Plaignant
Roger Hobden
Mis en cause
Le quotidien Le Devoir
Résumé de la plainte
Roger Hobden dépose une plainte le 7 décembre 2018 contre le quotidien Le Devoir concernant l’ajout apporté par la rédaction à sa lettre d’opinion, publiée le 6 novembre 2018. Le plaignant déplore une modification injustifiée à une contribution du public et le dévoilement de ses antécédents judiciaires, de l’information inexacte, un manque d’équilibre et un refus de retirer un ajout à une contribution du public.
CONTEXTE
Le 6 novembre 2018, Le Devoir a publié une lettre d’opinion signée par Roger Hobden, le plaignant dans le présent dossier. M. Hobden y réagit à une lettre d’opinion publiée la veille dans le même quotidien et se positionne en faveur de l’abolition de la prostitution. La plainte vise le paragraphe ajouté au bas de la lettre d’opinion de M. Hobden par la rédaction du Devoir. Le média y mentionne les antécédents judiciaires de M. Hobden.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : modification injustifiée à une contribution du public et dévoilement injustifié des antécédents judiciaires
Principes déontologiques applicables
Contribution du public : « (2) Les médias d’information peuvent apporter des modifications aux contributions du public, mais veillent, ce faisant, à ne pas en changer le sens ou à trahir la pensée des auteurs. » (article 16 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Antécédents judiciaires : « Les journalistes et les médias d’information ne font pas mention des antécédents judiciaires d’une personne ne faisant pas l’objet de procédures judiciaires, à moins qu’une telle mention ne soit d’intérêt public. » (article 20.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a, de façon injustifiée, modifié une contribution du public et a dévoilé les antécédents judiciaires du plaignant en publiant l’ajout suivant à sa lettre d’opinion : « Roger Hobden a été condamné à neuf mois de prison à purger dans la collectivité, en 2016, pour avoir agressé sexuellement une patiente d’âge mineur en 1997. Il n’a jamais été dans notre intention de donner la parole à un agresseur reconnu comme tel, même s’il a purgé sa peine, sur un sujet aussi délicat que la prostitution. Les antécédents de l’auteur avaient échappé à notre attention. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief puisqu’il juge que la note de la rédaction teinte de façon injustifiée la lettre d’opinion du plaignant et fait état de ses antécédents judiciaires sans que l’intérêt public ne le justifie.
Analyse
Bien que l’ajout ne déforme pas le sens de la lettre d’opinion soumise au quotidien par Roger Hobden, le Conseil juge que la mention de ses antécédents judiciaires a pour effet de discréditer ses propos.
Contrairement à la direction du Devoir qui justifie sa décision de faire état des antécédents judiciaires du plaignant dans un ajout à sa lettre d’opinion en invoquant l’intérêt public et les « réactions indignées des lecteurs », le Conseil estime, au contraire, que cette mention n’est pas d’intérêt public. Non seulement le plaignant ne fait l’objet d’aucune procédure judiciaire, mais il exprime son opinion à titre de citoyen dans le cadre d’un débat public. De plus, sa prise de position en faveur de l’abolition de la prostitution n’a pas de lien avec les motifs de sa condamnation passée. Il est également important de souligner qu’au moment de la publication de sa lettre d’opinion, le plaignant avait purgé sa peine.
Dans sa réplique, la rédactrice en chef du Devoir, Marie-Andrée Chouinard, affirme que « l’erreur de départ » a été de publier la lettre d’opinion de M. Hobden. Le Conseil croit, au contraire, que M. Hobden pouvait s’exprimer au sujet d’un débat public, peu importe son passé. Ultimement, la décision de publier une lettre de lecteur relève de la liberté éditoriale du média et Le Devoir aurait pu choisir de ne pas la publier. Mais, une fois la lettre publiée, le fait de mentionner les antécédents judiciaires de M. Hobden constituait une faute déontologique.
Grief 2 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a transmis de l’information inexacte en affirmant que le plaignant a « agressé sexuellement » une patiente.
Décision
Le Conseil juge que l’information n’est pas fidèle à la réalité et retient le grief d’information inexacte.
Analyse
Comme le reconnaît la rédactrice en chef du Devoir, Marie-Andrée Chouinard, le plaignant a plaidé coupable à une accusation d’attouchements sexuels sur l’une de ses patientes d’âge mineur, et non pas « d’agression sexuelle », une erreur importante que le média n’a corrigée que neuf mois après que le plaignant l’eut informé. Les vérifications du Conseil ont effectivement démontré que M. Hobden a été accusé en vertu de l’article 153(01)A du Code criminel en vigueur à cette époque.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a présenté une juste pondération du point de vue des parties en présence.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équilibre.
Analyse
Bien que le Conseil considère que cet ajout à la lettre d’opinion n’aurait pas dû être publié, il estime que le média n’avait pas à communiquer avec le plaignant pour recueillir son point de vue, comme celui-ci l’aurait souhaité. Le Conseil juge qu’une vérification des faits était suffisante. Le média pouvait trouver les informations nécessaires à cet exercice dans le jugement rendu par la Cour. Il n’était pas nécessaire de présenter la version du plaignant dans le contexte de cet ajout.
Grief 4 : refus de retirer un ajout à une contribution du public
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir de corriger avec diligence ses manquements et erreurs en ne retirant pas l’ajout fait au bas de la lettre d’opinion du plaignant.
Décision
Le Conseil retient le grief de refus de retirer un ajout à une contribution du public.
Analyse
Contrairement à la rédactrice en chef du Devoir qui estime que le média n’avait pas l’obligation de retirer l’ajout puisqu’il permettait d’expliquer aux lecteurs la décision du média de publier la lettre d’opinion du plaignant, le Conseil juge que le quotidien aurait dû enlever ce paragraphe puisqu’il n’aurait pas dû être publié comme l’a déterminé le Conseil au premier grief.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Roger Hobden et blâme Le Devoir concernant les griefs de modification injustifiée à une contribution du public et dévoilement injustifié des antécédents judiciaires, d’information inexacte et de refus de retirer un ajout à une contribution du public. Cependant, le Conseil a rejeté le grief de manque d’équilibre.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Maxime Bertrand
Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Nicole Tardif