Plaignant
Mathieu Préfontaine
Mis en cause
Yves Poirier, journaliste
TVA Nouvelles
Résumé de la plainte
Mathieu Préfontaine dépose une plainte le 6 avril 2018 contre le journaliste Yves Poirier et TVA Nouvelles pour un article intitulé « Nouvelle arrivée massive de migrants au Québec », publié le 3 avril 2018 sur le site de TVA Nouvelles. Il dénonce une inexactitude.
CONTEXTE
Yves Poirier réalise un reportage au chemin Roxham à Saint-Bernard-de-Lacolle, où une nouvelle vague de migrants traverse la frontière canado-américaine pendant la fin de semaine de Pâques 2018.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué à son devoir d’exactitude.
Décision
Le Conseil de presse retient à la majorité (7/8 membres) le grief d’inexactitude, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le plaignant déplore que le journaliste ait présenté « l’arrivée de migrants comme de “l’immigration illégale”, alors que cette offense n’existe pas au Canada ». Il pointe la phrase suivante : « Au moins 500 migrants ont franchi illégalement la frontière près de Saint-Bernard-de-Lacolle durant la fin de semaine de Pâques, a appris TVA Nouvelles. »
Bien que le journaliste soutienne que « l’expression migrant illégal ou irrégulier est utilisée par tous les médias planétaires ainsi que les politiciens et autorités policières qui gèrent leur arrivée à leurs frontières respectives », le Conseil souligne que les termes « illégal » et « irrégulier » n’ont pas la même définition. Selon le droit canadien et international, il est illégal, par exemple, de présenter un faux passeport. Mais il n’est pas illégal de franchir une frontière pour demander l’asile. Ainsi, affirmer que les migrants ont franchi « illégalement » la frontière n’est pas fidèle à la réalité et induit le public en erreur.
Dans la décision D2017-08-099, le Conseil a jugé que l’utilisation du terme « immigrants illégaux » était inexacte. Cependant, il n’a pas blâmé les mis en cause, car il a pris en considération la confusion entourant l’utilisation de ce terme à l’époque, en août 2017. Depuis, plusieurs mises au point ont été faites publiquement :
- Le 25 août 2017, le bâtonnier du Québec, Me Paul-Matthieu Grondin, écrit dans une lettre destinée aux médias qu’il est important « d’éviter de faire référence au concept d’“immigrants illégaux” qui n’existe pas dans notre droit ».
- Le 14 août 2017, la représentante spéciale du Secrétaire général pour les migrations pour les Nations unies à New York, Louise Arbour, signe un texte dans Le Devoir, où on peut lire que le choix du terme « illégal contribue à la perception négative des migrants en situation d’irrégularité en confondant les circonstances qui entourent leur condition.
- Par exemple, on présume le plus souvent qu’un immigrant illégal est quelqu’un qui est entré au pays de façon illégale (par exemple avec un faux passeport, ou encore en utilisant les services d’un passeur pour éviter les postes de contrôle frontalier). En réalité, la plupart des personnes qui se trouvent en situation d’irrégularité quant à leur statut migratoire sont entrées au pays légalement, mais ont enfreint certaines conditions de leur visa (par exemple en ne quittant pas le pays avant la date d’expiration du visa, ou encore en enfreignant certaines de ses restrictions reliées au travail). »
- Le 7 mars 2017, une trentaine d’avocats signent un texte collectif publié dans Le Devoir. Ils écrivent : « La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés prévoit que les États contractants n’appliqueront aucune sanction pénale aux demandeurs d’asile qui entrent irrégulièrement sur leur territoire […] Par conséquent, il n’y a rien d’illégal à traverser irrégulièrement la frontière canado-américaine pour revendiquer l’asile […] Ces passages sont certes irréguliers, mais ils sont tout à fait légaux ».
Le Conseil estime que le média avait eu suffisamment de temps pour assimiler la distinction entre les termes « illégal » et « irrégulier » au moment la publication de l’article du journaliste, le 3 avril 2018.
Considérant le contexte sensible qui entoure le sujet de l’immigration au Québec, le Conseil estime que le choix des mots est important et qu’il a un impact dans le débat social. Même si certains acteurs de la sphère publique parlent à tort d’« immigration illégale », le Conseil considère que le devoir de vérité des journalistes implique d’employer les termes justes afin de fournir au public une information de qualité.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient à la majorité (7/8 membres) la plainte de Mathieu Préfontaine pour le grief d’inexactitude et blâme le journaliste Yves Poirier et TVA Nouvelles.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus
Paul Chénard
Michel Loyer
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot
Martin Francoeur
Représentantes des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Nicole Tardif