Plaignant
M. Ousmane Alkaly
Mis en cause
Yves Poirier, journaliste
L’émission « TVA Nouvelles »
Le Groupe TVA
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
M. Ousmane Alkaly dépose une plainte le 3 avril 2017 contre le journaliste Yves Poirier et le Groupe TVA concernant le reportage « Controverse autour de l’annulation d’une collation des grades », diffusé le 28 mars 2017. Le plaignant dénonce de l’information inexacte, un manque de rigueur de raisonnement, de la discrimination et un refus de correctif.
Le Groupe TVA n’a pas souhaité répondre à la plainte. De son côté, le journaliste Yves Poirier a répondu en son nom personnel.
Dans le reportage mis en cause, le journaliste s’intéresse aux causes de l’annulation de la collation des grades d’une école secondaire de Montréal. Dans le reportage, la mère d’une élève, qui déplore cette annulation, établit un lien entre l’annulation de la collation des grades et le ramadan. Ce lien est soulevé par le journaliste.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
M. Alkaly estime qu’il y a une information inexacte dans l’extrait suivant : « Effectivement Pierre, [l’école] reçoit des critiques, particulièrement la direction de cette école parce qu’on dit qu’elle a favorisé un certain groupe d’élèves au détriment d’autres finissants qui n’auront pas leur cérémonie de remise de diplôme, c’était prévu cet été Pierre. Est-ce qu’on a affaire ce soir à un accommodement raisonnable ou déraisonnable? La question se pose. »
M. Alkaly déplore l’association entre l’annulation de la collation des grades et le ramadan : « Yves Poirier dit que c’est en raison de la fête de la fin de ramadan que la collation des grades n’aura pas lieu. Yves Poirier se demande si c’est [un] accommodement raisonnable ou déraisonnable. Or, tout cela est inexact puisque [la porte-parole de la commission scolaire, Mme Christiane St-Onge] a bien dit en entrevue téléphonique avec Yves Poirier que la fête n’aura pas lieu en raison d’une insuffisance des cotisations (manque d’argent). »
Yves Poirier réplique que la porte-parole de la commission scolaire a confirmé les informations; elle aurait « clairement admis en entrevue que la fête musulmane et l’absence d’élèves attribuable au ramadan avaient contribué en partie à l’annulation de l’événement. Elle explique que l’autre facteur, c’est l’insuffisance des cotisations. » Le journaliste ajoute que les arguments de la porte-parole ont été clairement expliqués et présentés.
En matière d’exactitude, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec prévoit, à l’article 9 alinéa a), que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
Dans le cadre de ses vérifications, le Conseil constate que Mme St-Onge ne fait pas allusion au ramadan lors de l’entrevue téléphonique diffusée dans le reportage. Le Conseil a contacté la porte-parole de la commission scolaire, qui affirme n’avoir « jamais fait allusion au ramadan, tout simplement parce [qu’elle] n’avait que l’information concernant le manque de participation ».
Comme dans le dossier D2016-01-085 (2), le Conseil se trouve devant deux versions contradictoires, soit celle du journaliste et celle de la porte-parole de la commission scolaire, et n’est pas en mesure de vérifier l’exactitude de chacune de ces versions. Dans ce contexte, le Conseil ne peut se prononcer sur la faute déontologique alléguée. Par conséquent, il donne le bénéfice du doute au journaliste et rejette ce grief.
Le grief d’information inexacte est rejeté.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Le plaignant considère que le journaliste a fait preuve de manque de rigueur de raisonnement et qu’il a « choisi de faire des extrapolations mensongères en mettant l’impossibilité de tenir l’événement sur le dos des élèves musulmans ». Il ajoute que « même si le parent d’élèves fait des raccourcis dans son argumentaire il est du devoir de TVA de la (sic) ramener à la raison plutôt que jeter de l’huile sur le feu et de chercher coûte que coûte à faire un lien entre la fête du ramadan et la collation des grades ». Plus précisément, M. Alkaly fait référence à l’extrait suivant : « Effectivement Pierre, [l’école] reçoit des critiques, particulièrement la direction de cette école parce qu’on dit qu’elle a favorisé un certain groupe d’élève au détriment d’autres finissants qui n’auront pas leur cérémonie de remise de diplôme, c’était prévu cet été Pierre. Est-ce qu’on a affaire ce soir à un accommodement raisonnable ou déraisonnable? La question se pose. »
Concernant la rigueur de raisonnement, le Guide prévoit, à l’article 9 alinéa b), que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] b) rigueur de raisonnement ».
Dans le dossier D2015-05-129, un reportage de J.E., sur la triche dans les cégeps et universités, le Conseil avait retenu un grief de manque de rigueur de raisonnement. Le Conseil avait constaté que la journaliste en est venue à des conclusions hâtives et que ses affirmations n’étaient pas fondées sur une réalité concrète et démontrée. Sa démonstration, reposant sur une tentative d’intrusion dans une salle d’examen, a surtout consisté à émettre une hypothèse qui n’a pas été prouvée. « Faire dire aux faits ce qu’ils ne contiennent pas constitue une erreur de raisonnement que tout média d’information respectueux de la déontologie doit éviter », avait écrit le Conseil.
Dans le reportage, le Conseil constate que la mère d’un élève suggère un lien entre l’annulation de la collation des grades et le ramadan dans l’extrait suivant : « Sont 380 finissants, l’école exigeait qui avait 250 étudiants qui répondaient de façon positive à l’invitation. Il semblerait qu’il y ait aux alentours de 100 étudiants qui se sont inscrits. J’ai réalisé que c’était parce que c’était dans la période du ramadan pour les étudiants qui sont de confession musulmane. Donc ces étudiants-là ne vont pas se présenter à la collation des grades. »
Toutefois, après analyse, le Conseil observe que le journaliste ne fait pas la démonstration de ce lien entre l’annulation de la collation des grades et le ramadan, et de ce fait, ne peut démontrer avec rigueur la présence d’un “accommodement raisonnable”.
Le grief de manque de rigueur de raisonnement est retenu.
Grief 3 : discrimination
Le plaignant considère que le reportage stigmatise les élèves musulmans de l’école secondaire. Il estime que le journaliste leur fait un « procès d’intention ». M. Alkaly fait valoir qu’un reportage comme celui mis en cause contribue « à entretenir des stéréotypes et à stigmatiser les immigrés en général et la communauté arabo-musulmane en particulier ».
M. Poirier réplique que son reportage a « eu des effets bénéfiques sur les élèves et la direction de l’école. Ils se sont mobilisés pour tenir la collation des grades ».
En matière de discrimination, le Guide prévoit, à l’article 19 (1), que « les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir des préjugés ».
Après analyse, le Conseil statue que, sans attiser la haine ou la violence, le reportage laisse croire, sans en faire la démonstration, que la communauté musulmane a empêché la tenue d’un événement sur la base d’un motif religieux, ce qui amène le journaliste à demander si cet « accommodement » est « raisonnable ou déraisonnable ». Le Conseil est d’avis que cette association entretient des préjugés selon lesquels les pratiques religieuses des musulmans empêchent la tenue de certaines activités publiques.
Le grief de discrimination est retenu.
Grief 4 : refus de correctif
Dans sa plainte au Conseil, le plaignant « demande que ce reportage soit modifié et raconter (sic) avec exactitude et sans aucune stigmatisation ».
Le Guide prévoit, à l’article 27.1, que « les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement ».
Dans sa décision D2016-05-145, le Conseil a statué que « la jurisprudence du Conseil a maintes fois établi que pour qu’un grief d’absence de rétractation soit retenu, le média doit au préalable avoir été averti d’une erreur, et celle-ci doit être fondée. C’est manifestement le cas ici, et M. Gagnon en a fait dans sa plainte une démonstration très claire. »
Le Conseil constate que le plaignant n’a pas clairement fait sa demande au mis en cause dans les courriels qu’ils ont échangés.
Ainsi, le grief de refus de correctif est rejeté.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Groupe TVA, qui n’est pas membre du Conseil de presse. Il a toutefois tenu compte des explications du journaliste dans son analyse des griefs et sa décision.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Ousmane Alkaly et blâme M. Yves Poirier et le Groupe TVA pour les griefs de manque de rigueur de raisonnement et de discrimination. Cependant, il rejette les griefs d’information inexacte et de refus de correctif.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Jacques Gauthier
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Jacques Gauthier
Représentants des journalistes :
- M. Simon Chabot
- Mme Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
19 June 2019
Appelant
Yves Poirier, journaliste
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
Ousmane Alkaly dépose une plainte le 3 avril 2017 contre le journaliste Yves Poirier et le Groupe TVA concernant le reportage « Controverse autour de l’annulation d’une collation des grades », diffusé le 28 mars 2017. Le plaignant dénonce de l’information inexacte, un manque de rigueur de raisonnement, de la discrimination et un refus de correctif.
Dans le reportage mis en cause, le journaliste s’intéresse aux causes de l’annulation de la collation des grades d’une école secondaire de Montréal. Il recueille notamment le témoignage de la mère d’une élève, qui établit un lien entre l’annulation de la collation des grades et le ramadan.
Dans sa décision de première instance, le Conseil de presse a blâmé Yves Poirier et le Groupe TVA pour les griefs de manque de rigueur de raisonnement et de discrimination. Il a toutefois rejeté les griefs d’information inexacte et de refus de correctif.
MOTIFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement aux griefs de manque de rigueur de raisonnement et de discrimination.
Grief 1 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement. » (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance a mal appliqué le principe déontologique de rigueur de raisonnement.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 b) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
Bien que l’appelant affirme que son reportage « était basé sur des faits, des témoignages de nombreux élèves et sur l’entrevue réalisée avec la porte-parole de la commission scolaire », la commission d’appel constate qu’il n’en apporte pas la preuve.
Il avance que « de nombreux élèves ont en effet confirmé qu’ils ne pouvaient pas assister au bal des finissants en raison de la fête du ramadan. Malheureusement, la collation des grades et la fête religieuse avaient lieu en même temps […] La porte-parole de la commission scolaire a aussi confirmé en entrevue que la collation des grades a été annulée parce que des élèves avaient été nombreux à choisir leur fête religieuse ».
Toutefois, la commission relève que, dans l’extrait d’entrevue téléphonique avec la porte-parole de la commission scolaire diffusé dans le reportage en cause, Christiane St-Onge ne fait pas référence au ramadan pour expliquer l’annulation de la collation des grades, pas plus que les des deux élèves interviewés n’affirment qu’ils ne pouvaient assister au bal des finissants parce que la fête du ramadan se tenait au même moment.
La commission est d’avis que si le journaliste disposait bel et bien de la preuve audio que Mme St-Onge lui avait affirmé cela au téléphone, il aurait dû en fournir la preuve et inclure cet extrait dans son reportage afin que le public puisse être éclairé.
La commission conclut, comme jugé en première instance, que le journaliste ne fait pas la démonstration qu’il existe un lien entre la fête religieuse et l’annulation de l’événement scolaire.
Dans son argumentaire, l’appelant soulève ce qu’il estime être une incohérence dans la décision de première instance : « Le Conseil de presse confirme que les informations diffusées sur nos ondes étaient exactes or, il retient étrangement un grief de manque de rigueur ».
La commission juge qu’il n’y a eu ni contradiction ni incohérence en raison du rejet de l’inexactitude dans la décision du Conseil de presse, puisque la première instance n’a pas jugé que les informations du reportage de M. Poirier étaient exactes. Il a plutôt donné le bénéfice du doute au journaliste, car il se trouvait face à des versions contradictoires.
Grief 2 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide)
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 19 (1) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant affirme qu’« il ne s’agit pas discrimination ni de préjugés envers les communautés religieuses, mais un choix qu’ils ont le droit de faire et qu’on doit en tant que société respecter » et que « les parents déçus par l’annulation de l’événement […] ont aussi le droit d’exprimer leur opinion à la télé ».
La commission estime que l’argument de l’appelant ne démontre pas que le Conseil a mal appliqué le principe déontologique de discrimination en première instance. Étant donné qu’il n’a pas démontré le lien entre l’annulation de la collation des grades et la fête religieuse, le reportage laisse place à l’entretien de préjugés, tel que l’a bien identifié la première instance, confirme la commission. En affirmant que la collation des grades a été annulée en raison du ramadan, sans en faire la démonstration, on nourrit, de façon déraisonnable, le préjugé dommageable que les communautés religieuses demandent des accommodements qui ne sont pas raisonnables.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Audrey Murray
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Audrey Murray
Représentant des journalistes :
Vincent Larouche
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette