Plaignant
Tania Mohsen
Mis en cause
Denise Bombardier, chroniqueuse
Le site Internet www.journaldemontreal.com
Résumé de la plainte
Tania Mohsen dépose une plainte le 8 avril 2018 contre la chroniqueuse Denise Bombardier et le site Internet www.journaldemontreal.com concernant la chronique « Notre sombre avenir », publiée le 7 avril 2018. La plaignante déplore de l’information inexacte, un manque d’équité, une atteinte à la dignité et de la discrimination.
CONTEXTE
Denise Bombardier aborde dans sa chronique trois sujets ayant fait l’actualité la semaine précédente, dont l’annonce de la candidature d’Eve Torres à l’investiture de Québec solidaire dans la circonscription Mont-Royal-Outremont. En cas de victoire à l’investiture, Mme Torres serait devenue la première femme portant le hidjab à se présenter à une élection provinciale au Québec.
Analyse
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Principes déontologiques applicables au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion – « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2 du Guide)
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si la chroniqueuse a transmis de l’information inexacte en utilisant le mot « islamiste » dans le passage suivant : « En effet, le parti a choisi Eve Torres, une militante islamiste portant le hidjab, comme candidate dans Mont-Royal-Outremont en octobre prochain ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette à la majorité (4/6 membres) le grief d’information inexacte.
Analyse
Bien que Mme Torres ne s’identifie pas comme islamiste et que la plaignante considère que l’emploi du terme « islamiste » dans l’extrait ci-dessus pose problème, le Conseil constate qu’il existe plusieurs définitions de ce mot et que les opinions divergent quant à sa portée. Dans le dictionnaire Le Petit Robert, à l’entrée « islamisme », on trouve les deux définitions suivantes : « Religion musulmane » et « Mouvement politique et religieux prônant l’expansion et le respect de l’islam ».
Cette situation s’apparente au constat relevé par le Conseil dans la décision D2016-04-126, où il avait jugé que les inexactitudes alléguées faisaient l’objet d’interprétations divergentes de la Loi sur les armes à feu. Dans ce contexte, le Conseil avait déterminé qu’il ne lui revenait pas d’interpréter le libellé de la Loi et avait rejeté le grief.
En s’appuyant sur cette décision antérieure, le Conseil évalue qu’il ne lui revient pas de prendre position en faveur d’une définition ou d’une autre du terme « islamiste ».
Grief 2 : manque d’équité
Principe déontologique applicable
Équité – « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. » (article 17 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si l’association entre le titre de la chronique « Notre sombre avenir » et la photographie de Mme Torres portant le hidjab constitue un manque d’équité envers cette dernière.
Décision
Le Conseil juge que les mis en cause n’ont pas enfreint l’article 17 et rejette le grief de manque d’équité.
Analyse
Dans la mise en page de la chronique disponible sur le site Internet du Journal de Montréal, la photographie d’Eve Torres portant le hidjab apparaît juste en dessous du titre « Notre sombre avenir ».
Bien que la plaignante considère que « l’article a un titre à connotation négative, ce qui associe la négativité à la photographie d’illustration représentant madame Torres portant le voile », le Conseil souligne le fait que celle-ci est devenue une personnalité publique en se portant candidate à l’investiture d’un parti politique et que, dans ces circonstances, elle doit s’attendre à faire l’objet de critiques.
Par ailleurs, le Conseil souligne que le journaliste d’opinion dispose d’une grande latitude dans le choix des mots et le ton qu’il adopte et que Mme Bombardier n’a pas outrepassé les limites déontologiques prévues à l’article 10.2 du Guide sur le journalisme d’opinion, mentionné ci-haut.
Dans ce contexte, le Conseil considère que la photo illustre l’un des sujets évoqués dans la chronique et que le titre ne vise pas personnellement Mme Torres, mais résume la position défendue par la chroniqueuse par rapport aux thèmes développés dans l’article.
Grief 3 : atteinte à la dignité
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité – « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le fait d’avoir publié la photo d’Eve Torres sous le titre « Notre sombre avenir » porte atteinte à la dignité de Mme Torres.
Décision
La majorité des membres (4/6) juge que les mis en cause n’ont pas enfreint l’article 18 (1). Le Conseil rejette donc le grief d’atteinte à la dignité.
Analyse
La plaignante déplore que la chronique porte atteinte à la « dignité personnelle d’Eve Torres, « en tant que citoyenne et politicienne ». Elle pointe plus précisément l’association entre le titre « à connotation négative » de l’article et la photo montrant Mme Torres portant un hidjab.
La réflexion du Conseil s’appuie sur l’une de ses décisions antérieures (dossier D2016-04-139) qui précise qu’on ne peut évaluer l’atteinte à la dignité sans tenir compte de la liberté d’expression du journaliste, du contexte et de l’identité de la personne visée. Il y est écrit que « la caractérisation d’une atteinte à la dignité [dans un contexte de déontologie journalistique] portera invariablement sur une évaluation de sa raisonnabilité dans le contexte d’une société libre et démocratique, et plus précisément sur l’évaluation des limitations qu’entraînerait la reconnaissance d’une faute déontologique sur le droit à la liberté d’expression ». Le contexte fera par ailleurs en sorte qu’on « jugera différemment les mêmes propos selon qu’ils visent une personne reconnue coupable de meurtre, un politicien ou un simple citoyen qui mène tranquillement sa vie à l’écart de la sphère publique ».
Dans le cas présent, les membres majoritaires réitèrent que Mme Torres est une personnalité publique étant donné qu’elle brigue l’investiture d’un parti politique en prévision des élections provinciales.
De plus, le titre « Notre sombre avenir » ne réfère pas nécessairement à Mme Torres, mais à l’ensemble de la chronique qui porte également sur l’arrivée de demandeurs d’asile à la frontière canado-américaine et l’intérêt du premier ministre Justin Trudeau pour un débat portant sur « la commercialisation du ventre des femmes ».
Même si l’un des membres fait valoir que la légende ne précise pas que Mme Torres est candidate à l’investiture d’un parti politique et que le lecteur ne savait pas nécessairement qu’il s’agissait d’une personnalité publique, les membres majoritaires estiment que cette information est clairement présentée dans la chronique.
Grief non recevable : discrimination
Le Conseil juge irrecevable le grief de discrimination en regard des articles 13.01 et 13.02 du Règlement 2 qui prévoient :
13.01 « Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis. »
13.02 « Une plainte ne doit pas constituer simplement un commentaire ou une critique générale. »
Analyse
Le Conseil n’est pas en mesure d’étudier ce grief étant donné que la plaignante affirme que la chroniqueuse réduit Eve Torres « à un stéréotype » sans apporter plus de précision quant au « stéréotype » ni au motif discriminatoire en cause.
Grief non traité : partialité
Journalisme d’opinion – « L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2 (3) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
La plaignante considère que la chronique mise en cause est « biaisée ». Le Conseil ne traite pas ce grief puisque les journalistes d’opinion ne sont pas soumis à cette obligation déontologique comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Grief non traité : atteinte à la réputation
La plaignante estime que la chronique visée par la plainte porte atteinte à la réputation d’Eve Torres. Le Conseil ne traite pas ce grief parce qu’il ne relève pas de la déontologie journalistique, mais plutôt de la sphère judiciaire.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Tania Mohsen contre la chroniqueuse Denise Bombardier et Le Journal de Montréal concernant les griefs d’information inexacte, de manque d’équité et d’atteinte à la dignité. Par ailleurs, le grief de discrimination est irrecevable.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentants des journalistes :
Noémi Mercier
Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Éric Trottier