Plaignant
Marie-Hélène Legault
Pierre-Michel Morais-Godin
Andrée Paris
9 appuis
Mis en cause
Michel Beaudry, chroniqueur
Le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Marie-Hélène Legaut, Pierre-Michel Morais-Godin, Andrée Paris et 9 autres personnes déposent des plaintes les 6, 7 et 8 mars 2018 contre le chroniqueur Michel Beaudry et le quotidien Le Journal de Montréal pour une chronique intitulée « Grosse tête », publiée le 6 mars 2018. Les plaignants dénoncent des propos encourageant la haine et le mépris, une atteinte à la vie privée et une atteinte à la dignité.
CONTEXTE
Michel Beaudry écrit une chronique relatant son passage dans une quincaillerie, dix ans plus tôt, où il décrit vivre une situation qu’il classe « au top ten des fois où [il a] le plus ri dans [sa] vie », alors qu’une caissière demeure perplexe devant une cliente blonde et maquillée qui dit s’appeler Jacques.
Analyse
Grief 1 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a contrevenu à l’article 19 (1) du Guide.
Décision
Le Conseil de presse retient à la majorité (7/8 membres) le grief de discrimination, car il juge que le chroniqueur a contrevenu à l’article 19 (1) du Guide.
Analyse
Selon les plaignants Pierre-Michel Morais-Godin et Marie-Hélène Legault, le chroniqueur Michel Beaudry « fait preuve de discrimination » envers « la communauté LGBT + avec ses commentaires homophobes/transphobes contre une personne transgenre ou travestie ». Une autre plaignante, Andrée Paris, soutient que le chroniqueur « a attisé la haine et le mépris, a encouragé la violence ou a entretenu les préjugés envers des travestis, en plus d’encourager possiblement l’homophobie » dans les extraits suivants :
« Tôt un samedi matin, en ligne à la caisse des entrepreneurs au Réno-Dépôt. Devant moi, une femme, grande, corpulente, blonde, pas vraiment jolie et exagérément maquillée. »
« […] elle empoigne sa propre chevelure, lève sa perruque découvrant un gros crâne d’homme rasé […] »
La plaignante Marie-Hélène Legault déplore que le chroniqueur « tourne en ridicule une scène où une personne trans est humiliée publiquement ». Le Conseil est d’avis que le texte encourage l’humiliation subie par Jacques, la personne dont il est question dans l’article. Le chroniqueur exprime que cette scène figure « au top ten des fois où [il a] le plus ri dans [sa] vie » :
- Lorsque j’ai vu la tronche de ce gars sous la perruque, je n’ai pu m’empêcher d’éclater à en pisser dans mes culottes.
- Rajoutez le rire aussi soudain et encore plus fort de la caissière. Je n’étais plus capable de m’arrêter même si tout le monde nous regardait. Je ne faisais que croiser les yeux de la caissière et je repartais dans mon délire… j’en ai pleuré.
- Après avoir chargé le stock dans mon pick-up, en route pour la maison, je ne faisais que revoir cette séquence de la perruque et je m’esclaffais instantanément. Je devais me concentrer de toutes mes forces pour ne plus y penser et cela a duré des semaines.
Selon le Conseil, en décrivant la personne visée comme « une femme grande, corpulente, blonde, pas vraiment jolie et exagérément maquillée », Michel Beaudry véhicule un préjugé voulant qu’une personne ayant une identité ou une expression de genre différente soit ridicule.
Toutefois, bien qu’une plaignante stipule que M. Beaudry ait écrit « un billet discriminatoire, haineux et odieux à l’égard d’une personne que l’on présume trans, encourageant ainsi le mépris des personnes trans », le Conseil estime que le chroniqueur n’est pas allé jusqu’à attiser la haine ou le mépris envers les personnes ayant une identité ou une expression de genre différente.
Grief 2 : atteinte à la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a contrevenu au principe concernant la protection de la vie privée.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte à la vie privée.
Analyse
Bien qu’une des plaignantes dénonce une atteinte à la vie privée en écrivant que « si la personne s’appelle vraiment Jacques, M. Beaudry n’aurait jamais dû l’identifier dans sa chronique », le Conseil estime qu’aucun élément du texte ne permet d’identifier cette personne aux yeux du grand public. Ni le nom du quartier ni celui de la ville ne sont mentionnés dans cet article qui relate une situation qui s’est, par ailleurs, déroulée dix ans plus tôt.
Plusieurs décisions antérieures du Conseil précisent que pour conclure qu’un média a identifié une personne, elle doit être reconnaissable aux yeux du lecteur de l’article, le grand public. (voir à ce sujet les décisions des dossiers D2010-04-073, D2012-02-061 et D2016-06-175)
Estimant que Jacques ne peut pas être identifié par le public, le Conseil ne constate pas d’atteinte à sa vie privée.
Grief 3 : atteinte à la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a contrevenu au principe concernant la protection de la dignité.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte à la dignité.
Analyse
Une des plaignantes dans ce dossier, Mme Legault, estime que le chroniqueur « porte atteinte à la dignité » de la personne concernée dans son texte en « se moqu[ant] publiquement de l’humiliation d’une personne qui ne demandait rien d’autre que de faire ses achats tranquille dans une quincaillerie ».
Considérant que la personne visée par le texte n’est pas identifiable, le Conseil estime que la chronique de M. Beaudry n’a pas atteint à sa dignité.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient à la majorité (7/8 membres) les plaintes de Marie-Hélène Legault, Pierre-Michel Morais-Godin, Andrée Paris et 9 autres personnes et blâme Michel Beaudry et Le Journal de Montréal pour le grief de discrimination encourageant l’entretien de préjugés. Il rejette les griefs d’atteinte à la vie privée et d’atteinte à la dignité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus
Paul Chénard
Michel Loyer
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot
Martin Francoeur
Représentantes des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Nicole Tardif