Plaignant
Mme Stéphanie Sabbagh
Mis en cause
Mme Catherine Montambeault, journaliste
Le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
Mme Stéphanie Sabbagh dépose une plainte le 25 juin 2017 contre Le Journal de Montréal concernant la photo à la une ainsi que l’article « Prêts à tout pour sauver leur maison » publiés le 4 mai 2017. La plainte dénonce une atteinte au droit à sa vie privée et à sa dignité et un traitement sensationnaliste.
Le Journal de Montréal n’a pas souhaité répondre à la plainte. Toutefois, la journaliste Catherine Montambeault a fait parvenir ses commentaires en son nom personnel. L’article publié dans Le Journal de Montréal relate l’histoire des victimes des inondations du printemps 2017 dans l’ouest de l’Île de Montréal.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée et à la dignité
La plaignante dénonce une atteinte à sa vie privée et à sa dignité. Elle souligne n’avoir jamais parlé à quiconque du Journal de Montréal.
1.1 Photographie en une
La plaignante reproche tout d’abord au média d’avoir publié une photographie d’elle à la une du Journal sans son consentement.
1.2 Citation dans le phylactère
Elle reproche également au Journal de lui avoir attribué la citation suivante dans un phylactère sur la photo à la une du Journal, comme si elle envoyait un message texte de son téléphone : « Incroyable mais vrai, je suis présentement évacuée en pneumatique par mon super voisin Paul! 😉 LOL Stéphanie ».
1.3 Citation dans l’article
La plaignante déplore également qu’on lui ait attribué la citation suivante dans l’article, sous l’intertitre « En pneumatique » : « Paul est le meilleur voisin au monde, a-t-elle claironné. »
1.4 Divulgation d’informations personnelles
La plaignante déplore la divulgation de son nom et d’informations relatives à son adresse : « Dans le secteur de la rue de Gaulle, à Pierrefonds, Stéphanie Sabbagh (…) ».
Dans une réplique qu’elle a acheminée au Conseil, la journaliste Catherine Montambeault déclare tout d’abord qu’elle n’a effectivement jamais rencontré la plaignante. Ensuite, comme les journalistes ne sont pas responsables des unes, elle n’a pas été consultée relativement à cette une. Elle affirme finalement que les deux derniers paragraphes de l’article réunis sous le titre « En pneumatique » dans lesquels se retrouve la citation attribuée à la plaignante, ne sont pas d’elle et qu’ils ont été ajoutés à son insu.
En matière d’atteinte à la vie privée et à la dignité, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, prévoit à son article 18, que : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. »
En ce qui concerne les personnes qui vivent des drames, le Guide ajoute à l’article 18.1 que : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de retenue et de respect à l’égard des personnes qui viennent de vivre un drame humain et de leurs proches. Ils évitent de les harceler pour obtenir de l’information et respectent leur refus d’accorder une entrevue. »
Bien qu’il soit d’intérêt public d’illustrer la tragédie vécue par des citoyens ayant subi des inondations au printemps 2017, le Conseil considère, dans le présent cas, que le fait de n’avoir jamais obtenu le consentement de la plaignante à la publication de la photographie d’elle qui s’est retrouvée à la une, de lui avoir attribué une fausse citation dans le phylactère publié à la une, ainsi qu’une autre fausse citation dans l’article, constituent de graves manquements à la déontologie journalistique et portent atteinte au droit à la vie privée et à la dignité de la plaignante.
Le grief est retenu sur les points 1.1, 1.2 et 1.3.
En ce qui concerne la divulgation des informations relatives au lieu de résidence de la plaignante, le Conseil constate que les renseignements donnés sur la plaignante dans l’article mis en cause avaient déjà été publiés dans d’autres médias pour le même événement; le Conseil juge qu’elles étaient déjà publiques.
Le grief est rejeté sur ce point.
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée et à la dignité est retenu relativement à la photo et à la citation publiées à la une ainsi qu’à la citation publiée dans l’article.
Grief 2 : sensationnalisme
La plaignante considère que la publication du phylactère en une lui attribuant faussement un message texte caricature la situation et constitue du sensationnalisme, ce qui a eu pour conséquence pour elle d’être la cible de moqueries.
En ce qui a trait au sensationnalisme, le Guide prévoit, à son article 14.1, que « les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent ».
Le Guide spécifie aussi à l’article 14.3 que « le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habitant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent ».
Le Conseil juge que la publication à la une du phylactère attribuant faussement une citation à la plaignante déforme abusivement la réalité en « exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent », tel que réprimé par le Guide.
Le grief de sensationnalisme est retenu.
COMMENTAIRE ÉTHIQUE
Le Conseil tient à rappeler que les médias ont l’obligation de veiller, dans la mesure du possible, à informer les journalistes de modifications substantielles apportées à leur texte, afin de leur permettre de faire valoir leur droit à signer ou non un texte qui aurait été modifié, tel que le préconise l’article 7, du Guide : « Les médias d’information reconnaissent que les journalistes sont libres de signer les textes qu’ils produisent et ne sauraient donc être contraints de signer un de leurs reportages qu’on aurait modifié substantiellement. »
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse. Ce reproche ne s’applique pas à la journaliste Catherine Montembeault qui a répondu à la plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Stéphanie Sabbagh et blâme sévèrement le quotidien Le Journal de Montréal pour les griefs d’atteinte au droit à la vie privée et à la dignité et de sensationnalisme. Le blâme sévère est adressé pour la gravité des fautes en regard de la présentation de l’information, en plus du fait que le média a changé substantiellement l’article à l’insu de la journaliste, laissant croire au public que la journaliste avait interviewé la plaignante, ce qu’elle n’avait pas fait. Le Conseil accepte les explications de la journaliste Catherine Montambeault et l’exonère de tout grief dans ce dossier.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Jacques Gauthier
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Jacques Gauthier
Représentants des journalistes :
- Mme Lisa-Marie Gervais
- M. Simon Chabot
Représentants des entreprises de presse :
- Mme Nicole Tardif
- M. Pierre-Paul Noreau
Date de l’appel
19 June 2019
Appelant
Stéphanie Sabbagh
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
L’article publié dans Le Journal de Montréal relate l’histoire de victimes des inondations du printemps 2017 dans l’ouest de l’île de Montréal. En première instance, le Conseil de presse a retenu trois des quatre griefs d’atteinte au droit à la vie privée et à la dignité et le grief de sensationnalisme. Le journal a été blâmé sévèrement dans ce dossier, mais la journaliste a été exonérée, parce qu’elle n’était pas impliquée dans les manquements déontologiques constatés.
MOTIF DE L’APPELANTE
L’appelante conteste la décision de première instance relativement au grief d’atteinte au droit à la vie privée et à la dignité relativement à la divulgation d’informations personnelles.
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée et à la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance a mal appliqué le principe déontologique d’atteinte au droit à la vie privée et à la dignité relativement à la divulgation d’informations personnelles.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 18 du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelante affirme qu’aucun autre média que le Journal de Montréal n’avait publié son adresse et qu’elle avait fait une recherche sur Internet, avec son nom et adresse complète, pour le confirmer.
La commission d’appel constate que la première instance a bien appliqué le principe déontologique de droit à la vie privée et à la dignité, étant donné que le Journal de Montréal n’a pas publié l’adresse municipale de l’appelante. Seuls les noms de la rue et de la localité étaient mentionnés. Ces informations étaient nécessaires à la compréhension de l’article, puisqu’il s’agissait de la couverture d’une inondation, un évènement d’intérêt public, et que le lieu de l’inondation était une information importante, souligne la commission.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Audrey Murray
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Audrey Murray
Représentant des journalistes :
Vincent Larouche
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette