Plaignant
Sylvain Chamberland
Vice-président exécutif et chef des opérations, Attraction Média
Mis en cause
François Robert, journaliste
Le site Internet ici.radio-canada.ca
Résumé de la plainte
CONTEXTE
L’article mis en cause traite de questions éthiques émergeant de la candidature d’une directrice de deux stations de radio privées de Sept-Îles, Élisabeth Chevalier, au poste de conseillère municipale dans le district Monseigneur-Blanche.
On y retrouve les avis sur ces questions de la candidate, du vice-président d’Attraction Média, propriétaire de ces deux stations de radio, de professeurs en journalisme et d’avocats.
RÉSUMÉ DE LA PLAINTE
Sylvain Chamberland dépose une plainte, le 5 décembre 2017, contre le journaliste François Robert et le site Internet ici.radio-canada.ca concernant l’article « Un double emploi qui soulève des questions éthiques », publié le 17 octobre 2017. Le plaignant déplore de la partialité, un manque de vérification des informations transmises par les sources, des informations incomplètes et une inexactitude.
Analyse
Grief 1 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier ». (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a pris parti en faveur d’un point de vue particulier dans l’article mis en cause.
Décision
Le Conseil rejette le grief de partialité, car il estime que le journaliste a respecté l’article 9 c).
Analyse
1.1 Angle de l’article
Le plaignant considère que « l’orientation choisie par le journaliste » reflète un parti pris, étant « arbitraire et profondément injuste puisque les commentaires recueillis reposent sur des appréciations personnelles sans aucune argumentation légale ».
Dans une décision antérieure (D2017-03-040), une plaignante estimait qu’une journaliste avait fait preuve de partialité en choisissant d’omettre certaines citations et en en ajoutant d’autres que la plaignante jugeait hors contexte. Le Conseil n’y a vu « aucun parti pris dans la couverture de l’événement » et souligne que « l’angle de traitement d’un sujet relève de la liberté éditoriale du média ». Similairement, dans le cas présent, le Conseil considère que le choix de l’angle – les questions d’éthique que soulève le double emploi de Mme Chevalier – revient au média.
Par ailleurs, le Conseil constate que l’article mis en cause se base sur des faits et présente les opinions divergentes de plusieurs intervenants, dont celles de Mme Chevalier et de M. Chamberland, le plaignant. Le Conseil n’a observé aucune partialité dans l’angle de traitement.
1.2 Choix des intervenants
M. Chamberland estime que « le choix des interlocuteurs semble avoir été orienté pour livrer un témoignage concordant avec l’avis personnel du journaliste ».
Le Conseil constate, tout comme le fait valoir la rédactrice en chef pour ICI Radio-Canada Est-du-Québec, Catherine St-Vincent Villeneuve, que le journaliste a interrogé quatre experts, deux professeurs en journalisme spécialisés en éthique et deux avocats qui figurent sur la liste des conseillers à l’éthique et à la déontologie de la Commission municipale du Québec.
Étant donné que plusieurs sources crédibles ont été citées et que le plaignant ne démontre pas que ces intervenants ont été sélectionnés pour orienter ou nuire à la candidate, le Conseil ne voit pas de partialité de la part du journaliste.
1.3 Mobilisation contre Mme Chevalier
Le plaignant estime que le journaliste « se livre à une interprétation qui se rapproche clairement d’une prise de position et en appelle à mot à peine couvert à une mobilisation contre Mme Chevalier lors de la prochaine séance du conseil si elle remporte les élections ». Il fait référence à l’extrait suivant :
« Lors de la première séance du prochain conseil, les élus devront voter à nouveau le code d’éthique des élus. Rien n’empêcherait un élu ou un citoyen présent de proposer d’ajouter une clause pour interdire un tel double emploi. »
Bien que le plaignant interprète la formulation de la seconde phrase comme une invitation à la mobilisation, le Conseil estime que l’information véhiculée est de nature factuelle. Le journaliste conclut son texte avec une ouverture sur cette possibilité, mais il ne prend pas parti.
Grief 2 : manque de vérification des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources – « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité de ses sources.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de vérification des informations transmises par les sources, car il juge que le journaliste a respecté l’article 11.
Analyse
2.1 Champ d’expertise des experts consultés
Bien que M. Chamberland déplore que les experts interrogés ne soient pas « réputés pour avoir l’expertise de l’éthique relevant de la gouvernance et de l’administration publique », le Conseil est d’avis que les experts consultés, notamment les deux avocats figurant sur la liste des conseillers à l’éthique et à la déontologie de la Commission municipale du Québec, sont des sources fiables et pertinentes dans le cadre du sujet de l’article.
2.2 Profession de Mme Chevalier
Le plaignant dénonce un manque de fiabilité des informations fournies par une source lorsque le journaliste « donne la parole à un expert qui ne semble pas du tout renseigné sur les faits mis en cause ». Il fait référence aux propos de Jean-Claude Leclerc, qui enseigne le journalisme à l’Université de Montréal, soutenant que « normalement, un conseiller municipal, comme un journaliste, doit éviter de se mettre dans des eaux pareilles ». Selon M. Chamberland, cette phrase laisse entendre que Mme Chevalier est journaliste, « ce qui n’est aucunement le cas ».
Le Conseil estime que le journaliste a rapporté l’opinion de l’expert interviewé, ce qui ne constitue pas une faute déontologique. Par ailleurs, le statut de Mme Chevalier à titre de directrice des stations de radio est établi dans le reportage, ce qui ne laisse pas penser qu’elle est journaliste.
Grief 3 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a présenté les éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet traité en ne mentionnant pas la déclaration d’intérêts de Mme Chevalier, en n’indiquant pas que son cas n’était pas unique et en n’ayant pas interrogé les autres élus membres du conseil.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’informations incomplètes, car il juge que le journaliste a respecté l’article 9 e).
Analyse
3.1 Greffe municipal
M. Chamberland relève de l’information incomplète, affirmant qu’une « vérification auprès du greffe municipal aurait permis de consulter la déclaration d’intérêts qui a été déposée en bonne et due forme auprès du conseil ». Il déplore que cette démarche n’ait pas été mentionnée dans le reportage.
Le Conseil rappelle que la déontologie n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. Dans la décision antérieure D2014-12-062, le Conseil avait rejeté une plainte d’incomplétude contre un journaliste à qui l’on reprochait d’avoir « escamoté » certains détails. Le Conseil avait conclu qu’il s’agissait d’éléments accessoires.
De la même façon, dans le cas présent, le Conseil considère qu’il relevait du choix du journaliste de parler ou non de cet élément, qui n’était pas essentiel à la compréhension des questions éthiques soulevées par le double emploi de Mme Chevalier. Il note par ailleurs que les mesures prises par Mme Chevalier pour éviter les risques de conflit d’intérêts sont largement exposées dans l’article.
3.2 Situation unique et exceptionnelle
Alors que le plaignant stipule que le journaliste a fait preuve d’incomplétude en omettant de mentionner que le cas de Mme Chevalier n’est pas « une situation unique et exceptionnelle », les mis en cause soutiennent que cette situation « n’est pas fréquente ». Ils ajoutent que « dans l’Est-du-Québec, il s’agit même d’une situation rare ».
Considérant que l’article traitant du double emploi de Mme Chevalier est un sujet local, le Conseil considère que le journaliste n’était pas tenu d’aller chercher des exemples partout au pays. Ainsi, le Conseil estime qu’il n’était pas essentiel à la compréhension de l’article de mentionner que le cas de Mme Chevalier n’est pas « une situation unique et exceptionnelle ».
3.3 Consultation des élus
Le plaignant se demande pourquoi le journaliste n’a pas « interrogé les autres élus membres du conseil plutôt que de suggérer qu’il s’agit d’une pratique condamnable qui doit être modifiée avec le prochain conseil ».
Dans leur réplique, les mis en cause expliquent avoir « choisi de ne pas interroger les autres élus du conseil municipal en raison de la période électorale en cours ».
Le Conseil estime que, bien qu’il aurait été intéressant de connaître l’avis d’autres élus, ces informations n’étaient pas essentielles à la compréhension du sujet et de les inclure relevait de la liberté éditoriale du média.
Grief 4 : inexactitude
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a présenté de l’information fidèle à la réalité en écrivant que Mme Chevalier était candidate à la mairie.
Décision
Le Conseil retient le grief d’information inexacte.
Analyse
M. Chamberland déplore que le chapeau de la première version de l’article indiquait que Mme Chevalier était candidate à la mairie, alors qu’elle se présentait comme conseillère municipale. Il apporte en preuve une capture d’écran de la première version de l’article où il est écrit que Mme Chevalier se présente comme candidate à la mairie.
Les mis en cause admettent cette erreur qu’ils ont corrigée moins de trois heures après la publication de l’article.
Le Conseil juge qu’il y a effectivement eu une inexactitude.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Sylvain Chamberland contre le journaliste François Robert et le site Internet ici.radio-canada.ca concernant le grief d’information inexacte, mais absout le média en raison de sa promptitude à corriger son erreur. Il rejette les griefs de partialité, de manque de vérification des informations transmises par les sources et d’information incomplète.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Johanna Pellus
Représentant des entreprises de presse :
Jed Kahane