Plaignant
Ville de Sorel-Tracy
M. Louis Latraverse, directeur des communications
Mis en cause
M. Jean Lemay, directeur des ressources humaines, de la programmation et de la production
M. Laurent Cournoyer, président-directeur général
La station radiophonique CJSO FM 101,7
L’émission « On a des choses à dire »
Le site Internet www.cjso.ca
La page Facebook de CJSO FM
Résumé de la plainte
M. Louis Latraverse, directeur des communications de la Ville de Sorel-Tracy, dépose une plainte au nom de la municipalité le 2 août 2017 contre Jean Lemay, directeur des ressources humaines, de la programmation et de la production, Laurent Cournoyer, président-directeur général, la station radiophonique CJSO FM 101,7, l’émission « On a des choses à dire », le site Internet www.cjso.ca ainsi que la page Facebook de CJSO FM. Le plaignant déplore un manque de vérification des sources, de l’information inexacte, un manque d’indépendance et une absence de rétractation et d’excuses.
La plainte vise une nouvelle publiée par la station de radio sur son site Internet et sur sa page Facebook à quelques heures de la longue fin de semaine de la Journée nationale des patriotes. L’article mis en cause rapporte l’information selon laquelle le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) aurait ordonné l’arrêt des travaux dans un bâtiment du quai Catherine-Legardeur, à Sorel-Tracy.
Analyse
Grief 1 : manque de vérification des sources
Le plaignant reproche aux mis en cause d’avoir publié l’information selon laquelle le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) avait ordonné l’arrêt des travaux au bâtiment H sans l’avoir vérifiée auprès du MAMOT ou de la municipalité.
Le plaignant affirme : « Malgré le fait que les bureaux de la Ville soient fermés le vendredi après-midi, M. Lemay aurait pu vérifier auprès des communications ou auprès du maire, dont il possède les numéros de cellulaires, avant de publier ». (Les caractères gras sont du plaignant.)
M. Jean Lemay, directeur des ressources humaines, de la programmation et de la production, répond au nom des mis en cause. Il explique que M. Laurent Cournoyer, propriétaire de la station, a reçu le vendredi, en milieu d’après-midi, un appel d’une source voulant garder l’anonymat. Celle-ci tenait « d’une tierce partie comme quoi le maire l’aurait informé de la fermeture du chantier ». M. Lemay indique qu’une journaliste a tenté de vérifier l’information auprès du MAMOT, mais que personne ne l’a rappelée avant la fin de son quart de travail. « J’ai continué à surveiller le retour d’appel du MAMOT qui n’est jamais venu. Vers 16h30, j’ai convenu avec mon patron de publier au conditionnel l’information et qu’un suivi serait effectué au retour du week-end », affirme M. Lemay qui souligne le contexte concurrentiel dans sa région et affirme que son média ne voulait pas « perdre l’avantage de l’exclusivité de cette nouvelle ».
M. Lemay affirme qu’une fois prévenu par un journaliste d’un autre média « de la réaction négative du maire » à la nouvelle visée par la présente plainte, il a tenté de s’expliquer avec le maire. M. Lemay rapporte que le maire « n’a jamais lui non plus retourné [s]on appel ».
M. Lemay indique que « la tierce personne qui était à l’origine de cette nouvelle n’a jamais voulu être identifiée, nous a ré-affirmé que la source de l’information était bel et bien à l’origine du maire ».
Dans ses commentaires, le plaignant fait valoir que « mélanger potinage et information; ne pas faire un minimum de vérification avant de publier un ragot, ce n’est pas agir avec professionnalisme et selon “les règles de l’art” ».
Il nie que le maire soit à l’origine de l’information ayant mené à l’article mis en cause. « Cette affirmation de M. Lemay qui émane du propriétaire de la station M. Laurent Cournoyer, qui lui-même la tient d’une source anonyme qui la tient d’une tierce partie obscure, n’est pas crédible », affirme-t-il en ajoutant que le maire n’aurait pas pu parler d’une décision que le MAMOT n’avait pas prise.
Dans une réplique aux commentaires du plaignant, M. Lemay affirme que l’allégation du plaignant voulant que les mis en cause aient inventé l’objet de la nouvelle « est complètement fausse ».
Concernant la fiabilité des informations transmises par les sources, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec stipule à l’article 11 : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. »
Après analyse, le Conseil juge que les moyens raisonnables n’ont pas été pris par les mis en cause pour vérifier l’information qui leur avait été transmise par une source confidentielle. Cette vérification était d’autant plus nécessaire et importante que cette source avait elle-même obtenu l’information d’une autre personne. Le Conseil rappelle que le contexte de concurrence évoquée par les mis en cause ne justifie pas de publier sans avoir vérifié les faits.
Le grief de manque de vérification des sources est retenu.
Grief 2 : information inexacte
Le plaignant affirme que le titre « Le MAMOT ordonne l’arrêt des travaux au bâtiment H » est inexact. Il souligne que le 23 mai 2017, le MAMOT a confirmé à la municipalité l’inexactitude de l’information transmise par la station de radio, quelques jours plus tôt.
Il transmet également une copie d’un texte intitulé « Le MAMOT dément la fausse nouvelle de CJSO » publié le 23 mai 2017 sur le site de la Ville de Sorel-Tracy. On peut lire : « Les autorités du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du Territoire (MAMOT) ont confirmé à la Ville de Sorel-Tracy, ce mardi 23 mai, que la nouvelle publiée par Jean Lemay, directeur de la radio locale, CJSO, le vendredi 19 mai, à l’effet que le MAMOT avait ordonné l’arrêt des travaux au bâtiment H situé sur le quai Catherine-Legardeur est totalement fausse et dénuée de tout fondement. La Ville de Sorel-Tracy déplore que CJSO ait publié cette fausse nouvelle qui porte préjudice à l’administration municipale. Une plainte sera d’ailleurs déposée au Conseil de presse du Québec ainsi qu’au Conseil de la radio et des télécommunications du Canada (CRTC). » (L’accentuation est dans le texte d’origine.)
Dans la réplique qu’il a fait parvenir au Conseil, M. Jean Lemay indique qu’il a utilisé le conditionnel dans la rédaction de l’article, mais que « le titre comportait une coquille ». Il admet l’importance de celle-ci et affirme qu’elle a été corrigée « dès qu’elle a été portée à [s]on attention ». Il admet que le titre initial a « fait son bout de chemin sur les réseaux sociaux (Facebook) pendant quelques heures ».
Mettant en preuve une saisie d’écran témoignant de la mise à jour du site Internet de la station de radio faite le 19 mai à 21h32, M. Lemay souligne : « Vous pouvez constater que le texte lui-même a toujours véhiculé le caractère conditionnel de l’information. »
Dans ses commentaires, le plaignant fait valoir que le recours au mode conditionnel « n’est pas une caution morale » et ne permet pas de publier n’importe quoi.
De plus, il met en preuve une saisie d’écran d’un article intitulé « Le MAMOT n’a pas ordonné l’arrêt des travaux au Quai Catherine-Legardeur » et publié le 23 mai 2017. On y lit : « Le MAMOT n’a pas ordonné l’arrêt des travaux au Quai Catherine-Legardeur selon Pier-Luc Lévesque, attaché de presse pour le Ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire. L’attaché de presse du ministère nous a confirmé, par voie téléphonique, avoir vérifié l’information avec des personnes ressources qui connaissent le dossier du Quai Catherine-Legardeur. Il a ajouté que le MAMOT ne possède pas les autorisations pour faire arrêter des travaux de ce type. »
En matière d’exactitude, le Guide de déontologie journalistique prévoit à l’article 9, alinéa a) que « les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ».
Dans la décision D2016-01-085(2), le Conseil a fait valoir : « Après analyse, la majorité (4/5) des membres jugent que les mis en cause ont commis une faute en présentant des titres formulés sur un mode affirmatif, considérant qu’il ne semble pas y avoir de preuve claire confirmant que “les cendres ne sont pas celles de leur père”. De plus, les membres constatent que les deux familles impliquées ne sont pas aussi catégoriques que les mis en cause et qu’elles ne font qu’émettre un doute sérieux. Afin de refléter cette situation, le titre aurait dû être formulé au conditionnel ou sur un mode interrogatif. »
Après analyse, le Conseil juge que le titre « Le MAMOT ordonne l’arrêt des travaux au bâtiment H » transmet de l’information inexacte. Il observe que le verbe « ordonner », conjugué au présent de l’indicatif, n’est lié à aucun fait avéré. Le titre est d’autant plus inexact que le MAMOT ne prend pas ce genre de décision, comme le précise l’article de suivi publié quelques jours plus tard.
Le grief d’information inexacte est retenu.
Grief 3 : manque d’indépendance
Le plaignant estime que M. Jean Lemay « utilise le média pour des motifs commerciaux et politiques afin de nuire au projet de reconversion du bâtiment H en restaurant, projet porté par l’administration du maire de Sorel-Tracy » et dont il est question dans l’article mis en cause.
Dans sa réplique, M. Lemay assure « qu’il n’a jamais été dans [s]on intention de nuire à quelques projets que ce soit mis de l’avant » par la municipalité. Il ajoute : « Cependant, il importe pour nous que, comme média local, nous tenions compte de tous les points de vue exprimés dans les dossiers d’intérêts pour notre région.
L’article 6.2 du Guide de déontologie journalistique rappelle que « les médias d’information ne laissent, en aucun cas, leurs intérêts commerciaux, politiques, idéologiques ou autres primer sur l’intérêt légitime du public à une information de qualité, ni ne restreignent l’indépendance professionnelle des journalistes. »
La jurisprudence du Conseil rappelle que « le fardeau de la preuve repose sur le plaignant ». Dans la décision D2016-10-045, le Conseil avait rejeté un grief d’information inexacte vu l’absence de preuves.
Dans le cas présent, le Conseil juge que le plaignant n’a pas apporté de preuves de ses allégations.
Le grief de manque d’indépendance est rejeté.
Grief 4 : absence de rétractation et d’excuse
Le plaignant déplore que les mis en cause n’aient pas reconnu leurs torts et ne se soient pas excusé lors d’une intervention en ondes le 8 juin 2017. Il observe que M. Jean Lemay a maintenu, lors de son émission « On a des choses à dire », avoir agi dans les règles de l’art.
Dans sa réplique, M. Lemay indique que le temps de verbe utilisé dans le titre de l’article a été modifié. Il met en preuve une saisie d’écran témoignant de la correction.
Il ajoute qu’au retour de la longue fin de semaine, la journaliste a permis au maire de présenter sa version des faits lors d’une entrevue téléphonique.
À ce sujet, M. Latraverse dément qu’une entrevue téléphonique ait été réalisée avec le maire à ce moment.
Dans ses commentaires, le plaignant estime qu’après avoir été mis au courant, « un journaliste consciencieux aurait retiré la publication ».
La correction des erreurs est encadrée par l’article 27.1 du Guide de déontologie journalistique qui précise : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Dans l’extrait de l’émission « On a des choses à dire » mis en cause, M. Lemay dit :
« Je ne répéterai pas ses termes, en tout cas, en qualifiant de façon négative notre travail. Je voulais juste faire une courte mise au point pour que les gens soient bien au fait de ce qui s’est passé et que le travail que… l’on n’a pas honte du travail qu’on a fait, loin de là. On a reçu une nouvelle de source qui est normalement, en fait toujours fiable. Cette source-là, malheureusement, je sais pas en tout cas y’a eu… Il semble y avoir eu une situation qui s’est passée là-dedans qui fait que ça été nié par le maire, mais tout ça pour vous dire qu’on a fait les démarches auprès du MAMOT pour se faire confirmer ou infirmer. La nouvelle a été publiée au conditionnel disant qu’on avait eu l’information que c’était, au conditionnel, qu’il y aurait arrêt, possiblement arrêt des travaux. On a aussi logé un appel sur le cellulaire du maire. Je voulais simplement signifier qu’on a fait le travail dans les règles de l’art. Tant mieux si c’est pas, si c’est pas le cas. Ça été ensuite, ça a ensuite été nié. Enfin, nié… ça été clarifié par le MAMOT. Tant mieux si c’est ça. On va suivre l’évolution des choses! »
Le Conseil constate que le 23 mai 2017, les mis en cause publie l’article « Le MAMOT n’a pas ordonné l’arrêt des travaux au Quai Catherine-Legardeur » dans lequel on lit :
« Le MAMOT n’a pas ordonné l’arrêt des travaux au Quai Catherine-Legardeur, selon Pier-Luc Lévesque, attaché de presse pour le Ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire. L’attaché de presse du ministère nous a confirmé, par voie téléphonique, avoir vérifié l’information avec des personnes ressources qui connaissent le dossier du Quai Catherine-Legardeur. Il a ajouté que le MAMOT ne possède pas les autorisations pour faire arrêter des travaux de ce type. »
Après analyse, le Conseil juge que les mis en cause ont manqué à leurs obligations déontologiques puisqu’au lieu de reconnaître leur erreur avec « diligence », comme l’exige le principe sur la correction des erreurs, ils ont maintenu les faits présentés dans l’article jusqu’à ce qu’il soit impossible de le faire. À plusieurs moments, les mis en cause auraient pu se rétracter, notamment lorsqu’un média concurrent les a contactés pour souligner l’inexactitude. Le Conseil insiste sur le fait que ce n’est pas en conjuguant un verbe au conditionnel que l’on se dédouane du devoir de vérification. Par ailleurs, malgré la réponse du ministère, M. Lemay a maintenu, au cours de l’émission radiophonique, avoir travaillé « dans les règles de l’art », alors qu’il avait l’occasion de reconnaître les erreurs commises.
Le grief d’absence de rétractation et d’excuse est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Louis Latraverse et de la Ville de Sorel-Tracy et blâme Jean Lemay, directeur des ressources humaines, de la programmation et de la production, Laurent Cournoyer, président-directeur général, l’émission « On a des choses à dire », la station radiophonique CJSO FM 101,7, le site Internet www.cjso.ca ainsi que la page Facebook de CJSO FM pour les griefs de manque de vérification des sources, information inexacte et absence de rétractation et d’excuse. Cependant, le grief de manque d’indépendance est rejeté.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- M. Simon Chabot
- Mme Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
- M. Éric Trottier
- M. Pierre-Paul Noreau