Plaignant
Stéphanie Wall
Mis en cause
Mathieu Morasse, journaliste
Emy-Jane Déry, journaliste
Le quotidien Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
Stéphanie Wall dépose une plainte le 7 mai 2018 contre les journalistes Emy-Jane Déry et Mathieu Morasse et Le Journal de Québec concernant l’article « Meurtres à Sept-Îles : elles auraient été tuées à coups de marteau ». La plaignante dénonce un titre heurtant la sensibilité du public, de l’entretien de préjugés et du sensationnalisme.
CONTEXTE
L’article rapporte les circonstances d’un double meurtre ayant eu lieu à Sept-Îles.
Analyse
Grief 1 : titre heurtant la sensibilité du public
Principe déontologique applicable
Sensibilité du public : « Les journalistes et les médias d’information évitent de diffuser inutilement des images ou propos pouvant heurter la sensibilité du public. » (article 18.2 (1) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le média a diffusé des propos pouvant heurter inutilement la sensibilité du public.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre heurtant la sensibilité du public, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 18.2 (1) du Guide.
Analyse
Stéphanie Wall dénonce un manque de « sobriété », « de retenue », « de décence », « voire d’humanisme » dans le titre « Meurtres à Sept-Îles : elles auraient été tuées à coups de marteau ». Elle déplore le fait « d’écrire en toutes lettres une telle horreur ».
Le Conseil considère que le titre ne heurte pas inutilement la sensibilité du public, car le fait d’indiquer la manière dont le crime aurait été commis apporte une information qui n’est pas superflue. Même si l’image est violente, elle n’est pas inutile à la compréhension du sujet. Le Conseil estime que la liberté de presse serait compromise si les médias devaient s’interdire de diffuser certains propos qui font partie intégrante de l’information même si, parfois, ils peuvent heurter la sensibilité du public. La déontologie journalistique n’avance pas que le public ne peut pas être heurté, mais plutôt qu’il ne faut pas le heurter inutilement.
Grief 2 : entretien de préjugés
Principes déontologiques applicables
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information ne font mention de caractéristiques comme la race, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou d’autres caractéristiques personnelles que lorsqu’elles sont pertinentes. » (articles 19 (1) et (2) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les journalistes ont contrevenu à l’article 19 (1).
Décision
Le Conseil de presse retient à la majorité (6/8 membres) le grief d’entretien de préjugés envers les Autochtones et envers les personnes habitant des logements à prix modiques.
Analyse
La plaignante dénonce « les sous-entendus racistes » envers les Autochtones et « les préjugés véhiculés » envers les personnes habitant des logements à prix modiques dans la phrase suivante : « L’immeuble de 15 logements où s’est produit le drame abrite des Autochtones hors réserve dans des appartements à prix modiques. »
Mme Wall estime que cette « affirmation est gratuite et ne sert en rien au devoir d’informer le public. L’horreur n’a ni couleur ni statut social ».
Le Conseil considère qu’il n’était pas pertinent de mentionner l’origine ethnique des habitants du logement où s’est produit le drame ni qu’il s’agissait d’appartements à prix modiques. Cela était d’autant moins pertinent dans ce contexte, où ces informations sont susceptibles de contribuer à entretenir des préjugés voulant que les Autochtones soient plus enclins à commettre des crimes et à vivre dans des logements à loyer modique.
Les deux membres en désaccord estiment qu’en mentionnant l’origine ethnique des habitants du bâtiment et le prix modique des logements, les journalistes décrivent des faits qui ne sont pas contestés et ne font donc pas preuve de discrimination.
Les membres majoritaires s’appuient sur la décision antérieure du Conseil D2013-07-001. De la même façon dans le cas présent, le Conseil estime que de mentionner l’origine ethnique et le « prix modique » des appartements n’était pas pertinent pour une meilleure compréhension du sujet.
Grief 3 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les journalistes ont contrevenu à l’article 14.1 du Guide.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
La plaignante estime que la phrase suivante est « d’un sensationnalisme crasse et sans rapport avec les événements » :
« La gardienne souligne avoir vu, récemment, que l’un des jeunes enfants de la femme jouait dans la neige vêtu uniquement d’un pantalon de pyjama. »
N’ayant pas de preuve que cette information déforme la réalité, le Conseil considère que les journalistes n’ont pas commis de faute déontologique en rapportant les propos d’une femme qui gardait des enfants dans l’immeuble où s’est déroulé le drame.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient à la majorité (6/8 membres) le grief d’entretien de préjugés envers les autochtones et les personnes habitant dans des logements à prix modiques et blâme Emy-Jane Déry, Mathieu Morasse et Le Journal de Québec, et rejette les griefs de titre heurtant la sensibilité du public et de sensationnalisme.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentantes des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Noémi Mercier
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Éric Trottier
Date de l’appel
29 January 2020
Appelant
Mathieu Morasse, journaliste
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
L’article en question rapporte les circonstances d’un double meurtre ayant eu lieu à Sept-Îles. L’intimée avait déposé une plainte le 7 mai 2018 contre les journalistes Emy-Jane Déry et Mathieu Morasse et Le Journal de Québec. Elle déplorait un titre heurtant la sensibilité du public, de l’entretien de préjugés et du sensationnalisme. Le grief d’entretien de préjugés a été retenu. Seul Mathieu Morasse fait appel de la décision.
MOTIFS DE L’APPELANT
L’appelant dénonce un vice procédural et conteste la décision de première instance relativement au grief d’entretien de préjugés.
Allégation de vice procédural : non-respect de l’équité procédurale
Règlement applicable
Respect de l’équité procédurale : Le Conseil de presse du Québec reconnaît à toute personne le droit au respect des règles de l’équité procédurale lors de l’étude d’une plainte la concernant. (article 2.01 du Règlement 2)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent qu’il y a eu vice procédural lors du traitement de la plainte.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment qu’il n’y a pas eu de vice procédural.
Analyse
L’appelant déplore ne pas avoir reçu la plainte qui le visait [datant de mai 2018] et en avoir été informé que vers le mois de février ou mars 2019 par le Journal de Montréal, qui lui a précisé « qu’il s’occupait du dossier et que je n’avais rien à faire ».
La commission d’appel constate que la plainte a été envoyée au rédacteur en chef du Journal de Québec, Sébastien Ménard, et aux deux journalistes, le 25 février 2019. Le secrétariat a également expédié les documents par la poste au Journal de Québec, à l’attention du journaliste appelant, et ce, le même jour.
La commission juge que le Conseil a respecté ses procédures en prenant tous les moyens raisonnables pour informer les parties impliquées de la plainte qui les concernait. Le Conseil a reçu une lettre de Québecor Média le 15 mars 2019 l’informant qu’elle répondait « au nom du Journal de Québec et Emy-Jane Déry et Mathieu Morasse », les deux journalistes impliqués dans le dossier, et qu’elle n’allait pas soumettre de défense. Au bas de la lettre, il est indiqué que Emy-Jane Déry et Mathieu Morasse sont en copie de cette lettre. Le Conseil était donc en droit de procéder à l’analyse du dossier et de rendre une décision sans la perspective des mis en cause.
Grief 1 : entretien de préjugés
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. (2) Les journalistes et les médias d’information ne font mention de caractéristiques comme la race, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou d’autres caractéristiques personnelles que lorsqu’elles sont pertinentes. » (article 19 (1) et (2) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance a mal appliqué le principe déontologique d’entretien de préjugés.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 19 du Guide n’a pas été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel infirme la décision de première instance.
Analyse
L’appelant soutient que la phrase : « L’immeuble de 15 logements où s’est produit le drame abrite des Autochtones hors réserve dans des appartements à prix modiques » a pour but de mettre en contexte les événements « comme cela doit se faire systématiquement ». Il ajoute : « Une phrase semblable aurait pu être utilisée pour décrire un quartier résidentiel paisible, une résidence pour personnes âgées, des résidences étudiantes, un immeuble à condos, un quartier cossu, etc. »
L’intimée reconnaît qu’une mise en contexte s’impose, mais elle « remet toutefois vivement en question le choix d’inclure dans l’article cette phrase, prise dans le contexte plus large des tensions raciales (et sociales) qui existent bel et bien ».
En première instance, le comité des plaintes a considéré qu’il n’était « pas pertinent de mentionner l’origine ethnique des habitants du logement où le drame s’est produit ni qu’il s’agissait d’appartements à prix modiques. Cela était d’autant moins pertinent dans ce contexte, où ces informations sont susceptibles de contribuer à entretenir des préjugés voulant que les Autochtones soient plus enclins à commettre des crimes et à vivre dans des logements à loyer modique. »
Après étude, la commission d’appel juge que le concept de « pertinence » a été appliqué de manière trop restrictive. En effet, il peut être pertinent pour le public de connaître le lieu d’un drame, en l’occurrence un immeuble de logements à prix modiques qui abrite des Autochtones hors réserve.
Dans un article journalistique, l’endroit où se produit l’événement fait partie des informations de base que doit transmettre son auteur. Le lieu apporte un élément important dans la compréhension des événements, complétant le portrait de ce qui est survenu dans le cadre d’un fait divers, sans que cela entretienne de préjugés envers les gens qui habitent ce lieu-là. La phrase mise en cause dans le cas présent décrit le lieu où se sont produits les événements et ne vise pas directement des personnes.
Ne pas faire mention du lieu d’un drame de peur de stigmatiser la population qui y habite peut priver le public d’informations pertinentes à sa compréhension d’enjeux de société, dans ce cas-ci la problématique de l’hébergement des Autochtones hors réserve. Il peut aussi priver les autorités susceptibles d’agir d’informations pertinentes à leur prise de décision. Il fallait donc évaluer la pertinence sous l’angle de l’intérêt public. Pour toutes ces raisons, la commission d’appel juge que l’article 19 (1) et (2) du Guide au sujet de la discrimination a été a été appliqué de façon trop restrictive relativement à la pertinence.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité d’infirmer la décision rendue en première instance sur le grief de discrimination entretenant les préjugés.
Par conséquent, le blâme qui visait Mathieu Morasse et Emy-Jane Déry, coauteurs de l’article en cause, et Le Journal de Québec où il avait été publié, est retiré.
Conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales.
Jacques Gauthier
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Jacques Gauthier
Représentante des journalistes :
Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette