Plaignant
M. Jean-Pierre Cloutier
M. Max-Antoine Guérin
Mme Denise Groulx
M. Martin St-Arnaud
189 plaignants en appui
Mis en cause
Émission « La Joute »
Le Groupe TVA-LCN
Résumé de la plainte
CONTEXTE
Le segment de l’émission portait sur une pétition en faveur de la chasse à l’écureuil en milieu urbain qui avait été déposée ce jour-là à l’Assemblée nationale du Québec. Les plaignants visent les propos suivants prononcés par Luc Lavoie: « On pourrait prendre nos guns comme les Américains, pis on tire des écureuils (…) En fait, moi, j’aurais aimé pouvoir chasser les séparatistes, mais ça a l’air que c’est pas possible ».
RÉSUMÉ DE LA PLAINTE
Mme Denise Groulx et MM. Jean-Pierre Cloutier, Max-Antoine Guérin et Martin St-Arnaud, ainsi que 189 plaignants, déposent des plaintes les 3 et 4 octobre 2017 contre l’émission « La Joute » de TVA-LCN et son commentateur politique, M. Luc Lavoie. Les plaignants déplorent des propos discriminatoires, haineux et incitant à la violence, lors de l’émission du 3 octobre 2017, ainsi qu’une absence de correction.
STATUT DE LUC LAVOIE
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec précise, à l’article 3, que « le présent Guide s’applique autant aux journalistes qu’aux médias d’information ». Le Règlement No 1 considère comme journaliste « toute personne qui, exerçant des fonctions journalistiques et ayant pour objectif de servir le public, recherche, collecte, vérifie, traite, commente ou diffuse de l’information destinée à un large public, sur des questions d’intérêt général ». (article 2.01)
Le Conseil juge, à majorité (5/8), que Luc Lavoie n’a pas le statut de journaliste dans l’émission visée par la plainte et qu’il agit plutôt à titre de commentateur politique. Dans une décision antérieure (D2016-10-047), visant également une intervention de M. Lavoie à l’émission « La Joute », le Conseil avait jugé que M. Lavoie n’était pas journaliste.
Trois membres dissidents estiment que le rôle de M. Lavoie dans cette émission d’information diffusée sur une chaîne télévisée d’information en continu correspond à une fonction journalistique.
Les griefs pointés par les plaignants seront donc traités en regard de la responsabilité du diffuseur, en vertu de l’article 4 (2) du Guide qui stipule que « les médias d’information sont responsables de tout le contenu journalistique qu’ils […] diffusent ».
Analyse
Grief 1 : propos discriminatoires, haineux et incitant à la violence
Principe déontologique applicable
Discrimination – « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le comité des plaintes doit déterminer si les propos suivants sont discriminatoires, haineux et s’ils encouragent la violence : « On pourrait prendre nos guns comme les Américains, pis on tire des écureuils (…) En fait, moi, j’aurais aimé pouvoir chasser les séparatistes, mais ça a l’air que c’est pas possible ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec juge ces propos discriminatoires et haineux, mais considère qu’ils n’encouragent pas la violence.
Le Conseil retient le grief de propos discriminatoires et haineux, mais il rejette celui d’incitation à la violence.
Analyse
Le Conseil juge que le commentaire de Luc Lavoie est discriminatoire envers un groupe de personnes, « les séparatistes », sur la base de leurs convictions politiques et qu’il tend à susciter la haine envers celles-ci.
Dans une décision antérieure (D2014-05-117), le Conseil établit que des propos haineux « incitent i) à la violence et/ou ii) à l’exécration et au dénigrement d’une personne ou d’un groupe ». Dans le cas présent, le Conseil constate que M. Lavoie a dénigré les partisans de la séparation du Québec en les assimilant à des écureuils que l’on souhaite tuer, ce qui est déshumanisant et témoigne d’un sentiment de haine.
En ce qui concerne l’incitation à la violence, une plaignante considère que les propos de M. Lavoie pourraient « inciter un esprit dérangé à passer à l’acte ». Un autre plaignant évoque l’attentat ayant visé la première première ministre du Québec.
Dans la décision D2016-06-165 (2), le Conseil avait également retenu le grief de propos haineux sans retenir celui d’incitation à la violence. Le Conseil avait déterminé que les propos visés « ne vont pas jusqu’à l’incitation à la violence ni à commettre des gestes violents. Une telle conclusion est une interprétation puisqu’on chercherait en vain un passage où l’auteur enjoint nommément ses lecteurs à commettre des gestes violents contre les homosexuels ». Portée en appel, la décision de première instance a été maintenue.
Dans le cas présent, le Conseil n’a pas constaté d’encouragement à la violence. M. Lavoie, en parlant à la première personne du singulier lorsqu’il affirme « moi, j’aurais aimé pouvoir chasser les séparatistes, mais ça a l’air que c’est pas possible », ne va pas jusqu’à encourager le public à s’en prendre violemment à ce groupe.
Grief 2 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs – « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le comité des plaintes doit déterminer si le média a corrigé les propos de Luc Lavoie avec diligence.
Décision
Le Conseil juge que TVA-LCN a respecté le principe de la correction des erreurs.
Le Conseil rejette le grief d’absence de correctif.
Analyse
Bien que l’un des plaignants estime que M. Lavoie n’a pas corrigé ses propos « dans un temps raisonnable », le Conseil juge au contraire que l’animateur de l’émission, Paul Larocque, a réagi sur le champ en enjoignant le commentateur à ne pas faire de blague sur ce sujet.
En plus des excuses présentées par Luc Lavoie sur sa page Facebook le jour même, le Conseil constate que TVA-LCN a réagi prestement en se dissociant des propos de M. Lavoie et en annulant la rediffusion de l’émission prévue le soir même. TVA a également publié deux communiqués le lendemain de l’émission en cause. Dans le premier, rendu public à 9h25, le télédiffuseur condamne les commentaires de Luc Lavoie et rappelle « que les discussions, les débats et les échanges sur ses ondes doivent être tenus dans le respect des différentes convictions politiques ». Un second communiqué a été diffusé à 12h55 pour annoncer le retrait des ondes de M. Lavoie étant donné qu’une enquête avait été ouverte par la Sûreté du Québec à la suite du dépôt d’une plainte. Le contenu des communiqués a été repris quelques heures plus tard par l’animateur Paul Larocque en ouverture de l’émission du 4 octobre 2017.
Le Conseil juge que la réaction du diffuseur a été diligente, rapide et proportionnelle à la gravité de la faute. C’est pourquoi le Conseil ne blâme pas TVA-LCN et se prononce pour l’absolution.
Note
Les mis en cause n’ont soumis aucune réplique à la présente plainte. Le Conseil regrette le manque de collaboration de TVA-LCN.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Denise Groulx et MM. Jean-Pierre Cloutier, Max-Antoine Guérin et Martin St-Arnaud et 189 autres plaignants contre l’émission « La Joute » et TVA-LCN en ce qui concerne le grief de propos discriminatoires et haineux. Bien que les propos de Luc Lavoie soient discriminatoires et haineux, le Conseil de presse absout le média en raison de sa réaction exemplaire. Par ailleurs, le grief d’absence de correctif est rejeté, tout comme celui d’incitation à la violence.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que « lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Ericka Alnéus
Mme Renée Lamontagne
M. Michel Loyer
M. Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
M. Simon Chabot
M. Martin Francoeur
Représentants des entreprises de presse :
M. Pierre-Paul Noreau
Mme Nicole Tardif