Plaignant
Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins du Québec
Mis en cause
Élisa Cloutier, journaliste
Le quotidien Le Journal de Québec
Le site Internet www.journaldequebec.com
Résumé de la plainte
Le secrétaire général du Collège des médecins du Québec, Yves Robert, dépose une plainte le 12 mars 2018 contre la journaliste Élisa Cloutier, le quotidien Le Journal de Québec, et le site Internet www.journaldequebec.com concernant l’article intitulé « Un psychiatre radié pour des relations sexuelles avec une patiente », publié le 15 février 2018. Le plaignant reproche un manque de prudence en matière de couverture d’une affaire disciplinaire et un non-respect de la vie privée.
CONTEXTE
La journaliste Élisa Cloutier fait le compte-rendu d’une audience du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec au cours de laquelle un psychiatre, le Dr Jean-David Gaudreau, a plaidé coupable à une accusation d’inconduite sexuelle envers une patiente. Son article est publié le jour même sur le site Internet du Journal de Québec. L’audience en question était visée par une ordonnance de non-divulgation, non-publication et de non-diffusion du nom de la patiente et de toute information permettant de l’identifier pour un motif visant à assurer sa vie privée.
Analyse
Grief 1 : manque de prudence
Principe déontologique applicable
Information judiciaire : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de prudence et d’équité en matière de couverture des affaires judiciaires et policières, étant donné l’importance des conséquences qui peuvent résulter de cette couverture. » (article 20, Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Ce principe s’applique aussi à l’information en matière quasi judiciaire, comme dans le cadre de procédures disciplinaires devant des ordres professionnels. Le Conseil traitera donc le cas présent, qui concerne la couverture d’une décision du Conseil de discipline du Collège des médecins, en fonction de l’article 20 du Guide.
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et le média ont manqué de prudence en rapportant des éléments d’information qui auraient permis d’identifier la victime, une patiente du Dr Gaudreau.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de manque de prudence en matière de couverture d’affaires disciplinaires, car il juge que la journaliste a contrevenu à l’article 20 du Guide.
Analyse
Le Conseil n’évaluera pas si la journaliste a contrevenu à l’ordonnance de non-publication au sens de la loi, mais au regard de la déontologie journalistique. Comme le précisent ses décisions antérieures, dont D2002-03-053, « il ne lui appartient pas de statuer sur la question du respect ou du non-respect d’une interdiction de publication. C’est aux tribunaux qu’il revient de déterminer s’il y a eu ou non violation de l’interdit de publication des informations divulguées lors d’une enquête préliminaire ».
Le Guide établit que la prudence du journaliste est nécessaire en matière de couverture judiciaire compte tenu de « l’importance des conséquences qui peuvent résulter de cette couverture ». Dans le cas présent, une ordonnance de non-publication avait été délivrée par un juge dans le but de protéger l’identité d’une victime. Les ordonnances de non-publication représentent, en quelque sorte, la base élémentaire de la prudence journalistique, puisque les conséquences de la couverture médiatique au sujet d’une victime, ou d’un témoin, sont si importantes que sa protection est prévue par la loi.
Dans le cas présent, le Conseil estime que la journaliste a manqué de prudence en divulguant des informations permettant d’identifier la victime, telles que son âge actuel, l’année des faits reprochés au Dr Gaudreau, l’occupation de la victime cette année-là ainsi que la nature d’un emploi qu’elle avait occupé et la période à laquelle elle l’avait occupé.
Le Conseil observe par ailleurs que les mis en cause ont retiré certaines de ces informations dans la version actuelle de l’article en cause. Il regrette par ailleurs que cette modification ne soit pas mentionnée et qu’il ne soit pas précisé qu’une ordonnance de non-publication a été prononcée dans cette affaire.
Grief 2 : non-respect de la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18, Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont respecté le droit à la vie privée de la patiente victime du Dr Gaudreau.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de non-respect de la vie privée, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 18 du Guide.
Analyse
Le Conseil estime que les éléments d’information rapportés par les mis en cause – âge de la victime, occupation à l’époque des faits, nature et période d’un emploi qu’elle a occupé – ne sont pas d’intérêt public et qu’ils permettent aux membres de la communauté au sein de laquelle les faits se sont déroulés d’identifier la victime du Dr Gaudreau. Or, lorsqu’une ordonnance de non-publication est imposée, c’est dans le but de protéger l’identité d’une victime ou d’un témoin et que cette personne ne puisse être reconnaissable, même par ses proches.
Le Conseil considère par ailleurs que la vie privée de cette personne vulnérable devait être protégée en vertu de l’ordonnance de non-publication du Conseil de discipline du Collège des médecins et de la nature des faits en question.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte d’Yves Robert contre Élisa Cloutier, le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet www.journaldequebec.com pour les griefs de manque de prudence en matière de couverture d’affaire disciplinaire et de non-respect de la vie privée. Il blâme sévèrement les mis en cause, car il juge que le fait qu’une victime d’inconduite sexuelle ait pu être identifiée, alors qu’une ordonnance de non-publication avait été prononcée, est une faute grave. La personne en question a été identifiée par des proches qui ont lu l’article en cause, et elle devra vivre avec cela, tandis que d’autres victimes d’abus sexuel pourraient être dissuadées de porter plainte de peur d’être identifiées. Le Conseil considère que le respect des ordonnances de non-publication relève de la rigueur journalistique, la base élémentaire du métier. Il déplore par ailleurs que l’article en cause n’indique pas aux lecteurs que cette affaire faisait l’objet d’une telle ordonnance.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Ericka Alneus
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Richard Nardozza
Ericka Alneus
Représentants des journalistes :
Simon Chabot
Martin Francoeur
Représentantes des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Nicole Tardif