Plaignant
Mary Ellen Davis
Mis en cause
Éric Duhaime, animateur
FM 93
Résumé de la plainte
Mary Ellen Davis dépose une plainte le 3 mars 2018 contre l’animateur Éric Duhaime et le FM93 concernant un segment de l’émission « Duhaime-Ségal » diffusée le 2 mars 2018. La plaignante reproche une atteinte à la dignité.
CONTEXTE
Lors de l’émission en cause, Éric Duhaime et Myriam Ségal (qui n’est pas visée par la plainte) discutent du militant altermondialiste Jaggi Singh en partageant leur opinion à son sujet. L’activiste canadien avait été arrêté lors d’une manifestation à Québec en août 2017 puis accusé d’entrave et de supposition de personne. Fin février et début mars 2018, M. Singh faisait l’actualité, car il comparaissait devant la Cour municipale de Québec pour les procédures d’avant procès.
Analyse
Grief 1 : atteinte à la dignité
Principes déontologiques applicables
Protection de la vie privée et de la dignité : « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1), Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Journalisme d’opinion : « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2, Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste et/ou le média a/ont porté atteinte la dignité de Jaggi Singh en le qualifiant de « parasite ».
Décision
Le Conseil de presse rejette à la majorité (7/8 membres) le grief d’atteinte à la dignité de M. Singh, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 18 (1) du Guide.
Analyse
Bien que Mary Ellen Davis considère qu’Éric Duhaime « a calomnié l’activiste Jaggi Singh en utilisant le mot “parasite” », le Conseil juge que ce qualificatif ne porte pas atteinte à la dignité de Jaggi Singh. Trois éléments principaux justifient cette décision :
M. Singh est un personnage public qui peut s’attendre à se faire critiquer, même durement.
Le contexte social du sujet permettait à l’animateur d’utiliser le mot « parasite » au sens figuré de « dépendance à un système ».
L’animateur explicite pourquoi il estime que M. Singh est un « parasite » du système.
La réflexion du Conseil s’appuie sur une de ses décisions antérieures (dossier D2016-04-139) qui précise qu’on ne peut évaluer l’atteinte à la dignité sans tenir compte de la liberté d’expression du journaliste, du contexte et de l’identité de la personne visée. Il y est écrit que « la caractérisation d’une atteinte à la dignité [dans un contexte de déontologie journalistique] portera invariablement sur une évaluation de sa raisonnabilité dans le contexte d’une société libre et démocratique, et plus précisément sur l’évaluation des limitations qu’entraînerait la reconnaissance d’une faute déontologique sur le droit à la liberté d’expression ». Le contexte fera par ailleurs en sorte qu’on « jugera différemment les mêmes propos selon qu’ils visent une personne reconnue coupable de meurtre, un politicien ou un simple citoyen qui mène tranquillement sa vie à l’écart de la sphère publique ».
Dans le cas présent, M. Singh est une personnalité publique qui se met de l’avant dans les médias et qui peut donc s’attendre à des critiques.
Il convient ensuite d’évaluer le qualificatif de « parasite » dans le contexte du segment de l’émission. Le Conseil constate que l’emploi du terme « parasite », que l’animateur prononce une fois, intervient au cours d’une conversation avec Myriam Ségal où Éric Duhaime vante également les mérites de l’activiste :
« Je te dis que Jaggi Singh là, s’il prenait ses talents pis son temps pis son énergie à faire de quoi de positif dans la société, il pourrait être productif hein. »
Dans ce contexte, il serait difficile d’y voir le manque de respect de la dignité de M. Singh.
Le Conseil note finalement que le journaliste d’opinion doit expliciter le raisonnement qui justifie son opinion, comme le stipule l’article 10.2(2) du Guide. Dans l’extrait qui nous concerne, l’animateur explique pourquoi il qualifie Jaggi Singh de « parasite», au sens figuré qu’on lui accorde souvent, celui de la dépendance à un système :
« … mais c’est pas un gars dépourvu d’intelligence. Et s’il pouvait utiliser pis canaliser cette énergie et cette intelligence-là positivement pour la société québécoise, plutôt que de faire chier tout le monde, de vandaliser le bien public, pis d’aller devant les tribunaux congestionner le système, je te dis qu’il serait mauditement utile. Il pourrait être aussi utile qu’il est inutile pis qu’il est dommageable présentement en tant que parasite. »
La critique de M. Singh est certes dure, mais elle est argumentée, estime le Conseil qui réaffirme que le statut de journaliste d’opinion d’Éric Duhaime lui accorde une grande liberté d’expression dans le ton et le style. Ses propos étaient par ailleurs nuancés par les éloges qu’il a fait de M. Singh.
Un membre fait valoir sa dissidence, car il estime que le terme « parasite » est trop fort et qu’il déshumanise Jaggi Singh en le réduisant à un insecte.
Les membres majoritaires s’appuient sur la définition de « parasite » dans le dictionnaire Larousse : « Personne qui vit dans l’oisiveté, aux dépens d’autrui ou de la société. » Bien que ce terme soit cru, soulignent-ils, il est couramment utilisé dans son sens figuré pour qualifier des individus vivant aux dépens du système.
Par ailleurs, bien que la plaignante prétende qu’en employant le terme « parasite », Éric Duhaime « fait écho » à une campagne du groupe d’extrême droite Atalante ou à une de ses campagnes d’affichage « et ainsi la soutient », le Conseil constate que les deux animateurs n’y font à aucun moment référence.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette à la majorité (7/8 membres) la plainte de Mary Ellen Davis contre Éric Duhaime et le FM 93 pour le grief d’atteinte à la dignité.
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Ericka Alneus
Paul Chénard
Richard Nardozza
Michel Loyer
Représentants des journalistes :
Simon Chabot
Martin Francoeur
Représentantes des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Nicole Tardif