Plaignant
Julie Lévesque
Mis en cause
Christian Latreille, journaliste
ici.radio-canada.ca
Résumé de la plainte
Julie Lévesque dépose une plainte le 10 juillet 2018 devant le Conseil de presse du Québec contre le journaliste Christian Latreille et le site Internet ici.radio-canada.ca concernant l’article intitulé « Conflit en Syrie : Trump n’a pas de plan », publié le 12 avril 2018. La plaignante reproche des informations inexactes, de la partialité et de l’incomplétude.
CONTEXTE
Un an après que les États-Unis ont bombardé une base syrienne et alors que le président Donald Trump s’exprime sur Twitter quant à la possibilité de déclencher une nouvelle attaque contre les forces armées de Bachar Al-Assad, le journaliste Christian Latreille, qui analyse la politique américaine, rapporte une absence de stratégie dans le conflit en Syrie.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 La stratégie des États-Unis en Syrie
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a rapporté une information inexacte en soulignant « l’absence totale de stratégie des États-Unis en Syrie » et un manque « de plan à long terme dans l’actuel conflit qui secoue la Syrie ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Bien que Julie Lévesque considère qu’il y a un « manque flagrant d’exactitude dans le point central de l’argument » de Christian Latreille, à savoir qu’il est « faux de dire que les États-Unis n’ont jamais eu de stratégie et de plan à long terme en Syrie », le Conseil estime que le journaliste n’avance pas cela.
Dans l’article en cause, il est écrit que « les États-Unis n’ont jamais eu de plan à long terme dans l’actuel conflit qui secoue la Syrie depuis 7 ans ». Le journaliste ne prétend pas que les États-Unis n’ont jamais eu de plan et de stratégie à long terme, mais précise que son analyse est fondée sur les sept dernières années. Lorsque Christian Latreille écrit une phrase plus loin que « l’absence totale de stratégie des États-Unis en Syrie a permis aux Russes et aux Iraniens d’occuper tout le terrain », on comprend qu’il fait approximativement référence à la même période.
Le Conseil estime que l’inexactitude alléguée relève de l’interprétation de la plaignante et ne saurait y voir un manquement déontologique.
1.2 Statut légal des États-Unis en Syrie
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a laissé croire au public que « les États-Unis, la Russie et l’Iran ont le même statut légal en sol syrien ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Julie Lévesque estime qu’« en suggérant que l’absence d’intervention militaire des États-Unis en Syrie “a permis aux Russes et aux Iraniens d’occuper tout le terrain” », le journaliste déforme la réalité. Elle considère que « la Russie et l’Iran n’occupent pas le terrain, ils sont en Syrie légalement puisqu’ils ont été invités par le gouvernement syrien ». Le Conseil constate que l’argumentaire de la plaignante s’appuie sur le sens propre du mot « terrain » : « Espace plus ou moins étendu de la surface du sol », selon le dictionnaire du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
Dans son article, Christian Latreille utilise plutôt ce terme au sens figuré – « Le terrain en tant que lieu, support » (même source) – pour parler des terrains diplomatique et géopolitique où s’exercent les zones d’influence des Russes et des Américains.
Le Conseil ne saurait donc y voir une inexactitude, mais plutôt deux interprétations possibles du terme « terrain ».
1.3 Droit d’intervention militaire des États-Unis
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause suggèrent, comme le soutient la plaignante, que les États-Unis disposent d’un droit unilatéral à intervenir militairement en Syrie.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude sur ce point, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Le Conseil estime que l’allégation selon laquelle l’article en cause suggère que « les États-Unis possèdent une espèce de droit impérial de décider ce qu’un pays souverain a le droit de faire ou non et qu’ils sont en droit d’attaquer si un pays ne respecte pas les conditions dictées par le président étasunien » relève de l’interprétation de la plaignante qui n’apporte pas la preuve pour soutenir son argumentation.
Le Conseil constate qu’il n’est pas écrit dans l’article que les États-Unis disposent d’un droit d’intervenir militairement en Syrie ou qu’ils peuvent le faire s’ils le désirent. Il y est plutôt écrit que les États-Unis sont déjà intervenus militairement en Syrie après des attaques chimiques attribuées aux forces de Bachar Al-Assad et que leur président, Donald Trump, hésite à attaquer de nouveau le régime syrien en pareilles circonstances.
Le Conseil estime que l’interprétation de la plaignante ne correspond pas aux faits présentés dans l’article et ne peut donc conclure qu’il y a diffusion d’informations inexactes.
Grief 2 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 du Guide)
2.1 Propagande de guerre
Le Conseil doit déterminer si Christian Latreille prend parti pour une intervention militaire des États-Unis en Syrie.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa c du Guide.
Analyse
Bien que Julie Lévesque reproche à Christian Latreille de faire de « la propagande de guerre » lorsqu’il rapporte que les États-Unis n’ont pas de stratégie dans le conflit syrien ou quand le journaliste ignore certaines informations sur les intentions américaines, le Conseil estime que la plaignante n’apporte pas la preuve de ses allégations.
Le Conseil constate que, dans cet article d’analyse, Christian Latreille n’affirme pas que les États-Unis doivent intervenir militairement ou pas dans le conflit syrien. Le journaliste rapporte les hésitations du gouvernement américain, notamment des présidents Obama et Trump à ce sujet. Plusieurs passages de l’article évoquent aussi les dangers et les conséquences envisageables d’une intervention militaire des États-Unis en Syrie et les opinions divergentes sur cette option sont également rapportées. Le Conseil ne saurait donc y voir un parti pris pour un point de vue en particulier.
2.2 Droit d’intervention militaire des États-Unis
Le Conseil doit déterminer si Christian Latreille est partial lorsqu’il laisse entendre, comme le prétend la plaignante, que les États-Unis ont la liberté d’intervenir militairement dans le conflit syrien.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa c du Guide.
Analyse
Le Conseil ne partage pas l’avis de Julie Lévesque selon lequel le parti pris de Christian Latreille s’observe quand il rapporte « cette croyance des autorités étasuniennes voulant qu’ils soient libres d’intervenir en Syrie comme s’il s’agissait d’un fait établi ».
Le Conseil constate que l’article en cause rapporte un fait, soit la possibilité que les États-Unis puissent intervenir comme bon leur semble, sans le feu vert d’autres pays ou des Nations unies. Ce propos ne laisse pas transparaître de partialité de la part du journaliste.
Grief 3 : incomplétude
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 du Guide)
3.1 Intervention militaire illégale
Le Conseil doit déterminer si Christian Latreille omet une information essentielle à la compréhension de son article en ne précisant pas qu’une intervention militaire des États-Unis en Syrie est illégale.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Bien que Julie Lévesque reproche qu’« à aucun moment [Christian Latreille] ne mentionne que l’intervention militaire des États-Unis en Syrie est illégale », le Conseil estime que cette information n’est pas essentielle à la bonne compréhension du sujet.
Dans le cadre de la liberté éditoriale du média, le journaliste a choisi les informations sur lesquelles il fonde son analyse. L’illégalité d’une éventuelle intervention américaine contre le régime syrien ne faisait pas partie de ce choix, sans que cela ne prive le public d’une information indispensable, affirme le Conseil.
3.2 La Russie et l’Iran invités par la Syrie
Le Conseil doit déterminer si Christian Latreille omet une information essentielle à la compréhension de son sujet en ne mentionnant pas que la Russie et l’Iran sont présents en Syrie à l’invitation de cette dernière.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Le Conseil observe que l’article en cause analyse un aspect particulier du conflit syrien, à savoir les hésitations stratégiques des États-Unis. Dans ce contexte, il estime que l’élément manquant soulevé par la plaignante n’est pas essentiel à la compréhension du sujet. Au demeurant, le journaliste n’a pas à expliciter dans les moindres détails chacun des éléments qu’il aborde, ajoute le Conseil.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Julie Lévesque contre Christian Latreille et le site Internet ici.radio-canada.ca concernant les griefs d’informations inexactes, de partialité et d’incomplétude.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Paul Chénard
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Linda Taklit
Représentants des journalistes :
Lisa-Marie Gervais
Noémi Mercier
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Prévost
Éric Trottier