Plaignant
Patrick Robert-Meunier, conseiller politique au cabinet du maire de la Ville de Gatineau
Mis en cause
Pierre-Jean Séguin, journaliste
TVA Nouvelles 18h Gatineau-Ottawa
TVA Gatineau-Ottawa
Le site Internet tvagatineau.ca
Résumé de la plainte
Patrick Robert-Meunier dépose une plainte le 19 mars 2019 contre le journaliste Pierre-Jean Séguin, le bulletin TVA Nouvelles 18h Gatineau-Ottawa, TVA Gatineau-Ottawa et le site Internet tvagatineau.ca concernant deux reportages diffusés les 12 et 18 mars 2019 au sujet des nids-de-poule à Gatineau. Le plaignant reproche un manque de rigueur de raisonnement, un manque d’équilibre, de l’incomplétude, de la partialité ainsi qu’une absence de correction des erreurs.
CONTEXTE
Le 12 mars 2019, Pierre-Jean Séguin réalise un reportage sur la problématique des nids-de-poule à Gatineau. La veille, la Ville de Gatineau a annoncé qu’elle allait autoriser les élevages de poules et d’abeilles sur son territoire. Le journaliste interviewe plusieurs automobilistes qui se plaignent de l’état des rues et observe que les élus semblent se préoccuper davantage des poules que des nids-de-poule. Le 18 mars 2019, le journaliste revient sur l’enjeu des nids-de-poule à Gatineau. Il interviewe des automobilistes qui déplorent que les rues ne soient pas réparées et s’entretient ensuite avec le président du syndicat des cols bleus puis avec le président du comité exécutif au sujet de la gestion des opérations de déneigement, qui aurait eu, selon le syndicaliste, des répercussions sur la réparation des nids-de-poule.
Analyse
Grief 1 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement. » (Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, article 9, alinéa b)
Le Conseil doit déterminer si Pierre-Jean Séguin manque de rigueur de raisonnement lorsqu’il affirme : « Pendant que les élus à la Maison du citoyen parlaient dans un langage bureaucratique de poules et de l’élevage en milieu urbain […] les préoccupations des automobilistes sont surtout axées sur les nids-de-poule » ; et « un monde de différence semble séparer les préoccupations des élus et celles des citoyens. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9, alinéa b, du Guide.
Analyse
Dans les deux passages en cause, le plaignant estime que le journaliste fait « un lien absolument fallacieux » en affirmant, « sans nuance, que les élus ne se préoccupent pas de l’état des rues à Gatineau et de l’enjeu des nids-de-poule uniquement parce que ce sujet n’était pas à l’ordre du jour du conseil municipal. » Néanmoins, le Conseil constate que les mots choisis par Pierre-Jean Séguin, comme le verbe sembler et l’adverbe surtout, ne sont pas aussi affirmatifs que le plaignant le prétend. Le journaliste met en parallèle deux événements concomitants – la multiplication des nids-de-poule à Gatineau et la séance du conseil municipal où il est question de poules et d’agriculture urbaine –, mais il n’établit pas de lien formel entre les deux.
Selon le Guide, « les journalistes jouissent d’une liberté éditoriale » et « les choix relatifs au contenu, à la forme, ainsi qu’au moment de publication ou de diffusion de l’information relèvent de [leur] prérogative ». Dans le cas présent, Pierre-Jean Séguin traite son sujet de manière particulière, en jouant avec le mot « poule », mais il avait la liberté d’aborder la problématique des nids-de-poule à Gatineau comme il l’a fait.
Le Conseil admet que l’association entre les poules d’élevage, dont le conseil municipal a discuté, et les nids-de-poule dans les rues est discutable. Cependant, le journaliste ne franchit pas la ligne de l’amalgame mal raisonné, car il n’affirme pas que la Ville se préoccupe des poules d’élevage au détriment de la réparation des nids-de-poule.
Grief 2 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (Guide, article 9, alinéa d)
Le Conseil doit déterminer si Pierre-Jean Séguin a manqué à son devoir d’équilibre en rapportant, dans ses deux reportages, les points de vue des parties en présence concernant la problématique des nids-de-poule à Gatineau.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de manque d’équilibre, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 9, alinéa d, du Guide.
Analyse
Le Conseil estime que le journaliste a présenté une couverture déséquilibrée de la problématique des nids-de-poule à Gatineau. Il constate notamment que Pierre-Jean Séguin ne rapporte pas les informations transmises par la Ville ni son point de vue au sujet de la gestion des nids-de-poule (nombre d’équipes affectées, de nids-de-poule colmatés, etc.). Le journaliste présente son sujet sous l’angle de la controverse, mais il n’en présente qu’une seule perspective.
Dans le premier reportage, même si aucun représentant de la Ville n’était disponible pour répondre à la caméra aux questions du journaliste, ce dernier se devait de rapporter la position de la municipalité qui lui avait été communiquée le jour même par courriel, affirme le Conseil. En outre, dans le reportage de suivi, le journaliste s’entretient avec un conseiller municipal, mais il l’interroge sur la problématique du déneigement en ne lui donnant pas l’occasion de présenter le point de vue de la Ville sur les nids-de-poule spécifiquement.
Dans les deux cas, le Conseil juge que Pierre-Jean Séguin n’a pas présenté de manière pondérée les arguments de parties en présence, la Ville n’ayant pas eu l’occasion de faire valoir les siens sur l’enjeu des nids-de-poule à Gatineau, sujet dont il est question dans les deux reportages.
Grief 3 : incomplétude
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (Guide, article 9, alinéa e)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a, dans ses deux reportages, fait preuve d’incomplétude en omettant de présenter les éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’incomplétude, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 9, alinéa e, du Guide.
Analyse
Le Conseil partage l’avis du plaignant qui déplore que le journaliste « ne présente aucun des éléments d’information fournis par la Ville sur le travail des équipes municipales » pour réparer les nids-de-poule. Dans ses deux reportages, Pierre-Jean Séguin omet des informations qui viendraient remettre sa thèse en question, comme les chiffres que la Ville lui a fournis qui démontrent qu’il est inexact de laisser entendre que les élus prennent le problème des nids-de-poule à la légère parce qu’ils n’en ont pas parlé la veille lors d’une séance du conseil municipal ou parce qu’ils ne veulent pas revoir la gestion du déneigement.
Dans le reportage du 12 mars 2019, le Conseil constate que Pierre-Jean Séguin omet des informations sur le nombre de nids-de-poule réparés par jour, le nombre d’employés municipaux affectés à leur réparation ou les artères et rues priorisées. Des aspects de la problématique des nids-de-poule que le journaliste met pourtant de l’avant et pour lesquels il détenait des informations qui auraient permis aux téléspectateurs de mieux cerner le sujet. Le Conseil a en effet la preuve que la Ville lui a fait parvenir ces renseignements le jour même.
Dans le reportage du 18 mars 2019, l’angle de traitement du journaliste est différent puisqu’il donne la parole à un conseiller municipal. Cependant, Pierre-Jean Séguin omet des informations essentielles à la compréhension de la problématique des nids-de-poule à Gatineau, comme les effectifs municipaux chargés de leur réparation depuis début mars ou l’organisation des opérations de colmatage. Par ailleurs, le journaliste présente de manière claire le point de vue du président du syndicat des cols bleus, mais pas la position de l’élu sur l’enjeu spécifique des nids-de-poule, enjeu qui est l’objet de son reportage.
Grief 4 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (Guide, article 9, alinéa c)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué à son devoir d’impartialité en prenant parti pour un point de vue en particulier relativement à l’enjeu des nids-de-poule.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de partialité, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 9, alinéa c, du Guide.
Analyse
Le Conseil remarque que Pierre-Jean Séguin a choisi de démontrer une thèse – les élus municipaux ne se préoccupent pas des nids-de-poule – et qu’il a construit ses reportages de manière à l’appuyer.
Le Conseil observe que le journaliste rapporte que les routes sont dans un état catastrophique, mais qu’il n’en fait pas la démonstration. Il se contente d’impressions et de sous-entendus en s’appuyant sur des images suggestives et des témoignages d’automobilistes pour démontrer son propos.
Pierre-Jean Séguin recourt également à des procédés douteux pour justifier l’angle de traitement qui soutient cette thèse, comme lorsqu’il insère deux clips hors contexte d’une conseillère municipale qui s’exprimait sur l’agriculture urbaine lors d’un point presse après la séance du conseil ou quand il donne la parole à un conseiller municipal sans lui permettre de s’exprimer sur la problématique des nids-de-poule, qui est le sujet de ses reportages.
Le journaliste emploie par ailleurs des formulations biaisées qui témoignent de son parti pris, comme : les élus « parlaient dans un langage bureaucratique de poules et de l’élevage en milieu urbain »; « Un monde de différence semble séparer les préoccupations des élus et celles des citoyens »; « La Ville a peut-être préféré laisser toute la place aux vraies poules ». Le Conseil considère en outre que lorsque Pierre-Jean Séguin affirme qu’il « aura fallu probablement que les médias en parlent » pour que des nids-de-poule soient réparés, il renforce cette thèse en donnant délibérément l’impression que la Ville de Gatineau n’en fait pas assez pour réparer les nids-de-poule et que ses priorités sont ailleurs, sans en faire la démonstration.
Au regard de ce qui précède, le Conseil estime donc que Pierre-Jean Séguin a présenté un parti pris et que ses deux reportages sont partiaux. Le journaliste ne dévie jamais de cette thèse et pour ce faire, il n’hésite pas à écarter des informations essentielles.
Grief 5 : absence de correction des erreurs
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (Guide, article 27.1)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir déontologique en matière de correction des erreurs.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’absence de correction des erreurs, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 27.1 du Guide.
Analyse
Au regard des décisions prises à l’issue de l’examen des griefs précédents, le Conseil conclut que les mis en cause auraient dû corriger leurs erreurs et manquements dont ils ont été informés par le plaignant le 13 mars 2018, ce qu’ils n’ont pas fait alors qu’ils en avaient l’occasion dans le reportage du 18 mars 2019.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de TVA Gatineau-Ottawa, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Patrick Robert-Meunier contre le journaliste Pierre-Jean Séguin, le bulletin TVA Nouvelles 18h Gatineau-Ottawa, TVA Gatineau-Ottawa et le site Internet tvagatineau.ca concernant les griefs de manque d’équilibre, d’incomplétude, de partialité et d’absence de correction des erreurs et sanctionne les mis en cause avec un blâme. En revanche, il rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Michel Loyer
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot
Martin Francoeur
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Pierre-Paul Noreau