Plaignant
Dan Philip
Président de la Ligue des Noirs du Québec
Mis en cause
Richard Martineau, chroniqueur
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Le 30 juillet 2018, le président de la Ligue des Noirs du Québec, Dan Philip, dépose une plainte contre le journaliste Richard Martineau et Le Journal de Montréal. Elle vise la chronique intitulée « Je pars mon groupe de pression », publiée le 19 juillet 2018. Le plaignant reproche des propos attisant la haine et incitant à la violence, un manque d’équité, de l’information inexacte, une absence de correctif et de la diffamation.
CONTEXTE
Dans cette chronique, Richard Martineau propose ironiquement de lancer « l’Association des chroniqueurs de race blanche natifs de Verdun » ou « la Fédération des gauchers » afin de représenter, publiquement et politiquement, ces groupes-là et de « téter des subventions ». Le journaliste critique par là même la Ligue des Noirs du Québec et la Fédération des femmes qu’il qualifie de « groupes de pression » et dont il met en doute la représentativité. Selon lui, « ces associations formées sur la base du sexe ou de l’ethnie constituent l’un des plus grands rackets de notre époque ».
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : discrimination : propos attisant la haine et incitant à la violence
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (Guide, article 19)
Le Conseil doit déterminer si, sur la base d’un motif discriminatoire, Richard Martineau suscite ou attise la haine ou la violence en présentant la Ligue des Noirs du Québec et ses activités comme un « sacré bon racket ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de propos attisant la haine et incitant à la violence, car il juge que la critique du journaliste à l’endroit de la Ligue des Noirs du Québec n’est pas basée sur un motif discriminatoire, au sens de l’article 19 (1) du Guide.
Analyse
Bien que Dan Philip considère que Richard Martineau les présente, lui et la Ligue des Noirs du Québec, comme « de vils racketteurs », le Conseil constate que le journaliste ne s’attaque pas à la Ligue des Noirs parce qu’il s’agit d’une organisation regroupant des Noirs. Il lui reproche plutôt son manque de représentativité et son mode de financement.
Par ailleurs, sa critique n’est pas basée sur un motif discriminatoire et ne vise pas uniquement la Ligue des Noirs, mais « les « associations formées sur la base du sexe ou de l’ethnie » qui constituent pour le chroniqueur « l’un des plus grands rackets de notre époque ». Il cite ainsi la Fédération des femmes, l’Alliance des professionnels cambodgiens du Québec, l’Association des avocats et notaires noirs du Québec, le Club des professionnels rwandais du Canada, la Jeune chambre de commerce camerounaise du Canada, et la Société sénégalaise des scientifiques du Canada.
Il s’agit là de l’opinion de Richard Martineau qui, en tant que chroniqueur, dispose d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. Il était ainsi libre de critiquer, de manière générale, des organismes à but non lucratif qu’il qualifie de groupes de pression, dont la Ligue des Noirs du Québec. Le Conseil ne saurait donc y voir un motif discriminatoire visant un groupe particulier qui puisse tendre à attiser la haine ou inciter à la violence.
Grief 2 : manque d’équité
Principe déontologique applicable
Équité : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. » (Guide, article 17)
Le Conseil doit déterminer si, dans la chronique en cause, Richard Martineau traite avec équité Dan Philip ainsi que la Ligue des Noirs du Québec.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équité, car il juge que le journaliste n’a commis aucune faute déontologique.
Analyse
Le plaignant reproche au journaliste de mener une « guerre ou une croisade » contre lui et la Ligue des Noirs du Québec et estime que l’article en cause est « en quelque sorte l’ultime goutte qui a fait déborder un vase déjà plein ». L’analyse du Conseil se limite à la chronique visée par la présente plainte.
Bien que Dan Philip invoque des conséquences liées à publication de l’article – des oeufs auraient été lancés sur la porte de son domicile – et qu’il craigne que ce « méfait » puisse être « le début d’une vague de violence », le Conseil considère que les réactions subséquentes à la parution d’un article, même si la preuve était faite qu’elles résultaient de la chronique, ne sont pas constitutives d’un manque d’équité et sont hors du contrôle du journaliste.
Dans la décision D2017-11-135, le Conseil a jugé qu’une « critique d’un groupe dans le cadre d’un reportage d’opinion ne saurait représenter un manque d’équité, dans la mesure où le journaliste d’opinion peut critiquer, même vertement, les personnes qui font l’objet de son texte ». Dans le cas présent, le Conseil note que Richard Martineau s’en prend aux associations comme la Ligue des Noirs du Québec ou la Fédération des femmes du Québec, mais qu’il ne manque pas d’équité envers M. Philip.
Grief 3 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude: fidélité à la réalité. » (Guide, article 9)
Le Conseil doit déterminer si Richard Martineau rapporte une information inexacte en présentant Dan Philip comme un racketteur, comme le prétend ce dernier.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9a).
Analyse
Même si le Conseil comprend que le plaignant puisse s’être senti visé par l’article en cause, il constate que Richard Martineau ne le vise pas directement et que nulle part dans son texte il n’écrit que Dan Philip est un racketteur.
Le journaliste présente son opinion au sujet des associations fondées sur l’origine ou le genre de leurs adhérents, qu’il considère comme un racket. Le Conseil estime que le plaignant interprète cette opinion pour en déduire que le chroniqueur le présente comme un racketteur, ce qui n’est pas le cas.
Grief 4 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (Guide, article 27.1)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont manqué à leur devoir de corriger avec diligence leurs manquements et erreurs.
Décision
Au vu des décisions rendues aux griefs précédents, le Conseil de presse rejette le grief d’absence de correctif.
Analyse
Les mis en cause n’ayant commis aucune faute déontologique, ils n’avaient pas à corriger avec diligence leurs manquements et erreurs.
Grief non traité : diffamation
« La plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision. » (Règlement No 2, article 13.03)
Le plaignant déplore de la diffamation, un grief que le Conseil ne traite pas, car la diffamation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique, mais relève plutôt de la sphère judiciaire.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Dan Philip contre Richard Martineau et Le Journal de Montréal, concernant les griefs de propos attisant la haine et incitant à la violence, de manque d’équité, d’information inexacte et d’absence de correctif.
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus
Renée Lamontagne
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Maxime Bertrand
Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Nicole Tardif