Plaignant
Carole Dupuis, coordonnatrice générale et porte-parole du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ)
Mis en cause
Jean-François Cliche, journaliste
Le quotidien Le Soleil
Résumé de la plainte
CONTEXTE
L’article en cause est une « vérification des faits » qui compare le contenu de deux lettres d’opinion publiées par le quotidien Le Soleil, l’une écrite par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques de l’époque, David Heurtel, l’autre par le Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ). Les deux lettres traitent de la fracturation hydraulique et de ses risques, et citent le même rapport de l’Institut national de la recherche scientifique relatif au Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP).
RÉSUMÉ DE LA PLAINTE
Au nom du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec, dont elle est coordonnatrice générale et porte-parole, Carole Dupuis dépose une plainte le 28 décembre 2017, contre le journaliste Jean-François Cliche et le quotidien Le Soleil concernant l’article intitulé « Fracturation : de quel côté penche la science? » publié le 29 septembre 2017. La plaignante reproche de la partialité, un manque d’équilibre ainsi que des propos injurieux.
DÉLAI DE PRESCRIPTION
La plaignante reproche au quotidien Le Soleil d’avoir publié, le 25 septembre 2017, une version tronquée d’une lettre d’opinion du RVHQ. Ce grief ne peut pas être pris en compte, car, conformément à l’article 11.01 du Règlement 2 du Conseil de presse du Québec, « une plainte doit être reçue au Conseil dans un délai de trois mois suivant la publication ou la diffusion de l’objet de la plainte ».
Analyse
STATUT DE JEAN-FRANÇOIS CLICHE
Principe déontologique applicable
Genres journalistiques – « (1) Il existe fondamentalement deux genres journalistiques ayant chacun leurs exigences propres : le journalisme factuel et le journalisme d’opinion. (2) Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable afin que le public ne soit pas induit en erreur.
10.1 Journalisme factuel
(1) Le journaliste factuel rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte.
(2) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide.
10.2 Journalisme d’opinion
(1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte.
(2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie.
(3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10, Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le texte en cause relève du journalisme factuel ou du journalisme d’opinion.
Décision
Le Conseil de presse estime que l’article en cause relève du journalisme factuel, car il est présenté en tant que tel aux lecteurs.
La plainte de Mme Dupuis et du RVHQ est analysée sous l’angle du journalisme factuel.
Analyse
Le Conseil observe que Jean-François Cliche pratique à la fois le journalisme d’opinion et le journalisme factuel.
Le Conseil constate que le texte en cause est présenté dans la section « Actualités » du quotidien Le Soleil, au sein d’une rubrique intitulée « Vérification faite », et que, dans sa présentation, aucun élément ne laisse penser qu’il s’agit d’une chronique d’opinion.
Pour le Conseil, c’est à titre de journaliste factuel, et non de chroniqueur, que Jean-François Cliche a écrit le texte en cause.
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief non traité : atteinte à la réputation
L’atteinte à la réputation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique, mais relève plutôt de la sphère judiciaire.
Grief 1 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 alinéa c, Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste en cause a fait preuve de partialité en qualifiant la lettre d’opinion du RVHQ de « franchement pas très honnête ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de partialité, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Le Conseil constate que l’article en cause relève du journalisme factuel, mais que dans sa conclusion, le journaliste émet une opinion.
En qualifiant la lettre d’opinion du RVHQ de « franchement pas très honnête », le journaliste porte en effet un jugement de valeur et prête une intention au RVHQ qui n’est pas justifiée dans le cadre d’un article factuel.
Le Conseil estime qu’en présentant l’article comme une analyse factuelle, le journaliste aurait dû simplement exposer les différences entre la lettre de David Heurtel celle du RVHQ en laissant les lecteurs se faire leur propre opinion au sujet de ces différences.
Grief 2 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 alinéa d, Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué d’équilibre en affirmant que « le découpage nous semble être beaucoup plus prononcé (…) du côté du RVHQ que de celui de M. Heurtel ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équilibre, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 d) du Guide.
Analyse
Comme le souligne M. Cliche dans sa réplique à la plainte, « la notion d’équilibre journalistique n’implique pas de mettre n’importe quelles thèses sur un même pied, sans égard à leurs mérites (ou absence de) ».
Dans une décision antérieure (D2015-05-138), qui visait la couverture journalistique d’un procès, le Conseil avait ainsi statué qu’en dépit de la présence moins importante des points de vue de la défense, aucun élément essentiel à la compréhension du public n’avait été omis dans l’article. Le Conseil avait donc jugé que le journaliste avait traité l’information de façon équilibrée et complète.
Similairement, dans le cas présent, le Conseil estime que le journaliste en cause présente de manière équilibrée les positions de M. Heurtel et du RVHQ dans le sens où il n’omet aucun élément essentiel à la compréhension pour les lecteurs.
Grief 3 : manque d’équité
Principe déontologique applicable
Équité – « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. » (article 17 Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué d’équité à l’endroit du RVHQ en critiquant la rigueur de sa lettre d’opinion.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équité, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 17 du Guide.
Analyse
La plaignante estime que la critique du journaliste à l’égard de la lettre d’opinion du RVHQ est « injurieuse », notamment lorsqu’il écrit que les « militants anti-pétrole » du RVHQ ont voulu « faire comme si « la science » était de leur bord » ou quand il conclut que le « découpage » qu’ils ont opéré est « franchement pas très honnête ».
Le Conseil a certes jugé, au premier grief, que le journaliste n’aurait pas dû donner son opinion en concluant son article, mais il ne constate pas qu’il a manqué d’équité envers les gens qui en font l’objet. Son point de vue, même s’il aurait dû le garder pour lui afin de rester impartial, ne traite pas injustement les personnes et les groupes visés par son article.
Commentaire éthique
Le Conseil de presse rappelle aux médias l’importance d’identifier la nature des textes qu’ils publient en indiquant clairement au public s’il s’agit de journalisme factuel ou de journalisme d’opinion. En l’occurrence, le quotidien Le Soleil aurait dû, si tel était le cas, indiquer qu’il s’agissait d’une chronique. À défaut, le journaliste en cause aurait dû s’abstenir d’émettre une opinion.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Carole Dupuis et du RVHQ et blâme Jean-François Cliche et le quotidien Le Soleil concernant le grief de partialité, car il juge que les mis en cause ont porté un jugement de valeur au lieu de s’en tenir aux faits. Le Conseil rejette en revanche les griefs de manque d’équilibre et de manque d’équité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Johanna Pellus
Représentant des entreprises de presse :
Éric Trottier