Plaignant
Benoit Tellier
Mis en cause
Lise Ravary, chroniqueuse
Le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
CONTEXTE
Dans sa chronique, Lise Ravary revient sur l’attentat du 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec. Elle émet l’hypothèse qu’il ne s’agissait peut-être pas d’un acte islamophobe, mais de « l’oeuvre d’un homme très malade ». Elle soutient que cette fusillade ne reflète pas le climat de la société « tolérante et ouverte » dans laquelle elle s’est produite. Mme Ravary écrit souhaiter « que cessent enfin les pressions pour faire du 29 janvier une journée contre l’islamophobie ».
RÉSUMÉ DE LA PLAINTE
Benoit Tellier dépose une plainte le 12 avril 2018 contre la chroniqueuse Lise Ravary et le quotidien Le Journal de Montréal concernant la chronique « Croire un tueur », publiée le 29 mars 2018. Le plaignant dénonce la publication d’information inexacte et un manque de rigueur de raisonnement.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 alinéa a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si la chroniqueuse a transmis de l’information inexacte en avançant que l’attaque d’Alexandre Bissonnette dans la mosquée de Québec « demeure à ce jour la seule du genre en Occident ».
Décision
Le Conseil de presse retient, à la majorité (6/7 membres), le grief d’information inexacte.
Analyse
M. Tellier considère que l’extrait suivant est inexact : « Cette attaque d’un non-musulman contre des musulmans dans une mosquée demeure à ce jour la seule du genre en Occident. » Le plaignant conteste cette affirmation, soulignant qu’il y a eu de « nombreuses attaques du genre en Occident ciblant des mosquées » et il en énumère quelques-unes.
Après vérifications, le Conseil constate qu’il est inexact d’affirmer qu’il s’agit de la seule attaque « du genre » contre des musulmans en Occident. Plusieurs autres attentats contre des musulmans ont eu lieu ces dernières années, dont ceux-ci :
En 2017, une attaque meurtrière contre des musulmans à la mosquée de Finsbury Park, à Londres, cause la mort d’une personne et en blesse 12 autres, certaines gravement. Le tribunal a jugé que l’auteur de l’attaque, Darren Osborne, un britannique, avait commis un « acte terroriste » avec « l’intention de tuer » des musulmans en fonçant avec une fourgonnette dans une foule de musulmans rassemblés devant la mosquée.
En 2016, un Suisse de 24 ans tire sur des musulmans à l’intérieur d’un centre islamique de Zurich, en Suisse, avant de se suicider. La fusillade blesse trois fidèles.
En 2016, en Allemagne, un militant de l’organisation islamophobe Pegida commet un attentat à la bombe contre une mosquée de Dresde.
En 2013, en Angleterre, un étudiant ukrainien de 25 ans d’extrême droite place trois bombes près de trois mosquées, dont une a explosé. À Birmingham, il poignarde à mort un musulman de 82 ans qui rentrait de la mosquée. Reconnu coupable de terrorisme contre les musulmans, il est emprisonné à vie.
À la lumière de ces événements, les six membres majoritaires jugent l’affirmation de la chroniqueuse inexacte. Le Conseil estime cependant que cette inexactitude ne nuit pas de façon majeure à la compréhension du sujet de la chronique.
Un membre, quant à lui, ne constate pas d’inexactitude, car il considère que l’expression « de ce genre » pouvait être interprétée comme une attaque aussi meurtrière et perpétrée de la même façon.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement. » (article 9 alinéa b) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la chroniqueuse a fait preuve d’un manque de rigueur de raisonnement en avançant que cette attaque « ne reflète d’aucune manière le climat de la société tolérante et ouverte où cela s’est passé ».
Décision
Le Conseil de presse retient, à la majorité (6/7 membres), le grief de manque de rigueur de raisonnement.
Analyse
Le plaignant considère que l’erreur factuelle constatée ci-haut « a pour effet de donner une vision déformée du rapport entre musulmans et non-musulmans en Occident ». De l’avis du plaignant, il aurait été impossible à Mme Ravary « de défendre de la même façon son point de vue en présentant des faits exacts ».
Le passage que dénonce le plaignant est le suivant : « Cette attaque d’un non-musulman contre des musulmans dans une mosquée demeure à ce jour la seule du genre en Occident. Elle ne reflète d’aucune manière le climat de la société tolérante et ouverte où cela s’est passé. »
Le Conseil constate que l’affirmation erronée de la chroniqueuse selon laquelle cette attaque est la seule du genre en Occident est amalgamée à l’affirmation voulant que notre société soit « tolérante et ouverte », sans démonstration d’un lien quelconque entre les deux.
Le Conseil estime cependant que ce manque de rigueur de raisonnement ne nuit pas de façon significative à la compréhension du sujet de la chronique.
Un membre exprime cependant son désaccord et ne voit pas de manque de rigueur de raisonnement.
Note
Les mis en cause n’ont pas soumis de réplique à la présente plainte. Le Conseil regrette le manque de collaboration du Journal de Montréal.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient, à la majorité (6/7 membres), la plainte de Benoit Tellier contre la chroniqueuse Lise Ravary et le quotidien Le Journal de Montréal pour les griefs d’information inexacte et de manque de rigueur de raisonnement, mais considère que le manquement est d’une importance mineure et ne mérite aucun blâme, jugeant que cela n’affecte pas significativement la compréhension du point de vue que la chroniqueuse veut faire valoir.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que « lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentants des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Johanna Pellus
Représentant des entreprises de presse :
Jed Kahane