Plaignant
Leititia Wu
Mis en cause
Michel Hébert, chroniqueur
Le quotidien Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
CONTEXTE
Le 25 novembre 2017, alors qu’une manifestation du groupe identitaire La Meute a eu lieu dans les rues de Québec, un autre groupe de manifestants se disant antiracistes, appelé le rassemblement CO25 (« comité organisateur du 25 novembre »), organise une contre-manifestation.
Dans une chronique publiée le lendemain, Michel Hébert commente les faits saillants des deux manifestations simultanées, notamment les arrestations qui ont eu lieu, et critique le porte-parole du rassemblement CO25, Simon Pouliot. Le chroniqueur soutient que « c’est la gauche immigrationniste qui a eu l’air d’une conne ».
RÉSUMÉ DE LA PLAINTE
Leititia Wu dépose une plainte le 26 novembre 2017 contre le chroniqueur Michel Hébert et Le Journal de Québec concernant l’article « Les cons, c’est par là, à gauche! » La plaignante dénonce des informations inexactes et des propos insultants.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Journalisme d’opinion – « Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton ou du style qu’il adopte. » (article 10.2 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a produit de l’information inexacte en écrivant que Simon Pouliot « travaille au Comité populaire Saint-Jean-Baptiste », que les personnes arrêtées « épousent le marxisme-léninisme avec couteaux, boules de billard, etc. » et que « cette manif de La Meute n’avait pas d’objet précis ».
Décision
Le Conseil juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide et rejette le grief d’informations inexactes.
Analyse
1.1 Implication de Simon Pouliot dans le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste
Mme Wu avance que le chroniqueur écrit que Simon Pouliot « travaille au Comité populaire Saint-Jean-Baptiste » et se demande comment il en est venu à cette conclusion.
Le Conseil constate que Michel Hébert n’indique pas dans son texte que Simon Pouliot « travaille » au Comité populaire Saint-Jean-Baptiste. Il écrit plutôt qu’on « ne sait trop » ce que Simon Pouliot « fout » dans ce Comité.
Dans la décision D2016-10-047, le Conseil a rejeté un grief d’information inexacte parce que le plaignant citait erronément des propos prononcés en ondes; il paraphrasait les propos tenus par M. Lavoie.
Par ailleurs, des recherches menées par le Conseil ont permis d’établir qu’il y avait bel et bien un lien entre le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste et Simon Pouliot, qui était stagiaire pour l’organisme au moment de la chronique de Michel Hébert.
1.2 Allégeances politiques et objets saisis
La plaignante reproche à M. Hébert de produire de l’information « trompeuse », en écrivant que les personnes arrêtées « épousent le marxisme-léninisme avec couteaux, boules de billard, etc. » dans l’extrait suivant :
« Exemplaires à tous points de vue, les policiers de Québec et de la SQ ont fait une quarantaine d’arrestations. Des intellectuels sans doute, épousant le marxisme-léninisme avec couteaux, boules de billard, etc… »
Le Conseil estime que ce passage ne doit pas être pris au pied de la lettre, mais doit plutôt être considéré comme une figure de style pour illustrer le propos de M. Hébert.
De plus, le chroniqueur ne cherche pas à établir des faits, mais émet plutôt une hypothèse sur les personnes arrêtées, comme en témoigne l’emploi des termes « sans doute ». Le Conseil souligne qu’en tant que chroniqueur, M. Hébert avait toute la latitude pour exprimer son opinion.
1.3 Objet de la manifestation de La Meute
La plaignante estime qu’il est inexact d’écrire que « cette manif de La Meute n’avait pas d’objet précis ». Elle avance que « La Meute a très clairement exposé qu’elle marchait contre la burqa et le niqab notamment ».
Le Conseil ne constate pas d’inexactitude dans le passage « cette manif de La Meute n’avait pas d’objet précis », considérant qu’il s’agit d’une question d’interprétation. Certains entendront par là que la manifestation n’avait pas de thème général et d’autres comprendront que le fait qu’il y avait plusieurs objets de contestation revient à dire qu’il n’y avait pas un objet précis.
D’ailleurs, plus loin dans sa chronique, Michel Hébert énumère certains de ces thèmes :
« Quelques pancartes islamophobes dont certaines suggéraient d’interdire le niqab et la burqa tandis que d’autres proclamaient “la religion dans ton salon”, etc. Drapeaux du Québec, des Patriotes, de la Storm Alliance et du Canada, tous mélangés et révélateurs de l’incohérence… »
De plus, le Conseil constate que lorsque la plaignante dit « La Meute a très clairement exposé qu’elle marchait contre la burqa et le niqab notamment », le mot « notamment » suggère qu’il était possible de percevoir qu’il y avait plusieurs motifs pour cette manifestation, plutôt qu’un objet précis.
Le Conseil rejette le grief d’inexactitude à la majorité (4/7 membres) sur ce point.
Grief 2 : propos insultants
Principes déontologiques applicables
Discrimination – « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir des préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Journalisme d’opinion – « Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton ou du style qu’il adopte. » (article 10.2 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a utilisé des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris en titrant sa chronique « Les cons, c’est par là, à gauche! », en traitant « les personnes arrêtées “d’intellectuels sans doute” » et en estimant « que le droit d’être raciste devrait être défendu autant que l’antiracisme ».
Décision
Le Conseil juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 19 (1) du Guide et rejette le grief de propos insultants.
Analyse
2.1 Utilisation du terme « con »
La plaignante déplore que le chroniqueur insulte « gratuitement les gens, ce qui est fait dès le début du texte, dans le titre “Les cons, c’est par là, à gauche!”, ce qui est contraire à la déontologie ». Bien que ces propos puissent paraître insultants, le Conseil estime qu’ils ne se basent sur aucun motif discriminatoire et ne suscitent ni la haine ni le mépris.
Le Conseil rappelle que le journaliste d’opinion dispose d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte.
Sous-grief non recevable : propos insultants envers M. Simon Pouliot
La plaignante déplore que le chroniqueur « attaque personnellement Simon Pouliot, le porte-parole du rassemblement pacifique. C’est une forme de harcèlement injustifié ».
Considérant que la plaignante n’apporte pas de précision sur les « attaques » qui auraient été dirigées contre Simon Pouliot et que cet aspect de la plainte constitue plutôt une critique générale, le Conseil ne peut se pencher sur ce grief.
Comme le prévoit le Règlement No 2 du Conseil, « une plainte doit « porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis ». (article 13.01) De plus, une plainte « ne doit pas constituer simplement un commentaire ou une critique générale ». (article 13.02)
2.2 Mépris envers les intellectuels
La plaignante affirme que le chroniqueur « démontre un mépris évident pour les protestataires durant tout l’article ». Elle estime que M. Hébert traite « les personnes arrêtées “d’intellectuels sans doute”, ajoutant l’anti-intellectualisme à l’injure », dans l’extrait suivant :
« Exemplaires à tous points de vue, les policiers de Québec et de la SQ ont fait une quarantaine d’arrestations. Des intellectuels sans doute, épousant le marxisme-léninisme avec couteaux, boules de billard, etc… »
Le Conseil ne constate pas de motif discriminatoire associé aux intellectuels. De plus, il considère que ce passage n’attise pas le mépris, tel que défini dans la décision D2015-06-149, où le Conseil le caractérise « comme un sentiment par lequel on considère quelqu’un comme indigne d’estime, comme moralement condamnable (Le Petit Robert, p. 1610, édition 2002) ».
2.3 Défendre le droit d’être raciste et antiraciste
La plaignante soutient que le chroniqueur « met sur un pied d’égalité les racistes et les antiracistes » en estimant « que le droit d’être raciste devrait être défendu autant que l’antiracisme ». Elle fait référence à ce passage :
« Mais le gouvernement, lui, doit-il pousser sa générosité jusqu’à l’absurde en subventionnant des agitateurs [“la gogauche et ses étudiants, ses soi-disant ‘comités populaires’ et autres habitués des manifs et des violences télévisées”]? Si la réponse est oui, pour faire bonne mesure, et donner une chance égale à tous, il devrait subventionner La Meute. »
Bien que ce passage puisse soulever la controverse, le Conseil estime qu’elle n’attise pas la haine ou le mépris sur la base d’un motif discriminatoire.
Note
Les mis en cause n’ont soumis aucune réplique à la présente plainte. Le Conseil regrette le manque de collaboration du Journal de Québec.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Leititia Wu contre le chroniqueur Michel Hébert et le quotidien Le Journal de Québec concernant des griefs d’informations inexactes et de propos insultants.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Johanna Pellus
Représentant des entreprises de presse :
Jed Kahane