Plaignant
Mary Ellen Davis
Mis en cause
Lise Ravary, chroniqueuse
Le quotidien Le Journal de Montréal
Le site Internet journaldemontreal.com
Résumé de la plainte
Mary Ellen Davis dépose plainte le 15 octobre 2018 contre la journaliste Lise Ravary, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com concernant la chronique intitulée « La gauche qui hait le Québec », publiée le 11 octobre 2018. La plaignante reproche une information inexacte.
CONTEXTE
Quatre jours après une manifestation organisée à Montréal contre le racisme et le gouvernement élu de la Coalition avenir Québec (CAQ), la journaliste Lise Ravary publie une chronique dans laquelle elle avance que les participants de cette manifestation, qu’elle juge « anti-québécoise » ne « représentaient pas la majorité des immigrants ». La chroniqueuse critique les organisateurs de ce rassemblement, qu’elle qualifie de « tordus qui manipulent les peurs des immigrants pour faire avancer leurs agendas extrémistes» ainsi que ses participants. Pour soutenir sa perspective, elle fournit une description de certains manifestants, de pancartes, de banderoles et de drapeaux.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Journalisme d’opinion : « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a rapporté une information inexacte en écrivant : « Deux jeunes hommes, drapeau noir de l’État islamique sur leurs épaules, suivaient le cortège qui comportait son lot de banderoles du Hamas, du Hezbollah (…) ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte, car il juge que la journaliste a contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante affirme qu’elle a « regardé passer toute la manifestation » et qu’elle n’a pas vu les drapeaux et banderoles du groupe armé État islamique, du mouvement islamiste palestinien Hamas et du groupe islamiste libanais Hezbollah décrits par la journaliste.
Dix jours après la publication de la chronique en question, Lise Ravary a avoué publiquement qu’elle n’avait pas vu le drapeau de l’État islamique lors de cette manifestation à Montréal. Dans un article intitulé « Mea culpa, mais… », elle indique qu’elle a été induite en erreur par une photo qui n’a pas été prise lors de cette manifestation :
« Une source m’avait dirigée vers des photos de la manifestation montrant le drapeau dit de l’État islamique.
Erreur
J’ai été bernée. La photo ne montrait pas le drapeau spécifique de l’ÉI, mais l’étendard générique de l’islamisme djihadiste.
Plus importants, les talents d’enquêteur de Maxime Fiset du Centre de prévention de la radicalisation ont révélé que la photo n’avait pas été prise à cette manifestation.
Toutes mes excuses aux lecteurs, d’abord, et aux organisateurs.
J’écrirai cent fois “en 2018, deux sources pour les photos aussi”. »
Devant le témoignage de la plaignante, l’admission de la journaliste qui s’est basée sur la photo d’une autre manifestation, et ses propres recherches qui n’ont trouvé aucun signe, dans la couverture médiatique de l’événement, de symboles du groupe État islamique, le Conseil retient la faute. Le Conseil n’a pas trouvé non plus, par ailleurs, d’emblèmes du Hamas ou du Hezbollah.
Le Conseil constate également que la version originale de la chronique, avec la description du drapeau islamique en question, est toujours en ligne sur le site web du Journal de Montréal.
Grief non traité
Bien que la plaignante considère que la chronique en cause est « biaisée », ce grief de partialité n’est pas traité puisque les journalistes d’opinion ne sont pas soumis à cette obligation déontologique, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mary Ellen Davis contre Lise Ravary, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com concernant le grief d’information inexacte.
Le Conseil blâme la chroniqueuse, malgré les excuses publiques de celle-ci, car il considère que la faute qu’elle a commise est grave et que la sensibilité du sujet exigeait une attention particulière quant à l’exactitude des faits avancés. Le Conseil juge, par ailleurs, que le délai de 10 jours entre sa chronique initiale et son mea culpa était trop long au regard de la gravité de sa faute et de la sensibilité du sujet dans l’espace public.
Le Conseil impose un blâme sévère au Journal de Montréal et au site Internet journaldemontreal.com, car, en plus d’avoir publié une information inexacte, la correction apportée n’est pas diligente ni complète. Le média aurait dû rectifier les fausses informations de la chronique en cause qui est toujours en ligne dans sa version originale. Le Conseil y voit là un manquement grave dans un contexte où cette chronique pouvait exacerber inutilement des tensions dans la société sur la base d’une information erronée.
Le Conseil rappelle que « lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus
Renée Lamontagne
Michel Loyer
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot
Noémi Mercier
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost