Plaignant
Gérard Schafroth
Mis en cause
Denis Gravel, animateur
Émission « Gravel dans le retour »
CHOI 98,1 Radio X
Résumé de la plainte
Gérard Schafroth dépose une plainte le 26 avril 2018 contre l’animateur Denis Gravel et la station de radio de Québec CHOI 98,1 Radio X concernant des propos tenus dans l’émission « Gravel dans le retour ». Le plaignant dénonce des propos heurtant la sensibilité du public, le non-respect de la présomption d’innocence, un manque d’indépendance du média, des propos méprisants et incitant à la violence et un manque de retenue et de respect à l’égard de personnes vivant un drame humain.
CONTEXTE
Le 19 avril 2018, deux sujets occupent l’actualité judiciaire à Québec :
Les observations sur la peine d’Alexandre Bissonnette, l’auteur de la tuerie à la mosquée de Québec, se poursuivent au palais de justice de Québec.
Audrey Gagnon, alors soupçonnée du meurtre de sa fille de deux ans, comparaît au palais de justice de Québec.
Dans le segment mis en cause, l’animateur Denis Gravel partage des informations et ses propres opinions concernant les cas d’Alexandre Bissonnette et d’Audrey Gagnon.
Analyse
Principe applicable au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion : « Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. » (article 10.2 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : propos heurtant la sensibilité du public
Principe déontologique applicable
Sensibilité du public : « Les journalistes et les médias d’information évitent de diffuser inutilement des images ou propos pouvant heurter la sensibilité du public. » (article 18.2 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si l’animateur a tenu des propos heurtant inutilement la sensibilité du public.
Décision
Le Conseil de presse rejette à la majorité (5/8 membres) le grief de propos heurtant la sensibilité du public.
Analyse
Le plaignant, Gérard Schafroth, estime que l’animateur de radio « prononce une condamnation sans appel » envers Alexandre Bissonnette et Audrey Gagnon et qu’il « se porte volontaire pour l’exécuter », heurtant ainsi la sensibilité du public. Il pointe les propos suivants prononcés par Denis Gravel en exemple :
« Il y en a deux que je serais capable de regarder griller sur une chaise, depuis une semaine. Alexandre Bissonnette pis elle. Je suis capable de les regarder les deux dans les yeux pis de dire, regarde, “Bye bye”. J’ai la switch dans les mains, je mets ça à on et qu’on en finisse. »
L’article du Guide sur la sensibilité du public met l’accent sur le fait qu’il faut éviter de heurter la sensibilité « inutilement ».
Le Conseil conçoit que le langage cru de l’animateur pour exprimer son opinion concernant la peine de mort et les deux personnes visées ait pu heurter des auditeurs, comme il en a été le cas pour le plaignant. Il constate cependant que le sujet d’actualité concernant une personne soupçonnée de meurtre et une autre accusée de plusieurs meurtres pouvait faire l’objet de débat public.
La majorité des membres (5/8) estime que, dans le cadre de ce débat public au sujet des procès de ces deux personnes, les propos crus de l’animateur ne heurtent pas de façon inutile la sensibilité du public.
Les trois membres en désaccord considèrent que l’insistance de l’animateur à propos de la peine de mort qu’il infligerait à ces deux personnes, en plus de l’utilisation répétée de termes aussi visuels que « la switch dans les mains » et « regarder griller sur une chaise », heurte inutilement la sensibilité du public. Selon eux, M. Gravel aurait pu défendre la même position concernant la peine de mort sans aller aussi loin dans ses propos, afin d’éviter de heurter inutilement la sensibilité du public.
Pour les membres majoritaires, il faut rappeler l’importance de la liberté d’expression du journaliste d’opinion dans ce cas, même si l’on peut trouver ses propos vexatoires, tel que le Conseil l’avait fait dans le dossier D2013-07-007, en rejetant un grief de propos heurtant la sensibilité du public.
De façon similaire, dans le cas présent, le Conseil considère que l’animateur dispose d’une grande latitude dans le choix du style et du ton qu’il adopte.
Grief 2 : non-respect de la présomption d’innocence
Principe déontologique applicable
Droit à un procès juste et équitable et présomption d’innocence : « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit de toute personne à la présomption d’innocence et à un procès juste et équitable. » (article 20.1 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si l’animateur a respecté le droit d’Alexandre Bissonnette et d’Audrey Gagnon à un procès juste et équitable et à la présomption d’innocence.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de non-respect du droit à un procès juste et équitable et à la présomption d’innocence dans le cas d’Audrey Gagnon et rejette ce même grief dans le cas d’Alexandre Bissonnette.
Analyse
Le plaignant dénonce « une condamnation sans appel » et soutient que Denis Gravel « se substitue aux institutions, le processus judiciaire en cours dans le cas d’Alexandre Bissonnette et à l’enquête en cours dans le cas d’Audrey Gagnon, alors même que cette dernière n’est pas encore accusée de meurtre ».
Au moment de l’émission, aucune accusation n’avait encore été portée contre Audrey Gagnon, qui devait comparaître au palais de justice de Québec.
Le Conseil juge que l’animateur n’a pas respecté le droit à la présomption d’innocence de Mme Gagnon en tenant les propos suivants :
« Là on voit de plus en plus d’images de cette pauvre sotte qui d’une façon ou d’une autre aura causé la mort de son enfant, on verra pour les circonstances […]
[…] Moi la switch pour Alexandre Bissonnette pis pour Audrey Gagnon, avant même de connaître les circonstances, ce qui fait de moi encore plus un sans coeur j’imagine, mais je suis capable de le faire en les regardant dans les yeux, les deux […]
[…] si une mère s’est ramassée à mettre son enfant mort dans une poubelle, ben c’est peut-être de la faute à la mère […] »
Dans le cas d’Alexandre Bissonnette, le Conseil considère que la présomption d’innocence ne s’appliquait pas puisqu’il avait déjà plaidé coupable aux chefs d’accusation portés contre lui et que l’animateur n’a pas nui au droit fondamental de l’auteur de la tuerie à la mosquée de Québec à un procès juste et équitable.
Grief 3 : manque d’indépendance du média
Principe déontologique applicable
Influence des préoccupations politiques, idéologiques et commerciales : « Les médias d’information ne laissent, en aucun cas, leurs intérêts commerciaux, politiques, idéologiques ou autres primer sur l’intérêt légitime du public à une information de qualité, ni ne restreignent l’indépendance professionnelle des journalistes. » (article 6.2 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir d’indépendance.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’indépendance du média.
Analyse
Le plaignant affirme que les propos de l’animateur représentent « une prise de position idéologique et politique dont le média devrait se dissocier à moins qu’il profite de l’audience importante que suscitent de tels propos qui favorisent d’autant ses retombées sur le plan des revenus publicitaires ».
Le Conseil considère qu’il s’agit de l’opinion personnelle du plaignant qui n’apporte pas d’élément de preuve pour appuyer ses propos.
Grief 4 : propos méprisants et incitant à la violence
Principe déontologique applicable
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si l’animateur a contrevenu à l’article 19 (1).
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de propos méprisants et incitant à la violence.
Analyse
Le plaignant soutient que « la lourdeur des propos, les termes utilisés, leur vulgarité, leur violence, leur fréquence, les institutions visées […] dépassent l’entendement de ce qui est permis dans une radio publique. Il y a clairement une incitation à la violence ».
Le Conseil ne constate pas de motif discriminatoire visant un groupe en particulier qui encourage à la violence. Ainsi, le Conseil considère que Denis Gravel n’a pas outrepassé les limites permises par la déontologie journalistique, car, en tant qu’animateur, il dispose d’une grande latitude pour exprimer son opinion.
Grief non recevable : manque de retenue et de respect à l’égard de personnes vivant un drame humain
Le plaignant considère que « les proches des personnes mises en cause vivent un drame humain ». Il ne cible toutefois pas d’extrait où l’animateur aurait manqué de retenue et de respect à leur égard. Le Conseil juge irrecevable le grief de manque de retenue et de respect à l’égard de personnes vivant un drame humain en regard de l’article 13.01 du Règlement 2 qui prévoit :
13.01 « Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis. »
Analyse
Le Conseil n’est pas en mesure d’étudier ce grief, car le plaignant ne cible pas de segment précis de l’émission où l’animateur aurait manqué de retenue et de respect à l’égard des parents d’Alexandre Bissonnette et d’Audrey Gagnon.
Griefs non traités : partialité et équilibre
Le plaignant considère que l’animateur fait preuve de partialité et manque d’équilibre dans son traitement de l’information. Le Conseil ne traite pas ces griefs puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de ces obligations déontologiques, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Note
Les mis en cause n’ont soumis aucune réplique à la présente plainte. Le Conseil regrette le manque de collaboration de CHOI 98,1 Radio X .
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Gérard Schafroth contre Denis Gravel et CHOI 98,1 Radio X et blâme les mis en cause pour non-respect de la présomption d’innocence d’Audrey Gagnon. Le Conseil rejette le grief de non-respect de la présomption d’innocence dans le cas d’Alexandre Bissonnette, ainsi que les griefs de manque d’indépendance du média et de propos méprisants incitant à la violence. Le grief de propos heurtant la sensibilité du public est rejeté à la majorité (5/8 membres).
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Noémi Mercier
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Éric Trottier