2012-02-057, où une plainte avait été déposée contre l’animateur et coanimateur de l’émission de sport, le « 5 à 7 » sur RDS, pour propos méprisants, discriminatoires et empreints de préjugés à l’égard des personnes de petites tailles. Le Conseil avait retenu le grief : « Après écoute de l’émission, le Conseil considère que M. Laprise a effectivement tenu des propos méprisants et discriminatoires nourrissant des préjugés envers les personnes de petite taille. Même l’humour ne pouvait justifier de tels propos. »
Après analyse de l’émission en cause, les membres, à la majorité (5/7 membres), estiment que par leurs propos et par leurs éclats de rire soutenus, MM. Langevin et Leclerc font montre de mépris et de préjugés lorsqu’ils commentent les performances de l’équipe de baseball israélienne en traçant un parallèle entre la performance des joueurs et le peuple Israélien par des propos tels que : « à part lancer des roches pis des grenades, ils lancent pas grand chose », « ça l’air qu’ils courent vite aussi » et « pas sûr que c’est juste des buts qu’ils volent là-bas ». Ce dernier commentaire laisse sous-entendre que les Israéliens sont des voleurs et tend, par le fait même, à entretenir des préjugés envers ces derniers.
Deux membres expriment cependant leur dissidence. Bien qu’ils considèrent que les propos étaient de mauvais goût, ils soulignent la grande liberté d’expression dont jouissent MM. Langevin et Leclerc à titre de journalistes d’opinion. Selon eux, MM. Langevin et Leclerc sont demeurés dans les limites acceptables de la déontologie journalistique.
Le grief de propos méprisants et entretien de préjugés est retenu à la majorité (5/7 membres).
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le fait que la station 91.9 Sports ait refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte la concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à la majorité (5/7 membres), la plainte de M. Sébastien Houde et blâme l’animateur Michel Langevin, le journaliste Martin Leclerc, l’émission « Du sport le matin » et la station 91.9 Sports pour le grief de propos méprisants et entretien de préjugés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Paul Chénard
- M. Jacques Gauthier
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentantes des journalistes :
- Mme Audrey Gauthier
- Mme Lisa-Marie Gervais
Représentant des entreprises de presse :
- M. Raymond Tardif
Date de l’appel
21 June 2018
Appelant
M. Martin Leclerc, chroniqueur
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision relativement au grief de propos méprisants et entretien de préjugés.
Il conteste également la sanction de « blâme » infligée par le Conseil.
Grief 1 : propos méprisants et entretien de préjugés
Principes déontologiques applicables
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, de représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Journalisme d’opinion : « (2) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte ». (article 10.2 du Guide)
La commission d’appel doit déterminer si l’article 19 (1) du Guide concernant la discrimination a été appliqué correctement en première instance, en tenant compte de la grande latitude permise au journalisme d’opinion.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 19 (1) du Guide a été interprété de manière trop étroite en première instance.
La commission d’appel infirme la décision de première instance et retire toute faute déontologique au journaliste Martin Leclerc relativement au grief de propos méprisants et entretien de préjugés. Elle l’exonère également de tout blâme.
Note
La station de radio mise en cause n’a pas répondu à la plainte en première instance, ce qu’a déploré le Conseil. Après avoir pris connaissance de la décision de première instance, le chroniqueur Martin Leclerc a affirmé au Conseil qu’il s’en était remis à son employeur pour répondre à la plainte : « Tenant pour acquis que la station allait faire le suivi (…), je n’ai pas jugé à propos de présenter une réplique individuelle. Je le regrette sincèrement, et amèrement, » a-t-il souligné. Le journaliste a tenu à porter cette décision en appel « à titre personnel ».
Tenant compte de ces circonstances exceptionnelles, la commission d’appel s’est penchée sur les explications du chroniqueur par souci d’équité procédurale.
Analyse
En première instance, le Conseil a conclu que « par leurs propos et par leurs rires soutenus, MM. Langevin et Leclerc font montre de mépris et de préjugés lorsqu’ils commentent les performances de l’équipe de baseball israélienne en traçant un parallèle entre la performance des joueurs et le peuple israélien par des propos tels que : “à part lancer des roches pis des grenades, ils lancent pas grand-chose”, “ça l’air qu’ils courent vite aussi” et “pas sûr que c’est juste des buts qu’ils volent là-bas” », entretenant, par ce dernier extrait, des préjugés.
Le journaliste Martin Leclerc a tenu à expliquer le contexte de ses propos : « J’ai expliqué [à l’animateur de l’émission] que la quasi-totalité des joueurs de la formation israélienne étaient en fait des Américains possédant la double nationalité (…) Et j’ai conclu ma réponse en résumant qu’il se lance plus de pierres et de grenades que de balles de baseball en Israël. C’était une boutade, une caricature soulignant que le baseball se situait très loin dans les priorités des habitants de cette région du monde. » En tant que journaliste d’opinion participant à une émission sur l’actualité sportive où une large place est laissée à l’humour grinçant et à la caricature, la commission estime que le chroniqueur pouvait jouir d’une grande latitude dans le choix du ton et du style, tel que le stipule l’article 10.2.
En première instance, le Conseil a jugé que le commentaire « pas sûr que c’est juste des buts qu’ils volent là-bas » laissait sous-entendre que les Israéliens étaient des voleurs et tendait, par le fait même, à entretenir des préjugés. La commission considère qu’il n’existe pas de préjugés établissant que les Israéliens « sont des voleurs ». Elle a tenu compte des arguments du journaliste expliquant qu’il faisait référence à la controverse des colonies juives. Il souligne que lorsque cette conversation radiophonique a eu lieu, l’occupation du territoire palestinien venait d’être dénoncée par une résolution de l’ONU.
La commission d’appel conclut que, bien que les commentaires du chroniqueur aient pu choquer, l’appelant n’a pas commis de faute déontologique et estime que le principe énoncé à l’article 19 (1) du Guide a été analysé trop étroitement en regard de la diffusion de propos méprisants et de préjugés. Selon les membres, l’émission étant l’expression de points vue sur l’actualité sportive, elle permettait une grande latitude au journaliste et M. Leclerc n’a pas outrepassé les limites permises à la liberté d’expression, même si ses propos paraîtront déplacés pour plusieurs.
Par ailleurs, le Conseil n’avait pas eu connaissance, en première instance, des excuses de Martin Leclerc, faites en ondes dès le lendemain de l’émission visée. La commission d’appel estime que, ce faisant, le journaliste a fait preuve de sensibilité envers les auditeurs qu’il aurait pu offenser.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel infirment à l’unanimité la décision rendue en première instance à l’égard du journaliste Martin Leclerc, sur le grief de propos méprisants et entretien de préjugés annulant de facto la sanction de blâme.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Hélène Deslauriers, présidente de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Mme Hélène Deslauriers
Représentante des journalistes :
Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
M. Renel Bouchard