Plaignant
Audrey Chédor
Mis en cause
Louise Leduc, journaliste
David Santerre, chef de division, information générale
Éric Trottier, vice-président à l’information et éditeur adjoint
La Presse+
Résumé de la plainte
Audrey Chédor dépose une plainte le 25 mai 2018 contre la journaliste Louise Leduc, le chef de division, information générale, David Santerre, le vice-président à l’information et éditeur adjoint, Éric Trottier, et La Presse+ concernant le reportage « Sexe indéterminé ». La plaignante déplore le bris d’une entente de communication avec une source, des informations inexactes, des informations incomplètes, une atteinte à sa vie privée, du sensationnalisme, de la partialité, un manque d’équilibre, un manque d’équité, un manque d’identification des sources, un manque de rigueur de raisonnement, un manque de courtoisie et une absence de rectificatif.
CONTEXTE
Audrey Chédor milite pour que le sexe d’un enfant puisse être classé comme « indéterminé » lorsqu’il naît avec une ambiguïté congénitale et qu’on interdise les chirurgies féminisantes ou masculinisantes chez ces enfants tant qu’il n’y a pas consentement du mineur. Elle a préparé ce qu’elle appelle un « projet de loi » et a contacté La Presse afin que le média parle de son initiative.
Dans le reportage mis en cause, la journaliste Louise Leduc traite de la réalité des enfants intersexués en présentant le témoignage d’Audrey Chédor qui parle de sa propre expérience. La journaliste cite également le pédiatre Shuvo Ghosh et le pédiatre-endocrinologue Guy Van Vliet, qui fournissent des statistiques sur le sujet, abordent les enjeux médicaux et présentent la réalité à laquelle les parents et les médecins sont confrontés quand un enfant naît avec une ambiguïté congénitale. Louise Leduc fait aussi référence au témoignage de la mère d’un enfant intersexué qui se prononce dans le documentaire Ni fille ni garçon, diffusé sur les ondes de Télé-Québec.
Analyse
REMARQUE PRÉLIMINAIRE SUR L’ANGLE DE TRAITEMENT CHOISI
Le Conseil constate et comprend la déception de la plaignante qui aurait souhaité que l’article traite de sa démarche visant à faire adopter un changement législatif. Il rappelle toutefois que les médias d’information et les journalistes jouissent d’une liberté éditoriale. Tel que stipulé au Préambule c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, il est impératif que « les choix relatifs au contenu […] de l’information relèvent de la prérogative des médias d’information et des journalistes ». Les décisions antérieures du Conseil montrent que la déontologie journalistique n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’un sujet, mais plutôt de s’assurer qu’ils présentent les éléments essentiels à la compréhension de l’angle qu’ils choisissent de traiter.
Dans le cas présent, bien qu’il semble y avoir eu une divergence entre les parties concernant une entente sur le sujet de l’entrevue ainsi que sur l’angle choisi pour le traiter, le Conseil estime que Louise Leduc et La Presse ont exercé leur liberté éditoriale dans le respect des principes déontologiques du Guide.
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : bris d’une entente de communication avec une source
Principe déontologique applicable
Ententes de communication avec une source : « (1) Les journalistes tentent par tous les moyens à leur disposition de respecter les ententes de communication avec une source (confidentialité, off the record, non-attribution, embargo, etc.) pour lesquelles ils ont donné leur accord explicite, sauf si la source les a volontairement trompés. » (article 13 du Guide)
Le Conseil doit d’abord déterminer si la journaliste avait une entente de communication avec sa source, Audrey Chédor. Le cas échéant, il doit déterminer si la journaliste a respecté cette entente.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de bris d’une entente de communication avec une source.
Analyse
Bien que la plaignante spécifie avoir « explicitement déclaré » au téléphone et en entrevue qu’elle n’était « pas disponible pour un portrait de [s]a personne », mais pour présenter son « initiative pour un projet de loi », elle n’indique pas que cette entente a été confirmée par la journaliste, Louise Leduc.
Mme Leduc affirme qu’elle n’a pas laissé croire à Mme Chédor que son reportage serait axé sur le « projet de loi ». Au téléphone, elle dit avoir indiqué à Mme Chédor « que le débat sur la protection des enfants à l’identité ou au physique ambigu était intéressant, mais jamais il n’a été question que son projet de loi soit le sujet de l’article […] En personne, en entrevue à La Presse, il n’a pas été question de ses démarches judiciaires, mais bien du débat qu’il sous-tend », précise la journaliste.
Dans le dossier D2017-03-033, le Conseil a jugé que, pour être valable, l’entente de communication doit avoir été explicitement acceptée par le journaliste. Le plaignant, Me Richard Dion, estimait que la journaliste avait contrevenu à leur entente de confidentialité. Le plaignant avait mis en preuve un échange de courriels qu’il a eu avec la journaliste. Me Dion y écrivait : « Suite à notre dernière conversation téléphonique, je vous confirme qu’un représentant de ma cliente sera présent à mon cabinet vendredi le 17 courant à 13 h 30 afin de répondre à vos questions […] Par ailleurs, je comprends que cette entrevue est conditionnelle à ce que le nom de ma cliente demeure inconnu pendant comme après l’entrevue précédemment mentionnée. » La journaliste a répondu par courriel : « Bonjour M. Dion. Je serai là à 13 h 30. » Le Conseil a rejeté le grief de bris d’une entente de communication en faisant valoir que le courriel envoyé par la journaliste ne constitue pas une preuve explicite de consentement.
Comme dans ce dossier antérieur, les questions d’ententes de communication touchent généralement la confidentialité de la source ou la protection de certaines informations, par exemple dans des cas de off the record, de non-attribution, ou d’embargo. Dans le cas présent, le Conseil constate plutôt que la plaignante invoque une entente au sujet de l’angle du reportage. Or, l’angle du reportage relève de la liberté éditoriale du journaliste et du média et n’a pas à faire l’objet d’une entente avec une source.
Bien que la plaignante estime qu’il existait une entente relativement à l’angle de l’article, le Conseil n’a pu constater qu’il y avait eu d’accord préalable avec le média et qu’il s’agit plutôt d’une mésentente entre les parties.
Grief 2 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir d’exactitude.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’informations inexactes, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
2.1 Versions contradictoires
La plaignante cible plusieurs extraits de l’article qui, selon elle, sont inexacts :
- « Physiquement, les opérations, la prise d’hormones, les volte-face ont laissé des séquelles physiques permanentes, particulièrement d’un point de vue urinaire. »
- La plaignante affirme qu’elle n’est « pas atteinte de séquelles physiques permanentes laissées par quelque hormone que ce soit ».
- « Si les médecins sont beaucoup plus prudents et mieux outillés qu’à son époque, dans son pays d’origine, elle se désole qu’ils cèdent trop facilement à la pression des parents en pleine détresse. »
- La plaignante soutient qu’elle ne se « désole pas que les médecins cèdent trop facilement à la pression des parents ».
- « Ce à quoi il faut absolument donner la priorité, c’est l’intérêt de l’enfant, plaide à son tour Mme Chédor. Si on agit vite, c’est pour les parents. Parce que médicalement, il n’y a souvent aucune bonne raison de se précipiter. »
- Mme Chédor spécifie qu’elle « refuse de parler de “se précipiter” ».
- « Pour plaider, aussi, pour la mise en place de protocoles qui n’autorisent “les interventions chirurgicales hâtives que lorsque c’est médicalement requis, et non pas pour répondre à des standards sociaux”. »
- La plaignante affirme qu’elle ne veut « rien savoir des protocoles qui autorisent les interventions hâtives à quelque condition que ce soit » et qu’elle « ne plaide pas pour ce genre de protocole ».
- « Pour les parents, pour les médecins, l’extrême prudence est de mise, plaide-t-elle. “Pourquoi auraient-ils le droit de décider de l’identité et de la vie sexuelle future au nom du nouveau-né? Pour ma part, j’ai fait la paix avec cela, en bonne partie, mais il restera toujours une certaine colère.” »
- Mme Chédor stipule qu’elle ne « plaide pas […] pour l’extrême prudence ».
Dans les cinq passages, la plaignante n’apporte pas de preuve démontrant qu’elle a été mal citée. Ainsi, le Conseil se trouve devant des versions contradictoires et ne peut conclure à un manquement déontologique de la part de la journaliste.
2.2 Autres inexactitudes
Bien que la plaignante affirme « qu’elle ne se présente jamais en public en tant que victime de chirurgie », le Conseil constate qu’il s’agit d’une interprétation de Mme Chédor puisque l’article ne mentionne pas qu’elle se présente comme tel.
Mme Chédor indique que la phrase suivante est inexacte, soutenant qu’elle ne connaît pas de « volte-face » dans sa vie : « Physiquement, les opérations, la prise d’hormones, les volte-face ont laissé des séquelles physiques permanentes, particulièrement d’un point de vue urinaire. »
Le Conseil a maintes fois statué qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur discrétion rédactionnelle. Dans la décision D2017-01-013, le Conseil devait déterminer s’il était inexact d’employer le verbe « s’impatienter » et l’expression « selon lui » dans le passage suivant : « S’impatientant contre le poids lourd qui le suivait de trop près selon lui. » Pour le Conseil, « l’inexactitude alléguée par le plaignant relève de la marge d’interprétation acceptable du journaliste ». Le Conseil avait par ailleurs souligné que « le fait que le plaignant ait pris la peine de sortir sa caméra par la fenêtre de sa voiture démontre qu’il s’impatientait ». Le grief a été rejeté.
De la même façon dans le cas présent, le Conseil estime que l’inexactitude alléguée par Mme Chédor relevait de la marge d’interprétation de la journaliste, qui pouvait utiliser le terme « volte-face » pour illustrer le parcours de la plaignante, qui a changé de sexe à plusieurs reprises.
Mme Chédor indique que la phrase suivante est inexacte, affirmant qu’elle ne veut « surtout pas mettre en garde ni les parents ni les médecins comme Mme Leduc fautivement prétend » : « Pourquoi raconter tout cela? Pour mettre en garde les parents et les médecins qui, aujourd’hui encore, “se retrouvent face à pareille situation”. »
À la lecture de l’argumentaire de la plaignante, le Conseil constate que l’information rapportée par la journaliste n’est pas inexacte, puisque la plaignante indique elle-même qu’elle voulait « mettre en garde les parents d’écouter leurs enfants, de respecter leur biologie, et de ne pas agir contre eux, de ne pas imposer une vie étrange aux enfants ». Ainsi, Louise Leduc a exposé ce qu’il lui semblait être la motivation de la plaignante.
Mme Chédor indique que d’employer le mot « erreur » est inexact, affirmant qu’il n’y avait pas d’erreur chez elle, « mais mutilation génitale et stérilisation forcée ».
Le mot « erreur » se trouve à trois reprises dans le texte :
- Le titre du premier texte du dossier de La Presse est « Erreur sur la personne ».
- La journaliste cite le docteur Ghosh et écrit que « bon an, mal an [le docteur Ghosh] suit à sa clinique de “10 à 12 patients chez qui il y a eu erreur” ».
- Dans la phrase suivante, Louise Leduc résume un segment du documentaire Ni fille ni garçon : « Médicalement, il est devenu une fille. Mais encore là, il y avait erreur sur la personne et à la puberté, ça n’a plus été possible et une nouvelle série d’opérations est revenue rendre à l’adolescent sa réelle identité. »
Dire qu’il « y a erreur sur la personne », signifie que « vous vous trompez sur l’identité de quelqu’un », selon le Larousse. La journaliste a utilisé une figure de style pour illustrer l’attribution d’un sexe qui ne correspond pas à la personne hermaphrodite.
Encore une fois, les journalistes jouissant d’une grande liberté dans le choix des mots qu’ils emploient, le Conseil n’a pas à statuer sur des nuances lexicales, comme l’explique aussi la décision D2017-03-051.
Dans le cas présent, bien que la plaignante affirme que « des stérilisations sans le consentement de la personne concernée ne sont jamais des erreurs », le Conseil n’a pas constaté d’inexactitude dans l’utilisation du mot « erreur ».
Faux problèmes de santé
Bien que Mme Chédor indique que Louise Leduc « n’est pas gênée d’inventer de faux problèmes de santé et de les lui attribuer », la plaignante ne pointe pas les problèmes de santé que la journaliste aurait inventés. Ainsi, le Conseil ne peut conclure à un manquement déontologique de la part de la journaliste.
Grief 3 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir de complétude.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’informations incomplètes.
Analyse
3.1 Angle de traitement
La plaignante dénonce de l’information incomplète :
- Elle soutient que « Mme Leduc et La Presse ont complètement omis d’informer le public de la seule raison pour la publication » qui était « d’informer » sur son « projet de loi et rien d’autre, et naturellement de donner aussi un visage à l’auteure du projet ».
- Mme Chédor indique que « le lecteur de La Presse ne trouve aucune mention ni du gouvernement ni du Directeur de l’état civil ni de la loi dans l’article ». Mme Chédor soutient également que l’article ne traite pas la question de la discrimination des hermaphrodites qu’elle aurait abordée avec la journaliste.
- Mme Chédor considère que la journaliste avait les réponses aux questions : « Que commande l’intérêt de l’enfant intersexué? Qui en décide? » posées dans son article. La plaignante affirme que l’information figurait au dossier qu’elle avait fourni à Louise Leduc et que cette dernière ne l’a pas partagée avec le public.
- La plaignante déplore que la journaliste ait omis de parler des causes du stress permanent de ses parents.
Comme indiqué dans la décision D2015-10-052, les décisions antérieures du Conseil n’imposent pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. Le Conseil y indique également qu’un journaliste est toujours libre d’exclure certaines informations, pour peu que ce choix ne prive pas le public d’informations essentielles, considérant l’angle de traitement choisi.
Dans le cas présent, le Conseil souligne que l’article comprend les informations nécessaires à la bonne compréhension du sujet, selon l’angle choisi par la journaliste, même si ce n’était pas l’angle souhaité par la plaignante. Il constate une divergence entre les parties concernant l’angle de traitement du sujet et la déception qui en découle chez la plaignante, mais pas de manquement à la déontologie journalistique.
Grief 4 : atteinte à la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a atteint au droit à la vie privée de la plaignante.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte à la vie privée, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 18 (1) du Guide.
Analyse
La plaignante estime que Louise Leduc et La Presse ont « gravement » atteint à sa vie privée, car elle était « exclusivement disponible » pour une entrevue comme « auteure » de son initiative « et non avec une histoire privée afin de “mettre en garde les parents et les médecins” ».
La journaliste soutient qu’il n’a pas été question des démarches judiciaires de la plaignante lors de l’entrevue, mais bien du « débat [sur la protection des enfants à l’identité ou au physique ambigu] qu’il sous-tend ».
Le Conseil estime que la journaliste n’a pas porté atteinte à la vie privée de la plaignante, considérant que Mme Chédor a, de son propre gré, contacté le média pour lui fournir des informations la concernant, que l’entrevue s’est déroulée en personne et que Mme Chédor a accepté de témoigner à visage découvert et de se faire photographier.
Grief 5 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a fait preuve de sensationnalisme.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
5.1 Choc
Mme Chédor dénonce du sensationnalisme dans la phrase suivante : « Dans tous les cas de figure, quand il y a ambiguïté sexuelle, “le choc pour les parents est immense”. Si immense, dit Mme Chédor, “que les miens ont divorcé”. » La plaignante affirme que Mme Leduc a décidé de lui accorder « une fausse citation » en remplaçant le « stress prolongé pour le mariage » par un « choc immense », même si elle ne se « souvient pas » de ce choc pour ses parents.
Elle indique toutefois qu’il est « vrai » que Mme Leduc et elle ont parlé du « choc pour tous ces parents, mais ce choc n’était sûrement pas la raison pour le divorce de [s]es parents ».
Le Conseil souligne que pour qu’un grief de sensationnalisme soit retenu, l’information rapportée doit déformer la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits. Dans le cas présent, le Conseil ne constate pas d’interprétation abusive de la part de la journaliste, car dans l’argumentaire de sa plainte portée au Conseil, Mme Chédor indique elle-même qu’il est « vrai » que Louise Leduc et elle ont « parlé du choc pour tous ces parents ».
5.2 « Tout le monde m’a voulue, mais personne n’a voulu me garder »
Mme Chédor soutient que la phrase : « Tout le monde m’a voulue, mais personne n’a voulu me garder » est « isolée du contexte et ainsi déformée ». Elle admet avoir « effectivement prononcé ces mots », mais précise que « la partie essentielle » de son discours « manque ».
Le Conseil considère que l’explication de la plaignante laisse entendre que la journaliste a rapporté ses propos fidèlement, sans les interpréter, puisque Mme Chédor admet avoir formulé cette phrase.
Grief 6 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir d’impartialité.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
6.1 Citer un intervenant
La plaignante affirme que la journaliste est une « alliée des médecins » et dénonce de la partialité dans ces citations des docteurs Guy Van Vliet et Shuvo Ghosh :
- « À l’extrême, certains voudraient que ce type de chirurgie soit purement et simplement interdit. »
- Mme Chédor soutient que Louise Leduc « adopte l’attitude » du docteur Van Vliet en citant ses propos, qui, selon la plaignante, sous-entendent que son « projet de loi » est extrême.
- « En Amérique du Nord, encore aujourd’hui, face à un bébé intersexué, “des médecins jouent en quelque sorte à pile ou face. Et ça, ce n’est pas une bonne médecine”, dit le docteur Shuvo Ghosh, pédiatre du développement et du comportement au CUSM. Bon an, mal an, il suit à sa clinique de “10 à 12 patients chez qui il y a eu erreur”. »
- Mme Chédor soutient que la journaliste « prend position pour le docteur Ghosh qui lui parle sans respect pour nous êtres humains de “10 à 12 patients chez qui il y a eu erreur” ».
Le Conseil estime que la journaliste ne prend pas parti en reprenant les propos des docteurs Van Vliet et Ghosh dans son article, parce que les témoignages de ces experts ne signifient pas que la journaliste prend parti pour un point de vue en particulier. Dans la décision D2017-10-118, le Conseil a rejeté un grief de partialité visant un reportage où le journaliste rapportait les témoignages et les opinions de ses sources d’information, en soulignant que le fait de diffuser les propos de quelqu’un n’équivaut pas à les appuyer. De plus, les décisions antérieures du Conseil font valoir que pour établir qu’un journaliste a fait preuve de partialité, il faut montrer qu’il a commenté les faits, en émettant une opinion, par exemple, ce que Louise Leduc ne fait pas dans les passages ciblés par la plaignante.
6.2 Interprétation
La plaignante dénonce de la partialité dans les deux extraits suivants :
- « Les médecins et ses parents ne sont pas tombés sur la bonne réponse. »
- Mme Chédor indique que la journaliste « nie » son « droit à l’autodétermination » et « se positionne pro-médecins » en utilisant les termes « bonne réponse ».
- « Si les médecins sont beaucoup plus prudents et mieux outillés qu’à son époque, dans son pays d’origine, elle se désole qu’ils cèdent trop facilement à la pression des parents en pleine détresse. »
- La plaignante indique que cette phrase relève de l’opinion « personnelle et patriotique » de la journaliste.
Le Conseil ne constate pas de parti pris dans le choix des termes employés par la journaliste dans les deux extraits visés par la plaignante.
D’abord, l’expression « bonne réponse » est employée par la journaliste pour illustrer l’attribution du sexe masculin à Mme Chédor à sa naissance. Considérant que la plaignante a finalement changé de sexe, le Conseil estime qu’il n’était pas partial d’écrire que les médecins n’étaient pas tombés sur la « bonne réponse » et que la conclusion de la plaignante provient de sa propre interprétation.
Ensuite, le Conseil considère que l’allégation selon laquelle la journaliste partage son opinion « personnelle et patriotique » relève de l’interprétation de la plaignante, qui n’avance pas de preuve témoignant d’un tel parti pris de la part Louise Leduc.
Grief 7 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir d’équilibre.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équilibre, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 d) du Guide.
Analyse
Mme Chédor déplore un manque d’équilibre dans l’article, car elle aurait souhaité qu’on y présente sa position, comme « auteure de cette initiative » (ce qu’elle appelle son « projet de loi ») et les positions des intervenants suivants :
- du ministère de la Justice;
- du Directeur de l’état civil;
- des médecins, « idéalement d’un chirurgien »;
- d’une victime « qui a été mutilée authentiquement au Québec par un Québécois »;
- d’un parent.
Le Conseil ne constate pas de manque d’équilibre dans l’article mis en cause, qui donne la parole à plusieurs intervenants, choisis en fonction de l’angle de traitement pour lequel la journaliste a opté. Bien que l’angle de l’article déplaise à la plaignante, ce choix, tout comme celui des personnes interviewées, relève de la liberté éditoriale du média.
Grief 8 : manque d’équité
Principe déontologique applicable
Équité : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. » (article 17 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir d’équité.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équité.
Analyse
8.1 Apparence féminine
Mme Chédor dénonce un manque d’équité dans la phrase : « D’autres interventions visant à lui redonner une apparence féminine », estimant que « bien que le résultat visible [apparence féminine] soit comme ça, la causalité n’en est aucune. » Elle précise qu’elle parlait plutôt à Mme Leduc « de fonctionnalité », référant ainsi aux interventions.
Bien que la plaignante soutienne que « Mme Leduc n’était pas capable de traiter avec de la sensibilité et prudence les confessions semi-confidentielles de femme à femme […] », le Conseil juge que les termes employés dans l’article font preuve de sensibilité et que le sujet a été traité de manière délicate.
Malgré que la plaignante ait l’impression que la journaliste ait abusé de sa confiance, le Conseil ne constate pas de manque d’équité, et note que la plaignante est en désaccord avec l’angle de l’article.
8.2 Erreur sur la personne
Mme Chédor dénonce le titre « Erreur sur la personne » : « Nous [les hermaphrodites] ne sommes pas des erreurs, mais des humains, et ce titre manque de respect de la part de Mme Leduc pour nous, et pour moi personnellement. »
Le Conseil considère que la plaignante interprète négativement la portée de l’expression « erreur sur la personne », qui signifie « se tromper sur l’identité de quelqu’un », selon le Larousse. Il s’agit d’une figure de style utilisée pour illustrer la réalité des personnes hermaphrodites qui ne se sont pas vues attribuer le bon sexe à la naissance. Le Conseil ne voit pas de manque d’équité dans ce choix de titre.
8.3 « Extrême » et « certains »
La plaignante estime que la journaliste la dévalorise de manière indirecte, en citant le pédiatre-endocrinologue Guy Van Vliet. Lorsque ce dernier déclare : « À l’extrême, certains voudraient que ce type de chirurgie soit purement et simplement interdit », Mme Chédor se sent visée par les termes extrêmes et certains.
Le Conseil constate que la journaliste ne fait pas de lien entre la plaignante et les propos du médecin, qui ne visent d’ailleurs pas Mme Chédor. Le Conseil ne saurait y voir de manquement déontologique.
Grief 9 : manque d’identification des sources
Principe déontologique applicable
Identification des sources : « Les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 du présent Guide. » (article 12 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir d’identification des sources.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’identification des sources.
9.1 Le documentaire Ni fille ni garçon de Télé-Québec
Analyse
Mme Chédor estime que le lecteur de l’article « ne sait pas que Mme Leduc fait référence à l’émission sur Télé-Québec de 2016 » lorsqu’elle écrit sur le documentaire Ni fille ni garçon.
Le Conseil constate que la journaliste mentionne clairement sa source en nommant le documentaire et considère que les informations qu’elle en a tirées, par exemple les témoignages, permettaient d’évaluer la valeur de la source d’information.
9.2 La docteure Chiniara
Analyse
La plaignante soutient que lorsque la journaliste écrit la phrase : « Si les médecins sont beaucoup plus prudents et mieux outillés qu’à son époque, dans son pays d’origine, elle se désole qu’ils cèdent trop facilement à la pression des parents en pleine détresse », elle utilise la « source indirecte », la docteure Chiniara du documentaire Ni fille ni garçon, et elle « omet d’identifier la source ».
Le Conseil constate que la docteure Chiniara n’intervient pas dans le texte de Louise Leduc. Le lien entre l’extrait de l’article mis en cause et les propos de la docteure Chiniara dans Ni fille ni garçon relève de l’interprétation de la plaignante.
Grief 10 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a manqué à son devoir de rigueur de raisonnement.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 b) du Guide.
Analyse
Mme Chédor estime que la référence aux médecins « plus prudents » et « mieux outillés » dans la phrase : « Si les médecins sont beaucoup plus prudents et mieux outillés qu’à son époque dans son pays d’origine » est tirée de l’entrevue de la docteure Chiniara dans le documentaire Ni fille ni garçon. La plaignante affirme que la journaliste a créé « un lien artificiel entre la déclaration purement montréalaise de la docteure Chiniara avec l’histoire de [s]a propre naissance en Europe ».
Le Conseil considère que rien n’indique dans le texte que cette phrase provient de la docteure Chiniara, qui n’intervient pas dans l’article de Mme Leduc. L’association entre cette citation et la docteure Chiniara relève de l’interprétation de la plaignante. Le Conseil ne constate donc pas de manque de rigueur de raisonnement dans la phrase ciblée.
Grief 11 : manque de courtoisie
Principe déontologique applicable
Interactions avec le public : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de courtoisie dans leurs rapports avec le public. » (article 27 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué de courtoisie envers la plaignante.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de courtoisie, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 27 du Guide.
Analyse
Bien que la plaignante estime que les réponses de Louise Leduc, de David Santerre, chef de division, information générale et d’Éric Trottier, vice-président à l’information et éditeur adjoint, étaient « fortement inappropriées » lorsqu’elle les a contactés pour réagir à la publication de l’article, le Conseil estime, à la lecture des échanges de courriels et à l’écoute d’une conversation téléphonique, que les mis en cause ont fait preuve de courtoisie envers Mme Chédor. La Presse lui a par ailleurs proposé d’écrire sa version des faits dans une « lettre au lecteur », ce qu’elle a décliné.
Grief 12 : absence de rectificatif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir de correction des erreurs.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’absence de rectificatif.
Analyse
Puisque le Conseil n’a pas relevé de faute déontologique, les mis en cause n’avaient pas à publier de rectificatif.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Audrey Chédor contre Louise Leduc, David Santerre, Éric Trottier et La Presse+ pour les griefs de bris d’une entente de communication avec une source, d’informations inexactes, d’informations incomplètes, d’atteinte à la vie privée, de sensationnalisme, de partialité, de manque d’équilibre, de manque d’équité, de manque d’identification des sources, de manque de rigueur de raisonnement, de manque de courtoisie et d’absence de rectificatif.
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus
Renée Lamontagne
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Maxime Bertrand
Luc Tremblay
Représentant des entreprises de presse :
Pierre Champoux